• Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952

     Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952 

    C’est un simple film de propagande comme les Américains en ont fait beaucoup au début des années cinquante quand l’HUAC traquait Hollywood pour s’en servir comme instrument de diffusion d’un anticommunisme primaire. C’était aussi une manière d’humilier totalement l’ancien communiste qu’avait été Kazan. Il s’était repenti, mais on lui demandait encore plus, d’adopter la position du propagandiste de base, de jouer les fayots. Si on peut excuser le fait que Kazan ait trahi ses « amis », il est bien plus difficile de souscrire à cette entreprise idéologique. Il n’y a pas besoin d’être communiste ou stalinien pour être écœuré par cette méthode. Peu à peu cependant, les films anticommunistes cesseront d’être produits, non parce qu’Hollywood se serait rebellé, mais parce qu’ils ne rapportaient pas d’argent. Ce qui veut dire qu’au fond l’américain moyen s’en méfiait et, contrairement à Kazan, n’adhérait pas à cette fantaisie de circonstance. Dans cette affaire, on avait embarqué aussi Fredric March qui lui aussi avait besoin de se refaire une virginité parce qu’il avait été accusé d’être communiste, ou de l’avoir été ou encore d’en avoir connus dans son entourage. On trouve encore des gens qui en France prennent pourtant ce film au sérieux[1]. Le scénario de ce film est basé sur un roman de Neil Paterson, un ancien footballeur et un obscur écrivain qui reçut pourtant en 1959 l’Oscar du meilleur scénario pour Room at the Top, avec Simone Signoret, pourtant à cette époque compagne de route du Parti communiste français ! Ce livre n’a jamais été traduit en français où on avait tout de même un peu de méfiance face à ces fantaisies propagandistes. Le film n’a pas été non distribué en France au moment de sa sortie, mais il serait erroné de penser que cela est seulement imputable à l’emprise du Parti communiste français sur le secteur de la culture dans notre pays. Je rappelle qu’à cette époque, le livre de Victor Kravchenko, J’ai choisi la liberté, était un énorme succès de librairie et que les livres de David Rousset étaient aussi très médiatisés et marchaient très bien. Ayant été un échec commercial cinglant aux Etats-Unis, il est aussi probable qu’on n’ait pas voulu prendre le risque de le sortir chez nous. 

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952 

    Cernik dirige un cirque itinérant. Donnant des représentations de ci, de là, il tente de se rapprocher de la frontière entre la Tchécoslovaquie et l’Allemagne pour passer à l’Ouest. Sur sa route il croise des convois de prisonniers politiques. La police cependant le surveille, elle le convoque et lui demande des comptes sur le contenu du spectacle qu’il présente. Le cirque a été nationalisé et ne lui appartient plus. On lui demande également de chasser la Duchesse, fausse aristocrate, mais qui aurait déployé le drapeau français. Il donne raison à ses policiers, mais lorsqu’il doit chasser la Duchesse, après le lui avoir annoncé, il revient sur sa décision. Il a également des problèmes familiaux, sa jeune femme Zaza trouver qu’il la néglige et drague le dompteur de lions, et puis sa fille est tombée amoureuse de Vosdek, ce qui inquiète son père qui a peur qu’on l’espionne. Fesker a laissé entendre qu’il savait que le cirque possédait une radio à ondes courtes. Et justement avec quelques-uns des membres les plus sûrs de son cirque, il va essayer de trouver qui est l’intrus. Ils comprennent assez rapidement que c’est le nain Kalka. Cernik le chasse. 

