• La nuit désespérée, Race street, Edwin L. Marin, 1948

     La nuit désespérée, Race street, Edwin L. Marin, 1948

    Il est difficile de se souvenir que ce qu’a bien pu réaliser Edwin L. Marin, bien qu’il ait tourné une soixantaine de films. C’était d’après ce qu’on sait un réalisateur qui travaillait très vite. Randolph Scott qui avait son petit système de production et qui veillait à ne pas dépasser les budgets l’employa à six reprises. Il a tâté d’un peu tous les genres, westerns, films d’horreur, comédie, et bien sûr un peu de film noir. Et puis il a travaillé avec George Raft sur Nocturne et Johnny Angel qui furent de bons succès commerciaux. A cette époque George Raft était une star très capricieuse, suite à l’énorme succès de Scarface, film où il lançait la pièce en l’air, et cela l’emmena d’ailleurs à refuser des rôles très importants dans High Sierra, The maltese falcon, ou encore Casablanca, et même Double indemnity le chef d’œuvre de Billy Wilder. Les trois premiers sont des rôles en or qui permirent à Humphrey Bogart son partenaire de They drive by night[1]de s’imposer comme la grande star du film noir. En matière de flair on fait mieux ! Au fur et à mesure qu’Humphrey Bogart grimpait, George Raft descendait les échelles de la gloire. Le lien avec Bogart est tellement fort, par contraste de ce que l’un a réussi et de ce que l’autre a manqué qu’un de ses biographes a écrit un livre qui porte comme titre George Raft : the man who would be Bogart[2]. Il avait la réputation d’être un excellent danseur, mais aussi d’avoir été très lié à la mafia qui finalement aimait bien les acteurs qui la représentaient de près ou de loin. Dans ce contexte, George Raft avait besoin d’un véhicule qui le mette en valeur. Associé encore avec Edwin L Marin, ils vont choisir une histoire bricolée par Martin Rackin, un scénariste qui a pourtant mis au point des sujets très forts, comme The enforcer de Raoul Walsh avec Humphrey Bogart, ou encore Hell on Frisco bay de Frank Tuttle avec Alan Ladd, et toute une kyrielle de westerns de qualité comme Horse soldiers de John Ford, Rought night in Jericho de Arnold Laven, Two mules for sister Sara de Don Siegel, et j’en passe. Mais ici il semble bien que l’histoire ait été bâclée, et donc on va avoir rapidement des problèmes de cohérence, mais aussi de longues scènes dans le cabaret de Dan Gannin qui paraissent surajoutée pour tenter d’arriver à une longueur acceptable. Ce film n’a pas une bonne réputation, ce qui ne veut pas dire qu’il soit dénué de tout intérêt comme on va le voir. 

    La nuit désespérée, Race street, Edwin L. Marin, 1948

    Hal Towers est embarqué par des tueurs 

    Dan Gannin est un bookmaker prospère qui veut redevenir honnête en quittant ce métier et en s’occupant seulement de sa boîte de nuit. Il est amoureux de la belle Robbie qui est veuve de guerre et qu’il voudrait épouser. Mais une nouvelle équipe de racketteurs est descendu sur San Francisco pour s’emparer des paris sur les champs de course. L’ami de Dan, Hal Towers, un boiteux est confronté à cette bande, et comme il ne veut pas céder au racket, il est assassiné. Cet assassinat va décider Dan à s’opposer aux nouveaux racketters. Il reçoit d’ailleurs à son bureau la visite de deux vieux margoulins, bien propres sur eux, qui font le forcing pour qu’il accepte leurs conditions. Un autre ami d’enfance de Dan, l’inspecteur Runson, comprend ce qui se passe et demande à Dan de le laisser travailler. Mais Dan refuse de lui donner des renseignements, suivant en cela un code de l’honneur. Il veut régler tout tout seul et refuse même la mobilisation de ses amis bookmakers qui sont aussi concernés par ce racket. Cependant, Dan va être enlevé par ceux-là même qui ont tué Hal. Ils l’emmènent les yeux bandés à un rendez-vous avec celui semble le chef de la bande. Celui-ci le menace, et quand ils le ramènent chez lui, ils lui donnent une rouste qui l’envoie à l’hôpital où l’inspecteur Runson vient le voir. Lorsqu’il sort de l’hôpital il va reprendre son enquête. L’inspecteur Runson le suit pas à pas. Mais c’est ce dernier qui va révéler que la fiancée de Dan, Robbie, est en fait la femme d’un certain Dixon, un homme dangereux que Runson poursuit depuis des années et qu’on croyait au Mexique. Lorsque Dan et Runson l’interrogent, celle-ci ne nie pas qu’elle est la femme de Dixon, mais elle prétend ne plus le revoir. En la quittant, Dan va surprendre une communication téléphonique entre elle et Dixon qui va lui tendre un piège. La confrontation finale fait que Dixon sera pris, mais Dan y laissera la vie. 

