• Les enchainés, Notorious, Alfred Hitchcock, 1946

    Les enchainés, Notorious, Alfred Hitchcock, 1946

    Alicia Huberman vient d’assister au procès de son père qui est condamné à 20 ans de prison pour espionnage en faveur de l’Allemagne nazie. Pour cette raison les services secrets américains vont tenter de l’engager. C’est le travail de l’agent Devlin de l’approcher au cours d’une soirée où manifestement la jeune femme boit beaucoup trop. Alicia a une réputation scandaleuse, buvant plus que de raison, passant d’un amant à un autre. Malgré cet aspect peu fiable, elle va s’engager auprès de Devlin pour approcher le riche Sebastian, sujet allemand qui organise un réseau d’espionnage au Brésil, à Rio plus précisément. Devlin et Alicia cependant tombent amoureux l’un de l’autre, et lorsqu’il s’agit de passer aux choses sérieuses, les deux amants vont se déchirer : Alicia espère que Devlin l’empêchera de finir dans le lit de Sebastian, et Devlin espère qu’elle refusera une mission aussi absurde. En pénétrant dans la splendide villa de Sebastian, Alicia découvre tout un réseau de scientifiques allemands. Mais les choses vont leur train, et Alicia est bientôt promise au mariage avec Sebastian, quoique celui-ci se méfie de Devlin dont il est jaloux. Le mariage va avoir lieu, malgré les réticences d’Alicia et de Devlin. La mère de Sebastian se méfie aussi d’Alicia. Au retour de son voyage de noces, Alicia recontacte Devlin et propose à celui-ci de visiter le cellier dans lequel il y a d’étranges bouteilles. Elle invite Devlin lors d’une réception fastueuse. Ayant dérobé la clé du cellier, Alicia va conduire Devlin à examiner ces fameuses bouteilles. Maladroitement Devlin en casse une qui en réalité renferme un minerai dont il prélève une partie. Peu après Sebastian s’aperçoit qu’Alicia le trahit. Mais il ne peut pas le formuler auprès de ses amis nazis car ceux-ci risqueraient de lui faire payer cher l’intrusion d’un agent américain parmi eux. Sa mère qui ne rêve que de reprendre la main sur son fils, trouve la solution : ils vont empoisonner peu à peu Alicia pour faire croire qu’elle est malade. Le plan pourrait bien marcher, mais l’amour est plus fort que tout. Devlin comprend que son contact avec Alicia est rompu et donc il va aller la chercher chez Sebastian lui-même. Pendant que celui-ci est en grande réunion avec les membres de son réseau, Devlin monte dans la chambre d’Alicia, il la sort de son lit et l’emmène à la barbe de Sebastian qui ne peut l’en empêcher au motif qu’il signerait son arrêt de mort devant ses collègues nazis. 

    Les enchainés, Notorious, Alfred Hitchcock, 1946 

    Devlin tente d’encourager Alicia à s’engager dans une mission d’espionnage 

    Le scénario est dû à Ben Hecht, basé sur une histoire de John Taitor Foote. L’histoire est complètement aberrante et sans crédibilité factuelle et psychologique. Il s’y mélange le danger encouru par Alicia qui pénètre un réseau allemand, à la fabrication d’une bombe nucléaire en plein milieu du Brésil. Sans doute est-ce pour cela qu’aujourd’hui le film ne provoque aucune émotion particulière tant il nous paraît irréel. Psychologiquement, on ne comprend pas très bien non plus comment le vieux et petit Sebastian peut croire une minute qu’Alicia ait des sentiments amoureux pour lui. Certes il est très riche, mais tout de même, il passe son temps à se rendre compte que Devlin et Alicia forment un couple épatant, sans plus se poser des questions. Il lui faudra avoir la preuve que la fourberie de sa femme pour enfin réagir, et encore pour cela il ira se réfugier auprès de sa mère ! On ne peut pas lister le nombre des incongruités que recèle un tel scénario. Mais le plus important est sans doute la position de Devlin qui hésite entre un départ en Espagne et rester à Rio pour protéger Alicia. 

    Les enchainés, Notorious, Alfred Hitchcock, 1946 

    A Rio Devlin met au point un plan pour approcher Sebastian 

    Le film est sensé se passer dans des milieux très huppés de Rio, dans les années quarante. Evidemment il ne sera rien dit de la pauvreté de ce pays qui est présenté ici comme un lieu de villégiature fascinant, seulement peuplé de personnes très riches qui n’ont rien d‘autre à faire de leur vie que de comploter. On a droit à la visite des champs de courses qui sont une marque de richesse, à des tenues de soirée de grande classe, des soirées au champagne, de belles voitures. Tout est lisse et sans aspérité dans l’univers hitchcockien. Sans doute est-ce là la marque la plus évidente de ses origines britanniques qui l’empêche de faire redescendre le crime dans le ruisseau et qui le pousse à en faire un jeu de société pour grands bourgeois. L’agent Devlin est toujours habillé de manière impeccable et ne semble pas connaître les fins de mois difficiles. Alicia porte des bijoux été des tenues très coûteux. C’est sans doute sensé nous faire rêver, alors que le caractère empesé des décors et des vêtements apparaît comme contraignant et ennuyeux. C’est peut-être ça qui est le plus daté dans ce film qui n’en finit pas de vieillir : ce décor de pacotille. 