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952 

    Le cirque croise un convoi de prisonniers 

    En fait le nain est engagé par Barovic, un autre directeur de cirque concurrent. Barovic vient voir Cernik et lui laisse entendre qu’il a compris qu’il voulait passer la frontière ils passent un accord : Barovic récupérera une partie des équipements de Cernik et en échange, il l’aidera. Mais pour la galerie, ils font semblant de se battre. Comprenant que le temps lui est compté Cernik va vouloir passer la frontière rapidement, dans la journée. Mais avant cela, il frappe Zama pour lui montrer qui est le maître et celle-ci est heureuse parce qu’elle le retrouve dans un rôle viril ! Cernik va de nouveau rencontrer Fesker. Celui-ci lui accorde le permis de voyager qui le rapprochera de la frontière. Il espère ainsi le coincé en flagrant délit justement au moment où il tentera le passage. Quand Cernik revient dans sa roulotte, il trouve Zama en train de cirer ses godasses ! ils préparent le départ. Mais entre-temps, Fesker est arrêté justement pour avoir laissé filer Cernik et son cirque. Il tente d’expliquer qu’il a mis en place un piège, mais son interlocuteur qui en fait veut prendre sa place, préfère ne pas le croire. Le cirque va donc se rapprocher de la frontière, puis, en défilant derrière la fanfare ce qui distrait la surveillance, il va enfoncer la frontière. Une fusillade éclate, Cernik est blessé, le dompteur de lions est tué, mais le cirque a réussi à passer. Cernik meurt dans les bras de Zama qui prend maintenant sa bague et la passe à son doigt, comme si elle voulait poursuivre l’œuvre de son mari. 

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952 

    Cernik est interrogé par la police 

    Des histoires de gens qui se sont enfuis depuis l’Allemagne de l’Est, il y en a des tonnes, celle-ci est vaguement inspirée par la fuite du cirque Brumbach en 1950. Les pays de l’Est étaient des régimes autoritaires, et aussi beaucoup plus pauvres que les pays occidentaux. Ces deux raisons suffisaient à motiver la volonté de voir ailleurs. Le premier problème du film est d’exagérer l’autoritarisme du régime tchécoslovaque. Et donc on présente le pays comme une vaste prison avec des cohortes de prisonniers politiques. Or tout le monde sait que ce pays qui était l’un des plus proche de l’Occident était aussi un des plus libéraux. L’exagération vire à la caricature, quand le film tente de nous montrer que les policiers tchèques sont plus bêtes que la moyenne et se laissent berner par la malice de Cernik, mais aussi par leurs querelles intestines ! Évidemment, le cirque écoute la radio américaine car celle-ci est un air de liberté et non un instrument de propagande ! Là où ça devient totalement bouffon et écœurant, c’est que Kazan qui a vécu l’autoritarisme de l’HUAC qui mettait son nez dans la production de ses films, ne fait pas le rapprochement entre les deux systèmes de coercition. Croyant justifier sa bassesse, Kazan ne se rend pas compte que le procès qu’il fait aux régimes dits communistes est tout à fait le même que celui qu’on pourrait faire à l’Amérique des années cinquante. De ce principe erroné, le reste en découle, le reste, c’est-à-dire la caricature ! 

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952 

    Cernik annonce à la Duchesse qu’il doit se séparer d’elle 

    Par un étrange retournement des choses, les Allemands deviennent les bons, et les Russes – avec leurs alliés communistes tchèques – les mauvais. Ce genre de film est une des premières pierres posées pour disqualifier la Russie dans la victoire sur le nazisme. En 1947, les Français considéraient à près de 60 % que l’Armée Rouge avait été le principal artisan de la défaite allemande, et 20% pour les Etats-Unis. Aujourd’hui, les sondages donnent 57% aux Etats-Unis et à peine plus de 20% à la Russie ! Bien entendu les historiens comme Richard Overy ont depuis longtemps donné raison aux premiers sondages. Ce rappel montre comment le travail de propagande, notamment porté par le cinéma américain – et anglais, n’oublions pas James Bond – sape la perception de la réalité. Ainsi Joe Vosdek est un bon Tchèque, ce qui est normal puisque pendant la guerre il s’était engagé dans l’armée américaine. Sous-entendant par là que ce sont les Américains qui ont aidé à libérer la Tchécoslovaquie du joug nazi. Le pendant de ce mensonge, c’est le personnage de Krofta, certainement un gentil garçon, patriote, mais qui est aveuglé par son propre patriotisme qui renvoie à l’ignorance et à la bêtise. 

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952 

    Cernik pense qu’il y a un espion parmi eux 

    Ce qui rend encore plus cette propagande outrancière minable, ce sont les caricatures des caractères. Le nain est naturellement, du fait de sa conformité, le traitre. Zama est contente qu’on la batte pour lui montrer combien on tient à elle. La fille de Cernik rêve d’Amérique et tombe amoureuse d’un américano-tchèque !  Mais Cernik, le personnage central, est encore plus caricatural. C’est le, modèle du chef d’entreprise à l’américaine qui produit des spectacles « innovants » ! Présenté comme honnête, Cernik est vu par Fesker comme un danger, autrement dit pour les Russes l’honnêteté est dangereuse ! Cette philosophie de bazar renvoie à la nature même des hommes qui ont produit le communisme. 

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952 

    Barovic est venu voir Cernik 

    Mais Cernik, même s’il bat sa femme, a aussi du cœur. La preuve ? Non seulement il s’occupe de sa vieille mère, mais il refuse de se séparer de la Duchesse. Le régime est tellement odieux qu’il va transformer le lâche Rudolph, le dompteur de lions, en un héros qui risquera sa peau pour défendre le cirque et lui permettre de passer la frontière ! Les deux principaux caractères féminins tentent de miser sur l’opposition, la fille de Cernik est passionnée et amoureuse d’un américain, sa femme est tout près de le tromper avec un dompteur de fauves. L’une est franche et ouverte, l’autre retorse et prend des chemins détournés pour arriver à se faire aimer !

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952 

    Zama embrasse la main de Cernik qui l’a battue

    Elia Kazan n’était pas content de ce film sur le plan cinématographique. Il disait que l’équipe technique et une grande partie des acteurs ne parlant qu’allemand, il avait du mal à la diriger. Gerd Oswald, un très bon technicien qui a beaucoup fait pour le film noir, aurait tourné une grande partie de ce film. Cette légende me parait erronée. On reconnait assez bien les mouvements de caméra à la Kazan, avec une certaine fluidité dans les déplacements, de même dans le placement des gros plans en contrepoint des affrontements verbaux semblent relever de sa technique. On pourra aussi reconnaitre cette prédilection de Kazan pour le liquide dans la très longue scène qui voient les jeunes amants se baigner dans la rivière comme s’ils voulaient se purifier et retrouver une innocence perdue.    

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952

    Fesker interroge Cernik avant de lui donner son sauf-conduit 

    Il y a cependant pas mal de laisser aller au montage. Par exemple, on retrouvera deux fois la même scène du public qui vient assister au spectacle, alors que c’est censé être deux séances différentes. La fausse bagarre entre Cernik et Barovic est plutôt mal filmée, sans entrain. Quelques scènes sont cependant réussies, les interrogatoires des Cernik par la police secrète, ou encore la parade du cirque, juste avant de franchir la frontière. C’est bien insuffisant, et le réveil de Krofta apparaît comme surajouté à l’ensemble, filmé sans conviction aussi bien de la parti metteur en scène que de l’acteur. 

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952

    Zama cire les chaussures de Cernik avec plaisir 

    On notera une volonté d’immerger l’histoire dans des paysages « réels », en fait ceux de la Bavière. Le but de cette pseudo-authenticité est de montrer qu’au-delà des collines, il existe une sorte de paradis pour les gens du cirque : c’est l’Occident. Et donc Kazan était assez fier d’avoir limité les scènes tournées en studio. Nous avons dit que cette histoire était inspirée de celle du cirque Brumbach, et c’est tout naturellement que Kazan utilisera des numéros de ce cirque, employant une partie de son personnel. Mais cette quête de l’authenticité pour masquer les mensonges du propos est bien insuffisante. Ça ne compense pas la niaiserie de la scène finale qui voit le décès de Cernik faisant un discours d’adieu assez ridicule. Un point curieux du scénario est que Vosdek est marqué par l’armée américaine, comme les Juifs étaient marqués par les nazis dans les camps ! L’inconscient finit toujours par parler ! 

