• Luke la main froide, Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967

    Luke la main froide, Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967

    Au fil du temps c’est un film qui est devenu un classique. C’était une époque, les années soixante, où le cinéma américain se redéfinissait et retrouvait un peu de ses racines libertaires qu’il avait dû mettre entre parenthèse après la chasse aux sorcières qui avait failli le détruire et qui voulait le ravaler au rang de simple divertissement magnifiant l’optimisme frelaté de l’american way of life. Paul Newman a été une figure emblématique de ce mouvement de rébellion. Il était l’exact inverse de John Wayne. Beau garçon, il apportait le doute, il était le symbole de la défaite. Ce n’est pas lui qu’on aurait vu tuer des indiens les uns après les autres. Bien au contraire, malgré ses yeux bleus, lorsqu’il tourna un western, il fit Hombre, jouant le rôle d’un métis qui n’accepte pas la manière dont les blancs traitent ses frères. Il tourna aussi l’admirable film de Preminger, Exodus, à une époque où ce n’était pas encore la mode de cracher sur Israël au nom d’un antisionisme fumeux. The hustler, le superbe film de Robert Rossen qui fit beaucoup pour sa gloire[1], est aussi le portrait d’un perdant. C’est ce qu’il incarnait : un perdant. Gloire aux perdants ! Et ce fut encore le cas dans le beau film de George Roy Hill Butch Cassidy and Sundance kid. Ensuite la mode des perdants passa avec la remise en ordre du capitalisme mondialisé. Les grandes vedettes devinrent presque naturellement des brutes bodybuildées, Sylvester Stalone ou Arnold Schwarzenegger qui démontraient que la réflexion sur la condition humaine n’était plus à l’ordre du jour et que seule payait l’efficacité. Bien sûr des acteurs comme De Niro ou même Pacino sont restés en marge de cette nouvelle tendance qui aurait pu faire passer John Wayne pour un intellectuel. John Wayne parlons-en. C’était ce que détestait ouvertement Paul Newman, il tourna un film WUSA, sous la direction de Stuart Rosenberg sans doute uniquement pour mettre en scène un fasciste arrogant et borné nommé John Wayno ! L’allusion était plus que transparente. Cool hand Luke est par ailleurs un film de prisonnier, dans la longue tradition des films de prison ou de bagnards, le modèle étant I am a Fugitive from a Chain Gang de Mervyn LeRoy en 1932, avec l’excellent Paul Muni. Et c’est un film noir, très noir même, malgré des couleurs magnifiques, ou peut-être même à cause d’elle.  

    Luke la main froide, Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967

    Lucas Jackson est un ancien vétéran de l’armée. Une nuit, ayant trop but, il se met à couper les têtes des parcomètres. Arrêté, il passe en jugement et se trouve condamné au bagne pour deux ans. C’est un endroit très dur, dirigé d’une main de fer par le Captain. La moindre incartade est punie par des matons aussi méchants que bornés. Dans cet univers de prisonniers, il faut travailler dur à l’entretien des routes, et les relations ne sont pas faciles. Luke va se prendre de bec avec Dragline qui joue un peu le rôle de leader dans la chambrée. Dragline est un rude gaillard, grand, fort, il affronte Luke dans un match de boxe improbable. Malgré sa défaite, Luke été Dragline vont devenir amis. Quelques temps plus tard, la mère de Luke, très malade, vient le voir comme pour lui faire ses adieux. Les hommes s’ennuient, et pour passer le temps, Luke parie qu’il peut manger 50 œufs en une heure de temps. Il y arrivera. Il devient de plus en plus le leader, très apprécié des autres forçats, il s’amuse à battre des records dans la confection du sablage de la route. Les choses se gâtent lorsque Luke apprend la mort de sa mère. Pour l’empêcher d’aller à l’enterrement, le Captain l’enferme dans la boîte. Luke en ressortira amer avec comme seule idée de s’évader. La première tentative ne dure pas, il est passé par le plancher du dortoir, après l’avoir scié, mais il va être repris rapidement. La seconde fois, il ira un peu plus loin, après avoir brouillé sa piste pour les chiens à qui il a fait respirer du poivre. Par défi, il envoie une photo de lui avec deux belles filles. Il devient une légende. Mais pourtant il va être encore une fois repris. Cruellement battu, il va finir par mimer la soumission. Humilié par les matons, ses compagnons de détentions se détournent de lui. Mais ce n’’est qu’une partie remise. Il va s’évader à nouveau au volant d’un camion du bagne, après avoir pris les clés des autres véhicules. Dragline va le suivre dans cette entreprise désespérée. Luke se retrouve dans une église et manifeste ouvertement contre un Dieu absent et peu clément. L’église est cernée, Dragline tente bien de le faire sortir en lui promettant la vie sauve, mais Boss Godfrey l’assassine d’une balle dans le cou. 