    La nuit désespérée, Race street, Edwin L. Marin, 1948 

    Hal est assassiné dans les escaliers 

    Cette trame décousue contient nombre d’incohérences, sans même parler du personnage de Runson qui ne semble avoir rien d’autre à faire dans la police que de suivre Dan. La fin est plus que téléphonée, c’est le cas de le dire, avec Dan qui paie le concierge pour écouter la communication de Robbie avec Dixon, puis le concierge qui trahit à son tour Dan en prévenant Robbie, puis encore un ancien ami de Dan qui le trahit pour passer du côté de Dixon et qui se flatte de sa trahison. Mais si nous regardons un peu au-delà, nous voyons que le thème central est que Dan est un homme droit, bien qu’un peu voyou, qui possède un code de l’honneur aussi bien avec ses amies qu’avec sa fiancée. c’est de cela qu’il meurt, comme si avec lui mourrait un monde ancien où la parole donnée ça veut dire quelque chose. Les temps ont changé sans doute et donc Dan aurait mieux fait de faire confiance à son ami flic débonnaire que de s’obstiner à vouloir agir seul pour venger la mort de Hal. Le second thème c’est bien sûr la duplicité de Robbie qu’on a installé là de longue date pour espionner et trahir Dan. Elle joue de sa beauté et de son soi-disant veuvage pour le ramollir et le livrer pieds et poings liés à son mari à qui elle voue finalement une fidélité sans limites, faisant exactement ce qu’il lui demande. Elle n’est donc pas mauvaise par nature, mais par nécessité, en tant que femme mariée. Si on lit entre les lignes cela veut bien dire qu’une femme moderne doit s’émanciper et ne pas suivre aveuglément les fantaisies de son mari. 

    La nuit désespérée, Race street, Edwin L. Marin, 1948

    Dan est à son tour enlevé par les tueurs

    Le personnage de Robbie, comme celui de Dixon d’ailleurs, aurait pu être un peu plus développé. Au lieu de cela le scénario passe un long moment à nous parler de la sœur de Dan, la chanteuse de cabaret qui roucoule à longueur de temps avec son fiancé. Cette dispersion nous montre Dan un peu désemparé dans le fait que sa sœur va se marier bientôt au chanteur avec qui elle forme un duo un peu jazzy. Dan est à la recherche de l’amitié, c’est raté avec Hal qu’il n’a pas réussi à protéger, et c’est raté avec Runson dont il se méfie parce qu’il est de la police. Arrivé à ce stade on se demande si le dur Dan Gannin a encore une once de jugement. On remarque aussi qu’il s’obstine à refuser de l’aide, d’où qu’elle vienne, alors qu’il lui serait possible de mobiliser les autres bookmakers dans sa croisade contre les racketteurs. Et il vient qu’on se demande si au fond il ne serait pas un loser ! 

    La nuit désespérée, Race street, Edwin L. Marin, 1948

    Le lieutenant Runson vient voir Dan à l’hôpital 

    La mise en scène est assez banale, mais elle passe assez bien, avec une bonne prise en compte du décor si particulier de San Francisco, même s’il y a un peu trop de transparences – quoique cela ne soit pas pire que chez Hitchcock. Il est vrai que Marin est bien aidé par la photo de J. Roy Hunt qui se démarquait à l’époque des autres photographes en évitant les pénombres trop marquées et en utilisant aussi la profondeur de champ. Les scènes d’action sont plutôt réussies, avec deux fois le coup de l’escalier, comme si c’était bien la preuve qu’un voyou ou un ancien voyou ne peut pas grimper bien haut. 

    La nuit désespérée, Race street, Edwin L. Marin, 1948 

    Runson va montrer des photos qui prouvent que Robbie a été mariée à un gangster en fuite 

    Si le film a été fait pour George Raft, ce n’est pas lui qui s’en tire le mieux. Dans le rôle de Dan, il est raide comme un piquet, bouge très peu, ne semble rien ressentir, pas plus les coups du sort que les raclées qu’il reçoit. Acteur de petite taille, il a du mal à nous faire croire qu’il est un dur, ce n’est pas Bogart ! a ses côtés il y a William Bendix dans le rôle de Runson, et ma foi on peut dire qu’il faut voir le film au moins pour lui. Acteur exceptionnel au physique tourmenté, il est toujours très bon. Il peut jouer les flics, les méchants, les peureux, il est toujours vrai. Son rôle est assez difficile parce que comme il suit pas à pas Dan, il donne l’impression d’une maniaquerie sans but. Robbie est incarnée par Marylin Maxwell. Elle est ici en brune, alors que la plupart du temps elle apparaît en blonde. Elle est bonne actrice, mais elle n’a pas un physique tranchant et on a un peu du mal à croire à sa duplicité. Si Frank Faylen dans le rôle de Dixon est assez quelconque, Harry Morgan dans celui de Hal Towers est comme toujours remarquable. Je passe sur Gale Robbins qui chante assez bien et qui est sensée être la sœur de Dan. Elle est assez transparente.  

    La nuit désespérée, Race street, Edwin L. Marin, 1948

    Robbie a bien du mal à convaincre Dan et Runson qu’elle est innocente 

    Le film a été un bon succès commercial aux Etats-Unis, mais la critique ne l’a jamais trop aimé. Cependant, avec le temps il a acquis une patine nostalgique qui se laisse regarder sans déplaisir. Certes il n’est pas indispensable, mais on peut aussi passer un bon moment à condition de ne pas trop se poser de question. Par ailleurs je n’ai pas compris le titre en anglais, mais apparemment je ne suis pas le seul.



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/une-femme-dangereuse-they-drive-by-night-raoul-walsh-1940-a114844900

    [2] Stone Wallace, George Raft : the man who would be Bogart, Bearmanor Media, 2008.

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