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952 

    Cernik a rattrapé sa fille qui s’est enfuie avec Vosdek 

    Indépendamment de la qualité du film, la distribution est mi-figue, mi-raisin ! Le personnage central du film est Cernik, incarné par Fredric March. Il est très bon dans ce rôle. Et sans doute y met-il d’autant plus de conviction qu’il est lui-même sur la sellette pour avoir eu jadis des amitiés à gauche ! Il était, rappelons-le, une très grande vedette d’avant-guerre, l’égal d’un Spencer Tracy, mais à cette époque, outre ses ennuis avec l’HUAC, il était clairement sur la pente déclinante. L’adaptation ambitieuse que Lazlo Benedek avait réalisée de Death of a Saleman, d’Arthur Miller, un « ami » de Kazan, avait été un fiasco mémorable. Il avait besoin d’un succès, mais il lui faudra attendre Desperate Hours de William Wyler où il sera à l’affiche derrière Humphrey Bogart. Derrière, il y a Gloria Graham, dans un rôle de garce qui n’en est pas tout à fait une ! Son rôle est petit, mais elle est parfaite de sensualité et de rouerie. Terry Moore qu’on a connue plus convaincante et qui est plus à l’aise dans le genre comédie qui chantonne et qui danse, incarne sans beaucoup d’intérêt le fille rebelle de Cernik, mi-adolescente, mi-jeune femme. On a juste envie de la gifler ! On la retrouvera plus tard dans un autre film anticommuniste à la limite de la parodie, Shack Out on 101[2]. 

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952

    Fesker va être arrêté pour avoir laissé partir Cernik 

    Adolphe Menjou, vieil acteur parmi les plus réactionnaires d’Hollywood, incarne Fesker, le subtil policier qui se fait lui-même éliminé par plus fourbe que lui, il à l’air d’être le seul à croire à ce film. Cameron Mitchell, teint en blond est l’amoureux transi de Tereza. Il a l’air de se demander ce qu’il fait dans le film. C’est la même chose avec Richard Boone, encore maigre et avec un nez présentable, qui incarne le borné employé de Cernik, Krofta. Kazan qui aura souvent la réputation d’un bon directeur d’acteurs rate ici complètement son coup. 

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952 

    Krofta a réussi à se libérer de ses liens 

    Ce n’était pas du tout un film fauché, il avait un budget de 1,2 millions de dollars, ce qui pour l’époque était tout de même conséquent. Ce sera pourtant un four, à peine de quoi couvrir le coût des affiches. Il ne sera même pas distribué sur tout le territoire américain, manifestement personne ne croyait à l’intérêt de ce film. Il ne sera un succès très relatif seulement qu’en Allemagne. En France il fut impossible de le voir avant longtemps. Kazan a au moins raison sur un point, il n’y a rien à en tirer ! Outre l’aridité du sujet, il y a un manque d’émotion évident. 

     

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952

    Le cirque passe la frontière 

    Le cirque en révolte, Man on the Tightrope, Elia Kazan, 1952 

    Cernik meurt dans les bras de Zama


    [1] Un certain Éric Maurel trouve ce film « intelligent » et injustement oublié. Il prend même au sérieux l’idée de ce film est de combattre le malheur des peuples des pays de l’Est embourbés dans le communisme, comme si Kazan avait eu un jour le courage de ses opinions.

    https://www.dvdclassik.com/critique/cirque-en-revolte-kazan

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/shack-out-on-101-edward-dein-1955-a172299342

    « Panique dans la rue, Panic in the streets, Elia Kazan, 1950Sur les quais, On the Waterfront, Elia Kazan, 1954 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :