• Les frères Rico, The brothers Rico, Phil Karlson, 1957

    Les frères Rico, The brothers Rico, Phil Karlson, 1957 

    Georges Simenon a été adapté un peu partout dans le monde, en Italie, en Allemagne, aux Etats-Unis, et jusqu’au Japon, mais c’est surtout en France qu’il s’est imposé comme un grand fournisseur de véhicules pour le cinéma. Célèbre dans le monde entier, il s’était installé un temps aux Etats-Unis. Et si la plupart de ses ouvrages se passent en France, celui-ci va être situé aux Etats-Unis. Il est tout à fait de son temps puisque Les frères Rico parle de la mafia au moment même où, malgré les atermoiements de J. Edgar Hoover qui freine autant qu’il peut les enquêtes, l’opinion s’émeut de sa puissance occulte et réclame qu’on sévisse enfin contre une société parallèle qui mine la prospérité du pays et fait régner la loi du silence. Mais Simenon s’intéressait aussi au cinéma depuis longtemps, bien qu’il ne veuille par s’impliquer dans la production de scénarios. Ce qui veut dire que le film noir, s’il a été un grand consommateur des œuvres de Simenon, a eu aussi une influence sur son style et sur sa thématique. Ce n’est pas et de loin le meilleur de Simenon, mais je suppose que si les studios américains ont acheté les droits, c’est parce qu’il traitait d’un sujet sulfureux pour l’époque, de la mafia, de son organisation sur l’ensemble du territoire. Comme c’est du Simenon et non pas du Mario Puzo, il est à peu près certain que ce ne sera pas très animé, ni même très documenté, et que ça tirera plutôt du côté psychologique, c’est-à-dire des tourments de l’homme moderne face à la transformation sociale. Le label simenonien a aussi l’avantage de donner une forme intellectualisme et de sérieux à l’affaire. 

    Les frères Rico, The brothers Rico, Phil Karlson, 1957 

    Eddie Rico mène une petite vie bien tranquille en Floride, il possède une affaire prospère, une très belle femme et une grande villa. C’est un ancien comptable de la mafia. Celle-ci lui demande comme un service d’employer chez lui Joe Wesson qui doit se cacher de la police. Eddie doit accepter. Mais il doit aussi se rendre à Miami pour rencontrer Sid Kubik, un boss de la mafia auquel jadis la mère d’Eddie a sauvé la vie. En fait Kubik recherche les deux autres frères Rico car ils ont été compromis dans des assassinats, et sont une menace potentielle pour l’organisation si la police les arrête et qu’ils parlent. Johnny Rico a épousé Norah Malaks et le frère de celle-ci commence à transactionner avec l’attorney de New-York. Eddie est chargé de retrouver son frère Johnny pour lui faire quitter le pays. Il part à sa recherche à New York, puis à El Camino, où il le retrouve avec Norah qui est enceinte jusqu’aux yeux. Pendant ce temps on comprend que le syndicat a décidé de faire disparaitre Gino qu’Eddie avait brièvement rencontré. Mais il se trouve sous surveillance, et il comprend que tout cela n’est qu’un piège pour que le gang retrouve Johnny et le liquide. Mais il est trop tard, il ne peut pas intervenir, étant sous la gatde de Lamotta et Gomez. Tandis que Norah accouche, Johnny va être éliminé. Eddie se décide finalement à trahir la mafia. D’abord il échappe à la surveillance des hommes de Kubik pour mettre sa femme à l’abri. Puis, il revient vers le frère de Norah, il décide de prendre rendez vous avec le procureur. Mais Kubik et Phil le retrouve chez sa mère à New York. Eddie va se défendre et les tuer tous les deux. Après avoir aidé à démanteler le gang, il va enfin pouvoir revenir vers Norah pour adopter un enfant à l’orphelinat. 

    Les frères Rico, The brothers Rico, Phil Karlson, 1957

    Eddie doit engager dans son entreprise un homme de la mafia 

    C’est une histoire très confuse qui manque de cohérence. Simenon est trahi plus encore que dans la forme, sur le fond. En effet, le roman raconte l’errance désenchanté d’un homme qui s’épuise à essayer de comprendre ce qu’il doit faire et qui s’interroge sur son parcours mais aussi sur ses relations avec ses frères. Il subit, n’arrivant pas à se rebeller, et surtout il ne se vengera pas de Kubik. Egalement le héros de Simenon n’a pas l’intention d’adopter un enfant, il a déjà trois filles et cela lui suffit. Mais le pire est sans doute que dans le film Eddie devient un héros qui trahit pour le bien de tous. Cette fin stupide vide le propos de son sens. Si le roman nous présente Eddie comme un ponte de la mafia, un de ses rouages aussi tranquille qu’essentiel, dans le film, il est rangé des voitures et se tient à l’écart des gangs et de leurs hsitoires sordides. Le film part donc du portrait d’un gangster embourgeoisé qui vit dans le luxe et qui n’aime pas être dérangé, et puis il vire à l’apologie de la délation. Dans le roman, les gangsters étaient peut-être des assassins, mais en tous les cas ils n’étaient pas fourbes et vicieux, ils agissaient juste par nécessité de protéger l’organisation. Dès lors, alors que le frère Malaks est présenté dans le livre comme un opportuniste qui vend sa propre famille au procureur pour se faire une carrière, on passe ici sur ses déterminations personnelles. Le parralèle entre le roman et le film est intéressant parce que le premier s’arrête lorsque Johnny – qui dans le livre porte le prénom de Tony – est tué, tandis que le film invente une forme de rédemption pour Eddie. C’est donc, dans le roman, le portrait d’un homme vaincu et non pas comme dans le film un homme qui prend conscience de la nocivité du gang. Mais l’époque voulait sans doute que le délateur soit un héros d’un genre nouveau. C’était indispensable pour consolider le modèle américain. C’est pour cela que certains y ont vu un film anti-communiste.

    Les frères Rico, The brothers Rico, Phil Karlson, 1957

    Eddie tente de parlementer avec le frère de Norah 

    De là vont découler toute une série de niaiseries. Alors que dans le roman la mère n’a aucune illusion et qu’Eddie sait très bien que dans l’univers où ils ont grandi, le crime est leur seul avenir, ici elle est geignarde et prie la madonne. Et d’ailleurs c’est elle qui dans sa bétise va donner l’adresse de Johnny alors que dans le roman Eddie doit se donner du mal pour retrouver la piste de son jeune frère en allant au fin fond de la campagne pour interroger le père de Norah qui s’en fout de tout, y compris de sa fille et de ce qui peut bien lui arriver. Cette approche déséquilibre complètement le récit qui verse vers le film d’action. Il reste tout de même cette forme de haine particulière entre frères. On sait que Simenon avait un frère particulièrement détesté parce qu’il était le préféré de sa mère, et que ce frère nazi finit très mal en se faisant tuer en Indochine après s’être engagé dans la Légion étrangère pour échapper à des poursuites qui auraient pu le mener devant un peloton d’exécution. Comme quoi même un roman des plus ordinaires et apparence des plus éloigné de la vie de l’auteur est aussi pour partie une biographie[1]. Là ça devient beaucoup plus intéressant, mais le film suggère trop peu cette haine entre frères. Le scénario fait porter le chapeau de cette opposition entre Johnny et Eddie à la jeune Norah qui a déci dé d’amender Johnny et de le faire rentrer dans le droit chemin. Les femmes sont ici un peu des enquiquineuses qui ne comprennent pas bien ce qui se passe et qui continuent à faire des caprices malgré le dramatique de la situation. 

    Les frères Rico, The brothers Rico, Phil Karlson, 1957 

    Eddie essaie d’apprendre par sa mère où se trouve Johnny 

    Sur le plan cinématographique, c’est déjà du néo-noir, l’écran est plus large et les espaces moins étriqués. Il est beaucoup fait appel aux décors naturels. Phil Karlson filme la chaleur de Miami ou les lumières de New York. Cette modification dans la manière de filmer le noir est sans doute liée au fait que le temps ayant passé l’Amérique s’est beaucoup enrichie et donc qu’elle a bien moins besoin de dissimuler ses misères. La manière de filmer, vive et dynamique avec de beaux mouvements d’appareil, interroge sur la signification même de cet étalage de richesse matérielle, et donc en creux sur le vide de l’existence. Les éléments de la vie moderne, le téléphone ou l’avion, mettent en scène un homme perdu sans ses objets familiers, coupé des réalités de lui-même. En identifiant les individus par leurs accoutrements vulgaires, c’est bien d’une critique inattendue de la marchandise dont il s’agit. S’oppose ainsi la lumière éclatante de la richesse matérielle de la Floride et le côté sombre de la richesse de cœur de la mère d’Eddie qui vit petitement à New York. Comme quoi il y a parfois plus de fonction critique dans une image que dans un dialogue. Il y a de très belles scènes, notamment quand Eddie se débarrasse de Gomez dans les toilettes de l’aéroport de Phoenix, ou l’affrontement avec Norah. 

    Les frères Rico, The brothers Rico, Phil Karlson, 1957 

    Gomez et Lamotta gardent Eddie 

    C’est Richard Conte qui est la vedette de ce film. Il a tourné un nombre incalculable de films noirs, on peut dire que c’est le film noir qui l’a fait. Jusqu’à la fin de sa carrière il incarnera des mafieux, que ce soit dans The godfather ou dans un certain nombre de poliziotteschi. Ici il est très bien dans le rôle de cet homme qui évolue vers la compréhension de son destin, et qui au fil du temps se transforme. Les femmes sont la mauvaise part de la distribution, Dianne Foster est peu crédible dans le rôle d’Alice la femme d’Eddie. Il faut dire que le scénario hésite dans l’écriture de son rôle entre femmes capricieuse et trop gâtée par son mari, et l’épouse s’incèrement inquiète pour lui. Kathryn Grant n’est pas mieux lotie, elle incarne l’épouse de Johnny qui passe son temps à geindre, à s’évanouir et à emmerder le monde. Parmi les gangsters, Larry Gates dans le rôle de Sid Kubik est bon bien qu’il soit plus sou vent employé comme un « bob américain », mais surtout c’est Harry Bellaver dans le rôle de Lamotta qui est le plus intéressant. La mère d’Eddie est jouée par Argentina Brunetti. C’est une des rares interprêtes avec Richard Conte à être d’origine italienne. D’ailleurs Simenon mélange les noms pour laisser croire que la mafia – ou le syndicat – est un mélange d’origines ethniques différentes. Sans doute cela provient-il du lobby américano-italien qui montait au créneau chaque fois qu’on mettait en cause des Siciliens ou des Italiens. Dans le rôle du jeune frère promis à la mort certaine, il y a James Darren, un chnateur qu’on essayait de promouvoir star de cinéma à la manière de Bobby Darrin ou de Ricky Nelson, mais ça n’a pas fonctionné très bien. Il retrouvera Kathryn Grant et Phil Karlson dans Gunman’s walk, un très bon western avec l’immense Van Heflin[2]. 

    Les frères Rico, The brothers Rico, Phil Karlson, 1957 

    A Phoenix, Eddie tente de se débarrasser de Gomez 

    Comme on le comprend, ma critique est mitigée. A sa sortie, ni le public, ni la critique, n’ont été convaincus. Mais le film est intéressant pour l’évolution du film noir en général et aussi pour cette tentative un peu ratée d’adaptation d’une œuvre de Simenon au cinéma. L’ensemble est très bien soutenu par la photographie Burnett Guffey. On le trouve facilement sur le marché en DVD dans une bonne copie. 

    Les frères Rico, The brothers Rico, Phil Karlson, 1957 

    Phil et Kubik veulent en finir avec Eddie 

     



    [1] Patrick Rogiers, L’autre Simenon, Grasset, 2015. Georges Simenon avait aussi tenu avant guerre une rubrique intitulée Le péril juif.

    [2] Ce film est aussi une réflexion sur la famille comme l’était Broken lance d’Edward Dmytryk ou Backlash de John Sturges.

     

     

    « Qui veut la peau du cinéma ? L’Académie des Oscars !Le témoin silencieux, Key witness, Phil Karlson, 1960 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :