• Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972

     Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972

    Film de Burt Reynolds, avec Burt Reynolds, c’est pourtant et d’abord une adaptation d’Ed McBain, et l’acteur vedette reste relativement modeste dans celle-ci. Le roman de base est Fuzz, soit en argot la poule ou les poulets, la volaille, les bourres, c’est un épisode de la saga du 87th district. Cette saga, construite autour du personnage principal Steve Carella, comprend plus d’une cinquantaine de romans dont une grande partie sera traduite et massacrée par la Série noire, dus à la plume d’Ed McBain, auteur prolifique qui a écrit sous d’innombrables pseudonymes. Dans la vie civile, il s’appelait Salvatore Lombino, parmi ses signatures célèbres, il faut retenir au moins Richard Marsten et surtout Evan Hunter. Sous ce dernier nom il écrivit entre autres A matter of conviction, ou encore Blackboard jungle, romans qu’il adapta pour le cinéma, le premier pour John Frankenheimer[1], et le second pour Richard Brooks.  Il écrivit aussi le scénario de Birds pour Hitchcock et de l’excellent Strangers when we meet pour Richard Quine. C’est sous le nom d’Evan Hunter qu’il adaptera Fuzz, roman d’Ed McBain. Et, il faut être honnête quoi qu’on pense du film, il est très fidèle à ce qu’est le roman, il n’y a pas de trahison. L’histoire du polar retient surtout le nom d’Ed McBain plutôt que ces autres pseudonymes. La raison en est simple, il serait l’inventeur de cette forme particulière du police procedural[2]. Cette forme nouvelle – pour l’époque du moins – tentait d’allier une forme réaliste de la procédure policière, en l’alliant à une forme chorale du récit qui fait que les membres d’un même commissariat sont comme une entité unique, malgré leur diversité. Plus tard cette idée sera reprise par Joseph Wambaugh, qui portera le genre au niveau du chef d’œuvre. Une des originalités du genre sera d’utiliser l’argot spécifique des policiers, de donner une attention particulière à leur humour. Pour faire vivre cette entité, le 87ème district, Ed McBain met en scène des personnages récurrents, ce qui est bien commode pour un écrivain. Parmi ceux-ci il y a la femme de Carrella, Teddy, sourde muette, mais aussi Meyer Meyer un flic juif travaillé par sa judéité ou encore Arthur Brown, un noir, histoire de faire vivre un certain communautarisme. Les épisodes du 87ème district se situe dans la ville d’Isola qui est en fait New-York, mais sous pseudonyme ! Le film de Burt Reynolds transposera l’histoire dans la ville de Boston. Plusieurs épisodes du 87ème district ont été portés à l’écran, y compris en France, et il y a eu aussi une série télévisée au début des années soixante de 30 épisodes avec un certain succès.  

    Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972

    Tandis que Carrella tente de piéger des jeunes qui mettent la nuit le feu à des clochards, en se déguisant lui-même en cloche, le 87ème district reçoit des menaces d’assassinat. Les policiers doivent apporter de l’argent dans une gamelle et la déposer sur un banc, sinon un conseiller municipal mourra. Les flics du 87ème vont tenter de suivre celui qui vient chercher la gamelle, un nommé La Bresca, c’est un individu de faible envergure, un petit voyou. Carrella a été brûlé, il est à l’hôpital. Les flics n’ayant pas payé la rançon, le conseiller est abattu. Ils vont recevoir un autre message qui menace un autre conseiller. Par le porteur de message, les policiers apprennent que celui se trouve derrière ce chantage est un homme chauve et sourd. Là encore ils vont essayer de piéger celui qui vient chercher la gamelle. C’est en réalité un habitant du quartier qui a reçu cinq dollars pour aller chercher la gamelle. On apprend alors que le sourdingue monte une vaste entreprise de lever de fonds : en terrorisant la police et les habitants de la ville, il espère que les plus riches, au moins une partie d’entre eux vont cracher au bassinet. Pour cela il doit mener à bien l’explosion d’une bombe directement sous le lit du maire. Les deux premiers attentats sont seulement des leurres destinés à crédibiliser un chantage à vaste échelle. Pendant ce temps une autre partie de la police cherche à coincer La Bresca qui s’apprête à faire un mauvais coup contre un débit de boissons. Carrella et Kling vont se planquer à l’intérieur de la boutique. C’est en ce lieu que vont se rejoindre en fait La Bresca et son complice, le sourdingue et son équipe, et enfin les jeunes qui brûlent des clochards pour rigoler. Une fusillade éclate et Les bandits s’entretuent. Seul le sourdingue, blessé, s’échappe, mais il va finir sa course dans la rivière.  

    Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972 

    Le 87ème district reçoit des renforts de qualité 

    Comme on le voit, trois affaires animent principalement la vie du 87ème district. Elles sont d’importance différentes, allant du ridicule projet des jeunes de brûler des clochards jusqu’à poser des bombes pour terroriser les populations. Le film va donc oscillé entre l’approche du quotidien de la police et l’événement extraordinaire. Il s’ensuit un portrait d’une délinquance très diverse : les jeunes imbéciles qui font leur crise de puberté, les petits voyous ordinaires sans envergure, et enfin le brillant cerveau qui monte une arnaque très compliquée. Cette graduation dans la violence doit accroître la tension pour le spectateur. A cela se rajoutera les peintres qui se font coincer parce qu’ils ont volé du matériel au 87ème district où ils travaillent. Evidemment force restera à la loi et les méchants seront punis par des flics intègres. La prétention de ce film est donc de mêler la vie ordinaire et quotidienne des flics à des événements extraordinaires qui les dépassent – l’affaire du sourdingue. En ce début d’années soixante-dix, il y a un renouveau pour le film sur la routine de la police et son insertion dans la ville. Mais si la tendance est bien là, dans une volonté de décrire la ville d’une manie quasi-documentaire pour la montrer comme maléfique, tous les films n’ont pas la rigueur de French connection ou de Serpico par exemple. L’autre point est, à travers l’approche chorale de l’histoire, de tracer des portrait qui soient représentatifs de la diversité sociale de la ville, le juif, le nègre, la femme, etc. Ici ça vire un peu au catalogue, mais c’est comme ça dans le roman. Le but est de faire apparaître une forme de tolérance vis-à-vis de la diversité. C’est donc bien un film à message. Notez au passage qu’Ed McBain est assez obsédé par les handicapés : la femme de Carrella est sourde-muette, mais bonne, bien évidemment, tandis que le sourdingue est sourd, mais mauvais, la preuve, il porte un sonotone. Contrairement à certains épisodes du 87ème district, ici les policiers sont entièrement bons et font correctement leur travail. Le traitement des jeunes qui incendient des clochards est plus problématique : le film semble trouvé que c’est juste une sorte d’erreur de jeunesse, on s’amuse comme on peut et on fait des bêtises, alors qu’évidemment c’est un jeu plus que cruel, c’est un crime qui en dit long sur la mentalité de ces jeunes abrutis.  

    Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972 

    Les peintres travaillent à la remise en état des bureaux 

    L’introduction d’une femme comme policière à part entière est assez minorée, elle arrive comme un cheveu sur la soupe dans une brigade relativement structurée, mais si elle annonce bien la féminisation d’un corps particulièrement masculin, elle ne lui donne que très peu de place. C’est tout de même un début de la féminisation de la police dans le cinéma. Cependant le scénario n’arrive pas à lui définir un caractère particulier, sauf qu’à un moment elle donnera un coup de pied dans couilles de celui qu’il faut arrêter, et cela la mettra quelque part sur un pied d’égalité avec les hommes. Si le projet d’Ed McBain est de faire exister la brigade comme une entité particulière, c’est assez raté ici. Et c’est ça qui va poser des problèmes pour la réalisation, car si le scénario s’apparente à une juxtaposition de scènes de genre, il va falloir beaucoup de talent pour aller au-delà. Or évidemment Burt Reynolds n’est pas un réalisateur talentueux. Dans ce film il a pour lui de ne pas tirer la couverture à lui, on ne le voit pas trop. Mais le rythme est faible, ça se traîne. Déjà dans le livre l’histoire hésitait entre comédie et drame, ici aussi, et en multipliant les scènes « drôles » - comme Burt Reynolds et Jack Weston déguisé en bonnes sœurs, la tension disparaît complètement. 

    Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972  

    Kling répond à un appel du sourdingue 

    C’est assez platement filmé, avec une photo pâlichonne qui se veut plus près des choses de la vie, façon documentaire. Le cadre est souvent étriqué, et il y a un manque de mouvement de la caméra évident. Quelques scènes échappent un peu à ce conformisme général. Par exemple celle où La Bresca est pris en filature et va traverser un marché. Cela rappelle le film d’Hitchcock, Frenzy qui a été tourné la même année. On peut considérer que cela ne provient pas d’un plagiat de l’un ou de l’autre, mais plutôt de la nécessité d’aérer les films afin de leur donner un fond de vérité. Ce manque de profondeur de champ nuit énormément au projet de faire apparaître l’ensemble des flics du 87ème comme une entité singulière. Richard Colla a de fait très peu travaillé pour le grand écran, l’essentiel de sa carrière se fera à la télévision. C’est sans doute un handicap pour lui parce qu’il va au plus pressé, sans trop chercher à comprendre la grammaire cinématographique du film d’action. Le règlement de compte final est également assez mal filmé, c’est obscur, sans grâce et sans dynamisme. Le manque de fluidité et de dynamisme de la mise en scène, condamne le film à rester au niveau des intentions. 

    Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972 

    La Bresca est suivi par Brown 

    La distribution est plutôt bonne. Burt Reynolds, grosse vedette à cette époque là reste assez effacé, il n’est d’ailleurs pas toujours présent à l’écran. Ce » sont des interprètes de renom, mais il nous semble plutôt mal utilisés ; Raquel Welch à l’air de s’ennuyer, et même Yul Brynner n’a pas son charisme habituel. Seul Jack Weston dans le rôle de Meyer Meyer tire son épingle du jeu. Don Gordon dans le rôle du petit voyou de bas étage n’est pas mal non plus. Mais bon, même si Tom Skerritt n’est pas mauvais en tant que jeune inspecteur un peu brouillon, on ne trouvera dans tout cela rien d‘extraordinaire.

    Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972  

    Carrella et Meyer se sont déguisés en bonnes sœurs pour surveiller la gamelle

    Ce n’est donc pas un film remarquable, même s’il se laisse voir tout de même, avec quelques jolies vues du Boston des années soixante-et-dix pour les amateurs. Sans doute la difficulté vient de cette hésitation entre drame et comédie, et puis faire revivre l’univers complique d’Ed McBain n’est pas très facile, il eut fallu que le scénario soit moins paresseux.

     Les poulets, Fuzz, Burt Reynolds, 1972 

    Le sourdingue expose son plan



    [2] Cf. Jacques Baudou, Ed McBain et le police procedural, in, 87ème district, volume 2, Omnibus, 1999.

     

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