• Le monde de San-Antonio, n°75, 2015

    Le monde de San-Antonio, n°75, 2015 

    Tous ceux qui considèrent Frédéric Dard et San-Antonio comme un écrivain de première importance doivent lire et s’abonner au Monde de San-Antonio. Cette dernière livraison est centrée sur deux sujets : le premier est la parution du DicoDard de Pierre Chalmin dont j’ai déjà parlé ici et qui m’a valu une petite polémique avec l’auteur. Grâce à une interview de Chalmin on y apprend que son ouvrage est une commande, et donc qu’il ne vient pas d’une envie en elle-même de réaliser ce travail. D’ailleurs c’est à cette occasion que Chalmin se serait mis à lire sérieusement en 2012. Ce qui explique sans doute beaucoup de choses. Je passerais sur le fait que Chalmin, dans son interview, désigne Céline comme le plus grand écrivain du XXème siècle – lieu commun s’il en est – et qui d’un même mouvement se déclare pour une sorte d’adéquation entre l’œuvre et la morale de l’auteur. Ce qui est plus drôle c’est que quelques lignes plus loin il enfonce le clou déclarant hâtivement qu’il bannit de sa bibliothèque les auteurs vaniteux, avares et lâches exactement ce qu’était le misérable Céline

    Le second sujet est bien plus intéressant. Il s’agit d’un gros dossier de Dominique Jeannerod sur la manière dont la critique littéraire s’est saisie de l’œuvre de Frédéric Dard à travers des revues mensuelles qui publiaient principalement des nouvelles d’auteurs plus ou moins connus. Ce dossier est capital, d’abord parce qu’il montre comment Frédéric Dard a été soutenu par des « autorités » comme Pierre Boileau, mais ensuite parce qu’il rappelle comment ces petites revues – toutes pratiquement du même format – qui ont disparu aujourd’hui, ont joué un rôle déterminant dans la valorisation de la littérature populaire noire et policière. Ces revues se raccrochaient à un nom, Alfred Hitchcock Magazine, ou à un héros Le Saint-Magazine. Elles surfaient sur le succès et en même temps elle l’appuyait. Elles publiaient des nouvelles policières, mais aussi une petite partie à la fin recenser des films et des livres. La part des nouvelles françaises était extrêmement réduite. Jeannerod ne cite pas la revue Noir Magazine qui était éditée sous le patronage d’Albert Simonin. Bâtie sur le même modèle, elle avait de l’ambition, mais elle n’eut que deux numéros faute de lecteurs. Dans le premier numéro on pouvait trouver une nouvelle de Simonin dont ce sera à ma connaissance la seule incursion dans le monde particulier de la nouvelle, La mouillette, mais aussi une nouvelle de Léo Malet et une autre de Catherine Arley. Les auteurs français représentaient plus de la moitié des nouvelles éditées. Le second numéro publiait une nouvelle de Pierre Boileau, La tête. On ne sait pas trop à quoi attribuer cet échec, mais peut-être que cela venait du ton trop noir justement de la revue. On sait que le « noir » s’est toujours moins bien vendu que le suspense ou le roman à énigme. Justement parce que sa noirceur ne le destine pas au pur divertissement.

     Le monde de San-Antonio, n°75, 2015

    Le dossier ouvert par Jeannerod sera suivi de plusieurs autres articles, nous les attendons avec plaisir. Dans ce premier épisode, on y découvrira Pierre Boileau, l’autre moitié du tandem diabolique Boileau-Narcejac. Ces deux auteurs étaient non seulement des écrivains de premier plan, faisant plutôt dans le suspense psychologique, mais ils avaient également des idées théorique sur le roman policier qui pour eux devait être forcément la résolution d’une énigme. Ils dénigraient systématiquement le roman noir, leur bête noire étant selon eux James Hadley Chase. Mais les cordonniers sont les plus mal chaussés et fort heureusement Boileau-Narcejac ne s’en sont pas tenu à leurs idées et leurs romans vont bien plus loin que les bêtises bourgeoises et boursoufflées d’Agatha Christie et autres Van Dinne. Mais ce qui est intéressant dans l’article de Jeannerod, c’est évidemment les relations de Boileau avec Dard. En effet, on pourrait se dire que San-Antonio et Boileau-Narcejac ne jouent pas dans la même cour. L’argot, les déconnades, cela devrait conduire Pierre Boileau à dénigrer les aventures du commissaire. Mais il en est rien. Boileau semble en effet adouber San-Antonio parce qu’il apprécie Frédéric Dard qui est en quelque sorte un des meilleurs disciples de Boileau-Narcejac avec Louis C. Thomas et bien sûr Sébastien Japrisot. Ces trois auteurs, bien français ce que défend d’ailleurs Boileau, forment presqu’une école avec Boileau-Narcejac, chacun avec sa spécificité propre œuvre dans le même sens. On remarque que ces auteurs ont été adaptés d’abondance au cinéma et à la télévision avec parfois des succès énormes.

    Le monde de San-Antonio, n°75, 2015  

    Thomas Narcejac, Alfred Hitchcock et Pierre Boileau 

    Les « romans de la nuit » de Frédéric Dard qui sont assez souvent des intrigues à rebondissements multiples ne pouvaient que plaire à Pierre Boileau. Certes il aurait pu aimer Frédéric Dard et pas San-Antonio qui abuse de scènes scabreuses et d’argot – quoiqu’un peu différent de celui de la Série noire. Mais s’il aime aussi San-Antonio, c’est surtout parce que derrière le style sanantoniesque, il y a des intrigues bien montées. Et en effet Frédéric a toujours pris soin de conserver une trame fictionnelle à rebondissement parce qu’au-delà du ton et de l’ironie c’est ce qui retient le lecteur. J’ai récemment relu des romans de Pierre Dac. C’est excellent bien sûr. Mais il écrivait des livres qui n’avaient aucune intrigue. On pouvait donc les laisser un jour ou deux jours, voire plus et les reprendre là où on les avait laissés. Avec Dard ce n’est jamais le cas. Qu’il soit épais ou long, on veut toujours aller jusqu’au bout.

    C’est bien pour cette raison que Boileau et Narcejac appréciaient Dard parce qu’il savait écrire une histoire qui se tenait debout et mieux encore qui se renouvelait que ce soit sous le nom de Kaput, de San-Antonio ou de Frédéric Dard et de quelques autres. 

    L’article de Jeannerod est passionnant de bout en bout. On peut lui faire un petit reproche amical, il suppose que pendant un temps assez long Frédéric Dard aurait délaissé l’écriture de nouvelles, or en 1969, il publie au Fleuve noir un très beau recueil de nouvelles La cinquième dimension sous le nom de Marcel G. Prêtre. Si de nombreuses œuvres sont plus ou moins facilement attribuables à Frédéric Dard, La cinquième dimension est incontestablement de sa plume. Non seulement l’ouvrage renvoie à une intimité flagrante, mais le style est bien le sien.

    « Le voleur, Louis Malle, 1967Frédéric Dard, La vieille qui marchait dans la mer, Fleuve Noir, 1988   »
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