    Les enchainés, Notorious, Alfred Hitchcock, 1946 

    Sebastian invite Alicia au restaurant 

    Les amateurs de films d’Hitchcock insisteront plutôt sur la thématique masochiste qui fait qu’un homme qui aime une femme la pousse dans les bras d’un autre. C’est ce qu’ils trouvent formidable et sulfureux. Certes il y a quelque chose à creuser de ce côté-là. Devlin se comporte comme un maquereau, et Alicia est la pute de service, si elle ne soutire pas de l’argent à Sebastian, elle lui soutirera des renseignements, mais l’effet est le même. C’est donc un film sur la prostitution assumée d’une femme qui se prostitue pour prouver qu’elle aime son maquereau. Mais au-delà de cet aspect intéressant, on retombe sur l’idée banale du trio : le vieux mari, sa jeune femme et son jeune amant. Et si le mari est si vieux c’est parce qu’il ne s’est jamais marié auparavant bridé sans doute par une mère autoritaire et possessive. Mais enfin le personnage de Sebastian est peu fouillé, aussi on ne sait pas très bien s’il se marie avec Alicia par amour, par peur de vieillir ou pour s’émanciper de la tutelle maternelle. 

    Les enchainés, Notorious, Alfred Hitchcock, 1946 

    Au champ de courses, Alicia fait son rapport à Devlin 

    Plus problématique me semble la réalisation d’Hitchcock. C’est très vieillot, été déjà à cette époque on ne tournait plus comme ça. Deux exemples : d’abord, c’est du studio, les décors sont clairement de carton-pâte, et ensuite pour masquer la faiblesse des décors – rien n’est filmé en extérieur avec les acteurs principaux – Hitchcock multiplie les mauvaises transparences jusqu’à l’absurde. C’est assez gênant car ça donne un caractère étriqué à l’ensemble. Les scènes entre les acteurs principaux sont filmées principalement en gros plan : l’homme à gauche de l’écran, la femme à droite. C’est aussi plat que systématique. Certes Hitchcock n’a jamais été le roi des mouvements de caméra, il travaille plutôt sur la lumière, mais enfin, il aurait pu faire un effort d’imagination. Il utilise aussi les images déformées, un peu comme dans Spellbound, lorsqu’il s’agit de représenter les vertiges et les malaises d’Alicia, mais c’est très pauvre sur le plan visuel, ça sent la naphtaline. Les seules scènes un peu travaillées sont relatives à la grande soirée donnée par Sebastian pour son retour. Sauf que cela amène tout de même des constructions bien inutiles. La plongée à travers le grand escalier, si elle donne un peu de profondeur de champ, n’apporte pas grand-chose au récit et aux caractères. Cette manière de filmer appauvrit le suspense. On remarquera d’ailleurs que le rythme est assez peu soutenu.

    Les enchainés, Notorious, Alfred Hitchcock, 1946  

    Alicia veut s’emparer de la clé du cellier 

    En vérité si ce film a eu du succès et garde encore quelque attrait, c’est avant tout grâce aux comédiens, plutôt aux deux principaux comédiens. Ingrid Bergman est en effet formidable dans le rôle d’Alicia, à la fois femme émancipée qui fait la bringue sans se soucier de l’opinion des autres, et femme amoureuse prête à tous les avilissements pour satisfaire l’homme qu’elle aime. Cary Grant est très bon dans le rôle de Devlin. Pour une fois il abandonne cet aspect sautillant. Il est grave et tourmenté, hésitant, indécis, s’abritant bêtement derrière l’idée de mission pour laisser Alicia se jeter dans les bras de Sebastian. Le choix de Claude Rains pour interpréter Sebastian est très mauvais, c’est une erreur de casting grossière. En effet, il est tout petit, il fait dix bons centimètres de moins qu’Ingrid Bergman, il est vieux et ridé, il a l’air aussi vieux que sa mère ! D’ailleurs dans la réalité, il avait à peu près le même âge que Leopoldine Konstantin ! Bref il n’est pas crédible dans cette volonté de rivaliser avec Cary Grant. Il a d’ailleurs l’air de s’ennuyer, lui pourtant si souvent très bon, il est ici insipide. Par contre Leopoldine Konstantin dans le rôle de la mère est excellente, tout en finesse et méchants sous-entendus. Louis Calhern dans le rôle du chef de Devlin est également excellent, mais Calhern quoiqu’on lui fasse faire est toujours très bon. 

    Les enchainés, Notorious, Alfred Hitchcock, 1946 

    Ils découvrent d’étranges bouteilles 

    La filmographie d’Hitchcock a bien mal vieillie au fil des décennies. 1946 était une grande année pour le film noir, c’est l’année où Siodmak tourna The killers. Et en comparant les deux films on comprend la différence. C’est aussi l’année de The big sleep ou encore de The postman always rings twice ou même de Gilda. Tous ces films montrent ce qui les sépare du simplissime Notorious, et donc pourquoi on ne peut guère considérer Hitchcock comme un réalisateur de films noirs. En vérité il se tient toujours dans l’entre deux : le suspense et l’histoire à énigme, et sa manière de filmer est datée. Cependant le film fut un très grand succès public, il se classera septième au box-office américain. On dit que c’était le film d’Hitchcock préféré de Truffaut, c’est tout dire[1] ! 

    Les enchainés, Notorious, Alfred Hitchcock, 1946 

    Devlin est venu récupérer Alicia malade 

    Les enchainés, Notorious, Alfred Hitchcock, 1946

     

     


    [1] François Truffaut, Le cinéma selon Hitchcock, Robert Laffont, 1966.

    « La dernière chance, Fat city, John Huston, 1972Le mouchard, The informer, John Ford, 1935 »
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