    Luke la main froide, Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967 

    Un soir d’ivresse, Luke démolit des parcmètres 

    Le scénario est adapté d’un roman de Donn Pearce, et ce dernier a participé directement à son écriture. On sait peu de chose de cet auteur un seul de ses romans est traduit en français. Ce fut un homme d’aventures, il a bourlingué un peu partout dans le monde, il a même été arrêté à Marseille et fait de la prison en France. Il fut ensuite cambrioleur, perceur de coffres-forts. L’esprit du roman n’est pas trahi, bien qu’il y ait quelques différences notables. Tout d’abord, dans le roman, Luke est un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, et il a vingt-huit ans. Ce qui fait que l’action se passe au maximum vers le milieu des années cinquante. Or dans le film, l’époque est assez peu marquée, et en 1967, il est probable que les bagnes de ce type avaient disparu. Dans l’ouvrage la mère de Luke n’est pas à l’article de la mort, et elle se présente debout. Le fait que la mère soit mourante et ne puisse se déplacer que couchée au fond d’une camionnette,  accroit la tension dramatique. Plus fondamental, dans le roman on apprend beaucoup de choses qui explique la personnalité rebelle et pessimiste de Luke : son père était un pasteur puritain, très dur, et qui est parti sans crier gare, ce qui sans doute explique qu’il déteste autant l’hypocrisie de la religion ; Luke a aussi connu le traumatisme des campagnes guerrières en Italie, puis en Allemagne. Egalement, alors que le livre est écrit à la première personne,  et donc   explicite comment la légende de Luke s’est formée, le film est tourné du point de vue de Luke, et non du point de vue du regard que les autres prisonniers portent sur sa personne. Le roman est un long flash-back. Mais pour le reste c’est très fidèle. 

    Luke la main froide, Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967 

    Luke entraîne les prisonniers à finir le travail avant le terme 

    Si ce film très populaire connait un succès très soutenu depuis sa sortie en 1957, il le doit, entre autres, à la densité de son sujet. A bien y regarder, c’est une parabole du Christ. Luke est le messie qui est envoyé pour éclairer les hommes par son martyr. Dans l’ouvrage  c’est très explicite, et sa venue est d’ailleurs annoncée par un journal qui s’envole et vient s’échouer aux pieds du narrateur. Il sera crucifié sur la table où il a mangé des œufs, mais plus encore, s’il doute de l’existence de Dieu, c’est bien parce qu’il a été abandonné par lui d’une manière injuste. Luke est évidemment le rebelle par excellence qui ne comprend pas l’importance de la hiérarchie et de la discipline, ces deux notions sont seulement la justification d’une cruauté naturelle. Mais si l’ensemble du personnel pénitentiaire est mauvais et stupide, les prisonniers ont de vraies qualités humaines qui se trouvent en tâtonnant. Il y aura ainsi de belles scènes de solidarité lorsque Luke s’isole au moment de la mort de sa mère, lorsque les prisonniers l’aide à finir son assiette pour lui éviter un séjour dans la boîte. Il y a aussi la légende de Luke, comment elle se crée et se diffuse, et comment elle s’évanouit. On ne lui pardonnera pas de se soumettre. Cette image en fait aide les bagnards à conserver une certaine dignité. 

    Luke la main froide, Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967 

    Luke a gagné son pari 

    Evidemment ce film possède aussi de belles qualités cinématographiques. Ce réalisateur discret avait auparavant mis en scène l’excellent Muder, inc.[2]. Tourné en Panavision, Rosenberg utilise au mieux les décors naturels. C’est sensé se passer en Floride, il y fait donc chaud et les fossés sont remplis de serpents. La belle photographie de Conrad Hall saisi parfaitement cet espace particulier, aussi bien dans sa profondeur de champ que dans ses couleurs et donc sa lumière. Au-delà des formes géométriques que Rosenberg développe, le cadre est parfait, il y a aussi de très beaux mouvements de caméra, dans la construction de la route, ou dans les discours verbeux été dérisoires du Captain. Le long défilé des camions à l’aube, la paisibilité des chants des bagnards dans leurs rares heures de repos sont filmés dans des plans d’ensemble qui donnent beaucoup de vie à l’histoire. Il y a également pas mal de science dans le parcours que fait la caméra en traversant à plusieurs reprises le dortoir des prisonniers. 

    Luke la main froide, Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967 

    Luke est repris après sa première évasion 

    L’interprétation est excellente. Evidemment Paul Newman, pour qui le film est fait, est remarquable. C’est un de ses plus beaux rôles de perdant magnifique. Il était à cette époque le prince d’Hollywood, si le très décevant Torn curtain d’Hitchcock avait été l’année précédente un échec  commercial et critique, Hombre avait été un triomphe. Cool hand Luke aurait plus lui valoir d’ailleurs l’Oscar du meilleur premier rôle. Mais bien qu’il fut nominé, la statuette lui échappa au profit de Rod Steiger pour son rôle de cabotin dans In the Heat of the Night. George Kennedy par contre obtint l’Oscar du meilleur second rôle. Il est aussi excellent, maîtrisant parfaitement tous les aspects de son personnage, à la fois brutal et naïf. S’il était déjà connu comme un solide second rôle, avec Cool hand Luke, il changea de dimension. Jo Van Fleet n’avait qu’un tout petit rôle, celui d’Arletta la mère de Luke auquel elle donne beaucoup d’émotion. Ce film a beaucoup de grâce et tous les acteurs sont très bons, donnons tout de même un coup de chapeau à l’excellent Strother Martin qui apporte juste ce qu’il faut de cruauté imbécile au rôle du Captain, il se fera encore plus remarqué par la suite chez Peckinpah. . On reconnaitra aussi les silhouettes des très bons Dennis Hopper et Harry Dean Stanton. Notez qu’il n’ a pas de rôle de femme : Arletta est juste une mère souffrante, et cette jeune femme au gros seins qui nettoie sa voiture en excitant les bagnards, est plus une image qu’une réalité.

    Luke la main froide, Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967  

    A sa deuxième évasion, il va être durement puni 

    Curieusement négligé en France par la critique à sa sortie qui trouvait Cool hand Luke trop simple, c’est un film décisif dans le re nouveau d’Hollywood à la fin des années soixante, il accompagne directement la montée des idées libertaires aux Etats-Unis. On ne peut pas se rendre compte aujourd’hui de l’importance de la critique féroce de la religion qu’il sous-tend. Il y a bien sûr aussi cet idéal de liberté : quelles que soient ses fautes, un être humain à vocation à s’évader dès lors qu’il se trouve enfermé. Depuis sa sortie ce film a fait son chemin, il est devenu une telle référence qu’il a été adapté aussi pour le théâtre, ce qui peut paraître curieux, parce que prendre la place de Paul Newman dans ce rôle paraît périlleux, tant celui-ci l’habite avec grâce. Paul Newman s’est très bien entendu avec Stuart Rosenberg, ils feront encore trois films ensemble. WUSA qui fut un échec cuisant[3], le curieux Pocket money, et puis une nouvelle aventure du détective Harper, The drowning pool.  

     Luke la main froide, Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967 

    Luke mime la soumission pour mieux préparer une nouvelle évasion 

    Les années passent, et Luke reste dans nos cœurs. On peut voir et revoir ce film autant de fois qu’on le veut, il n’a pas pris une ride. On a la chance maintenant de le trouver en Blu ray, ce qui permet d’apprécier un peu plus peut être la qualité des images. Mais on est tellement pris par l’histoire qu’évidemment on n’a pas beaucoup de temps pour admirer la beauté des paysages ! Et ce qui ne gâche rien, la musique est excellente. 

    Luke la main froide, Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967 

    Dans l’église désaffectée, Luke s’adresse directement à Dieu

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/l-arnaqueur-the-hustler-1961-a114844798

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/crime-societe-anonyme-murder-inc-stuart-rosenberg-1960-a114844704

    [3] Ce film est assez difficile à trouver aujourd’hui. Il vaut pourtant le détour.

    « Psychose, Psycho, Alfred Hitchcock, 1960Le justicier dans la ville, Death Wish, Michael Winner, 1974 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :