• Les seins de glace, Georges Lautner, 1974

    Les seins de glaces, Georges Lautner, 1974 

    Il est toujours très délicat pour un réalisateur français d’adapter un roman noir classique, surtout s’il est américain. Au-delà des difficultés de la transposition, il y a sans doute une certaine timidité à s’attaquer à des livres cultes, mais souvent le réalisateur considéré n’a pas une compréhension suffisante du genre, ne fait pas du film noir qui veut, c’est le cas par exemple des adaptations de Truffaut, notamment le calamiteux Vivement dimanche ![1] Ici il s’agit d’un roman de Richard Matheson. Au départ c’était Jean-Pierre Mocky qui devait le réaliser, avec Mia Farrow, puis ensuite avec Jane Birkin. Mais Alain Delon lui en rachètera les droits et produira le film lui-même. A cette époque-là il avait une liaison très intense avec Mireille Darc, et il cherchait pour elle un scénario qui la sorte un peu de ses sempiternelles comédies dans lesquelles elle s’étiolait un peu. C’est elle, selon la rumeur, qui aurait suggéré à Alain Delon d’engager Lautner avec qui elle avait travaillé plusieurs fois par le passé.   

    Les seins de glaces, Georges Lautner, 1974

    François Rollin se trouve sur la Côte d’Azur pour écrire des scénarios d’une série télévisée. Il s’ennuie un peu aussi, mais il va tomber sur une jeune femme, Peggy Lister, qu’il trouve intéressante et il va tomber amoureux. Rapidement les choses vont devenir compliquées : la mystérieuse Peggy affirme qu’elle est suivie, et laisse planer le doute sur ses véritables intentions. Elle ment aussi. Bientôt François qui est arrivé à se faire admettre auprès d’elle, est invité par le sulfureux avocat Marc Rilson qui tente de le mettre en garde contre Peggy, il lui explique qu’elle est folle et qu’elle a assassiné son mari. Mais François s’en moque et croit plutôt que Marc est jaloux, qu’il veut juste se débarrasser d’un rival. François va être agressé dans un immeuble qu’il visite pour trouver un logement pour Peggy. Mais peut après un autre crime est commis contre Albert, le domestique chargé plus ou moins de surveiller Peggy. Il est sauvagement assassiné à coups de ciseaux. Le doute n’est plus possible, cependant, outre que François est lui aussi soupçonné du meurtre, il s’entête dans son amour pour Peggy, lui proposant de partir très loin avec elle, pensant qu’ainsi elle oubliera un passé douloureux. C’est ensuite le propre frère de Rilson qui est assassiné, et cette fois rien ne peut dissimuler la vérité. Et tandis que la police se met en chasse de Peggy, celle-ci s’enfuit avec François. Marc, accompagné par le loyal Steig, va les rattraper au col de Turini. Il va intervenir au bon moment puisque Peggy s’apprête maintenant à tuer François. L’avocat va emmener la jeune femme folle et il la tuera pensant sans doute qu’elle n’a pas de possibilité un jour de guérir. 

    Les seins de glaces, Georges Lautner, 1974

    François tombe amoureux de Peggy 

    Le roman compliqué de Matheson est un roman d’atmosphère. Ecrit à la première personne, il reflète le point de vue de David Newton, un écrivain plutôt raté qui tout soudain se met à rêver d’une histoire d’amour avec une femme mystérieuse. Il en rêve d’autant plus que l’avocat de Peggy, Jim, celui qui l’a défendu quand elle a tué son mari, est aussi un ancien copain de collège… mais qui a réussi. Dans le film cette rivalité sera plus banalisée et ramené à deux hommes qui désirent la même femme. Le thème est celui d’un trio étrange : une psychopathe, un avocat qui bien que marié est amoureux d’elle, et un écrivain sans talent et probablement sans avenir. Si François s’entête malgré les mises en garde, c’est probablement par une sorte de défi, défi vis-à-vis de Marc l’avocat, et défi par rapport à Peggy elle-même qui, pense-t-il, n’osera pas le tuer tout de même. Peggy est une femme frigide qui ne couche avec personne, ce qui la rend sans doute attirante, et si dans le livre on a quelques raisons assez banales pour l’expliquer, le film fait l’impasse sur celles-ci. Cela empêche sans doute de donner un peu de profondeur à Peggy. Le dernier point est que seul l’avocat a une influence sur la jeune femme, c’est peut-être dans la relation entre elle et lui que se situe le plus intéressant de l’histoire. 

    Les seins de glaces, Georges Lautner, 1974 

    L’avocat Rilson met en garde Rollin et lui demande d’oublier Peggy 

    Le premier problème qu’on rencontre dans ce film, c’est la mise en scène. Lautner malgré ses succès commerciaux ne s’est jamais amélioré. Il filme toujours aussi platement, même quand il a à sa disposition des acteurs de premier plan. C’est typique dans Les seins de glace. Non seulement il ne sait pas utiliser les décors intéressants de son film, l’image n’a jamais de profondeur, mais en outre, sa caméra est assez peu mobile et quand elle l’est, c’est à contre-temps. Le cadre est généralement très étroit, comme à la télévision, et les dialogues sont filmés dans des face à face en plans rapprochés sans grâce. Selon Lautner le film a bénéficié d’un gros budget, et que cela l’aurait gêné. Il est vrai qu’il y a un luxe de décoration, mais sinon on ne voit pas très bien ce qui justifierait dans le film un gros budget, à part les salaires des vedettes bien sûr. Lautner a écrit aussi le scénario, et ce n’est pas toujours très heureux. Par exemple l’attitude du commissaire de police qui laisse faire Marc, tout en le prenant en chasse, n’est pas très claire. On notera qu’il y a plusieurs clins d’œil au film Les félins de René Clément. Alain Delon incarne à nouveau un « Marc », et l’entrée de la maison luxueuse de l’avocat ressemble à s’y méprendre à celle de la riche américaine Barbara. Mais Lautner n’est pas Clément ! 

    Les seins de glaces, Georges Lautner, 1974 

    Albert est à son tour assassiné 

    L’interprétation, c’est d’abord Claude Brasseur dans le rôle de l’écrivain de scénarios de séries télévisées, c’est lui le personnage central du film. On ne peut pas dire qu’il soit très bon. Il en rajoute beaucoup dans le genre extravagant. Sans doute n’a-t-il pas compris la profondeur de son personnage, il confond manifestement dérision et pantalonnade. Il met tellement de temps à comprendre qui est Peggy que cela en devient gênant. Mireille Darc est Peggy bien sûr. Elle a tourné une dizaine de films avec Lautner, certains ont été de très gros succès, et comme on l’a dit, c’est elle qui a voulu que ce soit Lautner qui la dirige. Ici, elle a beaucoup de mal à se glisser dans la peau d’une psychopathe frigide. Pire encore elle est assez peu crédible quand elle tombe sous le charme des paroles de son avocat. C’était un rôle sans doute trop difficile pour elle. Delon est évidemment le meilleur des trois, c’est un peu lui qui sauve le film de l’ennui, apportant une touche de mystère à un personnage curieux. Il est vrai que c’est l’avocat qui présente le profil le plus complexe : il protège Peggy avec qui il veut se marier, alors qu’il n’a pas encore divorcé, qu’il vit avec sa femme sous le même toit, et ira même jusqu’à la tuer par amour. Devant le commissaire il s’accusera des crimes de Peggy contre toute vraisemblance. Pour des raisons de calendrier, Delon préparait Borsalino and Co, c’est lui qui a été le moins présent sur le tournage, et pourtant c’est lui qui retient le plus l’attention. Les seconds rôles sont plutôt pas mal, André Falcon dans le rôle du commissaire, ou Nicoletta Machiavelli dans celui de la femme délaissée de Rilson. On regrette qu’elle ne soit pas plus présente. 

    Les seins de glaces, Georges Lautner, 1974 

    Steig vient refaire les valises de Peggy 

    L’ensemble reste assez étriqué. C’est je crois bien la seule incursion de Lautner dans le genre « noir », il préférera retourner à des comédies moins ambitieuses dialoguées par Audiard. Certains de ses films, avec Belmondo, seront de très gros succès commerciaux. Il tournera à nouveau avec Delon dans Mort d’un pourri en 1977, un polar avec un discours politique comme cela se faisait à l’époque, qui sera aussi un grand succès populaire. Les seins de glace a reçu un accueil plutôt bon de la critique qui trouvait excellent que Lautner puisse faire autre chose que des comédies. Le public a suivi aussi, mais pas tant que ça. Le fait que Delon soit relativement effacé, bien qu’il soit tête d’affiche, il n’est que le troisième rôle, a dérouté le public, mais aussi peut-être la prestation en demi-teinte de Mireille Darc est-elle une explication à ce succès commercial mitigé. 

    Les seins de glaces, Georges Lautner, 1974 

    La police surveille les conversations téléphoniques de Rilson 

    P.S. Le titre français est celui de la Série noire, c'est un jeu de mots qui renvoie aux Saints de Glace qui sont les Saints qu'on invoquait au mois de mai pour éviter que la récolte ne soit mauvaise. 

    Les seins de glaces, Georges Lautner, 1974 

    Peggy se laisse bercer par les discours de Rilson

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/vivement-dimanche-francois-truffaut-1983-a131098440

    « Robert Giraud, La petite gamberge, Denoël, 1961Film noir, Paul Duncan & Jürgen Müller eds., Taschen, 2017 »
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