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Psychose, Psycho, Alfred Hitchcock, 1960
C’est un des films les plus célèbres d’Hitchcock. Mais ce n’est généralement pas le film préféré des fans de ce réalisateur. La renommée de Psycho est portée d’abord par les amateurs de Gore et de films sur les serial killer, qui aiment bien le côté folie ordinaire qui règne sur cette histoire et qui aiment à se faire peur avec un peu tout et un peu rien. Moins consensuel que North by Northwest, il a d’ailleurs bénéficié d’un budget moins conséquent, et d’acteurs moins prestigieux. Le budget de Psycho a été de 800 000 $ contre 3 millions $ pour North by Northwest. Son rendement s’est construit au fil du temps, par exemple en France North by Northwest avait fait 4 millions d’entrées, et Psycho seulement 2 millions. Pourtant au fil des décennies, Psycho aura généré 50 millions de $ de recettes contre 30 pour North by Northwest.
Marion Crane est une jeune femme qui travaille péniblement dans une agence immobilière de Phoenix pour un petit salaire. Elle a une liaison compliquée avec Sam Loomis, un commerçant du coin qui tarde à se décider de l’épouser pour des raisons financières. Un vendredi après midi, alors que son patron est en train d’effectuer une transaction importante, elle décide de voler sur un coup de tête les 40 000 $ qu’elle doit remettre à la banque. Elle s’enfuit avec l’argent, quelques vêtements et sa voiture. Après quelques péripéties, un agent de police la trouve louche, elle change de voirure, elle atterrit par temps de pluie au Motel Bates complètement désert. Elle y est accueillie par Norman Bates qui prétend vivire ici tout seul avec sa mère. Il se montre aimable, quoiqu’un peu tatillon et lui propose de lui faire à manger. Marion réfléchit et pense qu’elle a fait une grosse bétise en prenant l’argent, elle voudrait repartir pour Phoenix. Elle décide de passer la nuit à l’hôtel et de retourner ensuite. Mais tandis qu’elle prend sa douche, elle est assassinée par une femme mystérieuse à grands coups de couteau. Norman vient peu après nettoyer la scène du crime et embarquer tout ce qui appartient à Marion, il met également el cadavre dans la voiture, et va perdre le tout dans les marais pas très loin du motel. Mais cette disparition va susciter l’inquiétude. Le patron de Marion lance un détective à ses trousses, promettant de ne pas porter plainte si elle rend l’argent. Et puis c’est la sœur de Marion, Lila, qui va annoncer la disparition à Sam en lui demandant ce qu’il est advenu de sa sœur. Arbogast, le détective va les interroger. Puis il prend la décision de visiter tous les motels alentour, jusqu’au moment où il va tomber sur celui de Norman Bates. Il se rend compte que marion est bien passée par là. Mais l’interrogatoire de Norman tourne court. Arbogast téléphone à Lila pour lui dire ce qu’il a trouvé et lui annoncer qu’il va tenter d’interroger la mère de Norman. Mais justement en y allant, il se fait à son tour assassiner. Ne le voyant pas revenir, Lila et Sam vont partir à leur tour sur les lieux du crime. Ils vont interroger Norman qui leur parait très louche, puis ensuite le shérif qui leur annonce que la mère de Norman est morte. Voulant pénétrer à tout prix dans la maison, alors même que Sam fait la conversation à Norman, Lila va trouver une maison vide. Entre temps Norman va se débarrasser de Sam, et revenir à toute allure vers la maison. Lila tente de se cacher, mais pour cela elle va descendree à la cave où elle va découvrir un cadavre embaumé. Celui de la mère de Norman. Alors que celui-ci tente de la tuer, Sam arrive et la sauve du pire. Norman est arrêté. On apprendra que c’est lui qui a tué sa propre mère et l’amant de celle-ci et que cela est lié à sa propre enfance.
Marion Crane se fait poignarder sous le douche
Le scénario est basé sur le solide roman à succès de Robert Bloch[1]. Lui-même s’étant inspiré plus ou moins vaguement de l’affaire Ed Gein qui en 1945 avait défrayé la chronique par les atrocités que celui-ci avait commises. Si on retrouve des traces des thématiques privilégiées par Hitchcock, le sujet en lui-même est plutôt atypique. D’abord parce que cette histoire se passe au milieu d’une population ordinaire. Je ne suis pas sûr de ne pas me tromper, mais il me semble bien que c’est le seul film dans lequel Hitchcock s’intéresse à des petites gens qui gagnent petitement leur vie. En règle générale, il s’intéresse plutôt à des gens qui ont des positions sociales élevées. Est-ce pour cela qu’il n’y a pas d’acteurs de premier plan ? Est-ce pour cela que le budget est relativement faible ? L’aspect glamour qu’on trouve dans tous les films d’Hitchcock, du moins après la guerre, est soigneusement gommé. Mais quel est véritablement le sujet du film ? Le portrait d’un homme qui a sombré dans la folie ? Ou celui d’une femme, Marion Crane, qui a succombé à l’attirance pour l’argent. En tous les cas, on va retrouver quelques obsessions hitchcockiennes, d’abord cette domination d’une mère sur son fils – même si elle n’est pas présente. Et du reste les femmes sont toujours autant dangereuses, la mère de Norman l’a poursuivi au-delà de la mort en s’emparant de son esprit. Mais l’imprévisible Marion amène le danger aussi bien pour Norman que pour sa sœur et son amant. Norman Bates, à cause de sa mère, refuse son propre désir pour les femmes qu’il punit de la mort. On apprendra en effet qu’il n’a pas tué seulement la pauvre Marion, et Arbogast mais également deux jeunes filles innocentes. Comme à chaque fois, Hitchcock flirte avec le thème de l’homosexualité, sans l’aborder vraiment[2]. Hitchcock qui n’en manquait pas une, méprisait ouvertement l’ouvrage de Robert Bloch, disant qu’il n’avait retenu de l’histoire que la scène de la douche[3], il supposait que son sujet n’avait aucune importance et que seuls comptaient les exercices de formes qu’il pouvait en tirer. Il semblait même vouloir dire que son film était un film expérimental, qu’il l’avait tourné avec les moyens et les techniques d’une équipe de télévision. Mais certainement le fait que ce soit à l’origine un roman de Robert Bloch y est pour beaucoup dans la pérennisation du succès du film. En effet Bloch est un romancier populaire très respecté qui a été un auteur prolifique dans la science-fiction, le fantastique ou le roman noir. Il est une icône de la culture de la marge.
Arbogast interroge Sam et Lila
La réalisation est plutôt soignée. Tout le monde a retenu la scène du meurtre sous la douche. Le bavard Hitchcock s’en montrait très fier, suggérant qu’il avait démontré avec elle comment on pouvait manipuler l’émotion des spectateurs par l’image. Mais la réalité semble un peu plus compliquée. En effet elle aurait été réalisée à partir des story board de Saül Bass que celui a montré plusieurs fois[4] ! Cette scène des plus admirées par les hitchcockiens ne serait finalement pas de lui ! Passons. Bien qu’on puisse lui reconnaître une certaine efficacité, elle n’est pourtant pas déterminante pour l’ensemble. Il y a aussi la scène du meurtre d’Arbogast dans l’escalier. Hitchcock nous dit qu’il était malade, et que c’est Saül Bass qui l’a remplacé ! Mais le résultat était trop mauvais, toujours selon Hitchcock, et il fallut la retourner. Personnellement je trouve cette scène plate et mal filmée. La manière dont tombe Arbogast est empruntée et peu crédible, il tombe avant même que le poignard ne le frappe, et filmer la scène d’en haut, n’apporte pas grand-chose, si ce n’est la confusion. Mais cela n’enlève rien à l’ensemble qui est plutôt bien rythmé. Tourné en écran large, avec une belle image de John L. Russel. Peu habitué de l’univers hitchcockien, il avait pourtant une certaine expérience du film noir. La caméra est suffisamment mobile pour trouver des mouvements d’appareil intéressants quand Hitchcock ne cherche pas à épater son public. Bien sûr il y a des transparences assez négligées, comme la conduite en voiture sous la pluie, ou même la sortie de Phoenix par Sam et Lila. Mais cette négligence est apparemment la marque de fabrique d’Hitchcock. Les histoires d’opposition entre la verticalité de la maison et l’horizontalité du motel qui plaisaient tant à Truffaut et à Hitchcock ne me semble pas non plus ajouter quelque chose d’important au récit. On peut trouver que la mise en scène est propre dans son ensemble, mais elle n’est pas forcément très originale et remarquable. Les scènes où l’on voit le flic suivre en voiture Marion sont redondantes.
Norman Bates voit le détective arriver
L’interprétation est intéressante. Janet Leigh est remarquable, star sur le déclin, ce sera son dernier rôle important. C’est elle qui occupe tout le devant de la scène pendant presque la moitié du film – elle ne meurt pas au tiers du film comme on le dit souvent. C’est son personnage de voleuse qui culpabilise qui donne un aspect film noir à Psycho. Anthony Perkins est excellent. Il change de personnalité au fil du dialogue : séduisant quand on abonde dans son sens, méchant dès qu’on le contrarie. Contrairement à ce qu’on dit ce n’était pas son premier rôle important. Il avait déjà joué dans des grosses productions, sous la direction de William Wyler, de Robert Mulligan ou d’Anthony Mann. Mais ce rôle le marquera tellement qu’il l’exploitera jusqu’à la corde dans des suites médiocres, des improbables retours, Psycho2, Psycho3 qu’il mettra en scène lui-même, et même encore Psycho 4. Il a donc fait de Norman Bates un personnage à part dans le film d’épouvante, une franchise particulière qu’il a détournée à son profit ! Martin Balsam est Arbogast, le détective, soupçonneux et bon enfant, méthodique. Il est aussi très bon, mais Martin Balsam est toujours très bon. Et puis il y a l’insipide John Gavin dans le rôle de Sam. Ce n’est pas tellement un acteur, mais plutôt une gravure de mode, un porte costume. Vera Miles n’est pas mal dans le rôle de la sœur angoissée. On prend du plaisir à retrouver John McIntire dans le rôle du shérif, même s’il ne sert à rien pour faire progresser l’histoire. Le très bon Simon Oakland boucle le film en jouant le docteur Richmond qui explique dans une scène peu crédible des histoires de dédoublement de la personnalité. On retrouve les tendances hitchcockiennes à faire de la psychanalyse de comptoir, un peu comme dans Spellbound. Donnons une mention particulière à la prestation de la propre fille d’Hitchcock, Patricia, qui joue le rôle de la copine de bureau de Marion.
Arbogast veut interroger la mère de Norman
Sans être un film désagréable à regarder, l’ensemble laisse une impression de vide, d’un manque d’épaisseur des personnages, même celui de Norman, sauf peut-être celui de Marion. Sans doute les petites astuces d’Hitchcock qui doivent faire peur ne fonctionnent pas vraiment dès lors qu’on connait déjà l’histoire, et donc cela plombe un peu les visions ultérieures de l’œuvre. Le personnage de Ed Gein n’a pas seulement inspiré celui de Norman Bates, mais également celui de The Texas Chain Saw Massacre, le film de Tobe Hooper en 1974, et peut être aussi The silence of the lambs, de Jonathan Demme en 1991. Ces deux derniers films sont une exploration de la logique particulière du tueur en série, et eux aussi ont eu énormément de succès au point d’en susciter des suites et des remakes. Comme Psycho, ils appartiennent à cette sous-culture qui s’attarde sur ces personnages de déviants extraordinaires.
Sam et Lila vont à la recherche de Marion et d’Arbogast
A sa sortie, le film eut des critiques assez mitigées, surtout aux Etats-Unis. Les entrées par contre furent bonnes, bien qu’au départ de moitié inférieures à North by Northwest. L’enthousiasme ne vint qu’après, avec le temps. Mais près de soixante ans après, c’est le film d’Hitchcock qui a rapporté le plus d’argent, et la critique d’aujourd’hui n’ose même plus dire quelque chose d’un petit peu négatif, d’émettre quelque réserve. Ce film a été encensé par la Nouvelle Vague, Chabrol et Truffaut en tête. Ce qui n’empêcha pas ces ceux hypocrites de cracher sur le cinéma de papa trop emprunté et conditionné par le tournage en studio. Or ce que ces deux cuistres critiquaient chez Autant-Lara, Clément et quelques autres, c’est justement ce qu’ils ne savaient pas faire eux-mêmes, ce qu’ils n’ont jamais su faire, mais aussi c’est ce qu’ils admiraient tant chez Hitchcock. En 1998 Gus Van Sant, cinéaste de second ordre, fit un remake du film. En couleurs, il s’était appliqué à refaire tous les plans à la manière d’Hitchcock. On se demande quel peut être l’intérêt d’un tel projet aussi saugrenu. Ce fut évidemment un bide noir très mérité.
Lila croit avoir vu quelqu’un dans la maison
Ed Gein qui inspira le personnage de Norman Bates, et à gauche sa maison
[1] Il existe en français deux versions de cette œuvre, l’une est le roman proprement dit, l’autre la novellisation du film d’Hitchcock.
[2] Hitchcock emploiera souvent des acteurs homosexuels, Cary Grant, Anthony Perkins, John Gavin.
[3] François Truffaut, Le cinéma selon Hitchcock, Robert Laffont, 1966.
[4] http://www.ulyces.co/news/saul-bass-secrets-scene-de-la-douche-de-psychose/
« La mort aux trousses, North by northwest, Alfred Hitchcock, 1959Luke la main froide, Cool hand Luke, Stuart Rosenberg, 1967 »
Tags : Hitchcock, Anthony Perkins, Janet Leigh, serial killer, Robert Bloch
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