• Marie Octobre, Julien Duvivier, 1959

     Marie Octobre, Julien Duvivier, 1959

    Les quatre films que tournera Duvivier après Voici le temps des assassins seront de solides succès commerciaux. Dans cette série, il y a du bon et du moins bon. Pot Bouille est considéré comme une adaptation originale du roman d’Emile Zola, même si quelques grincheux ne l’aiment pas. C’était la deuxième fois que Duvivier s’attaquait à Zola qui lui convenait très bien puisque les questions d’hérédité qui étaient le fonds de commerce du naturalisme de Zola est une autre image de la fatalité. L’homme à l’imperméable avec Fernandel est une parodie de film noir, ce qui explique que je ne l’ai pas retenu dans cette série, bien qu’il soit basé sur un roman noir de James Hadley Chase. La femme et le pantin avec Brigitte Bardot est considéré comme un ratage parfait, y compris par Duvivier lui-même, le roman de Pierre Louÿs ayant été complètement transformé par les producteurs pour des raisons très obscures, encore que sur le plan commercial ce fut une bonne affaire. Et puis il y a cette Marie-Octobre. C’est un véhicule parfait pour Danielle Darrieux que Duvivier appréciait beaucoup – il n’était pas le seul dans la profession. Ce film va devenir un modèle du genre par son succès, Le repas des fauves de Christian-Jaque en 1964, ou encore Le jeu de la vérité de Robert Hossein en 1961. Robert Hossein reprendra un peu le même thème au théâtre avec la complicité de Frédéric Dard pour Six hommes en question. Marie-Octobre, de par sa structure, aurait pu être inspiré d’une pièce de théâtre, il n’en est rien, à l’origine il s’agit d’un roman de Jacques Robert publiée en 1948. L’auteur était un journaliste et écrivain qui avait eu cette particularité d’être le seul Français a pouvoir descendre dans le bunker où Hitler se serait suicidé, ce qui lui donna l’idée d’écrire un ouvrage sur le thème de l’évasion d’Hitler[1]. Mais il a beaucoup produit, des romans, des pièces de théâtre et il fut un scénariste à succès, Le désordre et la nuit de Gilles Grangier, ou encore L’affaire Nina B pour Robert Siodmak. Il a travaillé aussi pour Georges Lautner, notamment sur la série à succès du Monocle. La pièce fut montée ensuite parce que le film avait eu une excellente diffusion dans le monde entier, elle était signée d’ailleurs des noms de Jacques Robert, Julien Duvivier et Henri Jeanson. Elle fut jouée pendant de longues années et le film donna lieu à un remake particulièrement insipide pour la télévision en 2008 avec Nathalie Baye, signé Josée Dayan. Jacques Robert fit aussi quelques incursions dans le roman d’espionnage, la célèbre série du Monocle, ou encore Peau d’espion porté à l’écran par Edouard Molinaro. Jacques Robert dut donc un scénariste important, travaillant dans un registre intermédiaire entre cinéma commercial et cinéma d’auteur. 

    Marie Octobre, Julien Duvivier, 1959 

    Marie-Hélène Dumoulin et François Renaud-Picart on décidé de réunir dans la maison de ce dernier les rescapé du réseau Vaillance, quinze ans après que celui-ci ait été décapité par la Gestapo. Ils sont donc une dizaine. Mais rapidement il apparaît que Marie-Octobre qui dirige maintenant une prospère maison de couture, a pour objectif de découvrir la personne qui a trahi. Elle suppose que le traitre est parmi eux. Les convives sont partagés, pour les uns il est trop tard, ils ont tous réussi leur vie. Pour les autres, il faut punir le traitre qui a envoyé leur chef Castille à la mort. Yves Le Gueven qui est devenu prêtre mais qui auparavant avait eu une vie des plus dissolue, défend la thèse du pardon. Bernardi ancien truand devenu patron de boîte de nuit est au contraire pour lui régler son compte, de ses propres mains s’il le faut. Les aves vont cependant revenir sur l’idée de savoir qui est le traitre. Selon Marie-Octobre elle a reçu le témoignage d’un visiteur allemand qui lui a confirmé que le traitre était un des membre du petit groupe qui s’était réuni la nuit de la tragédie. Mais il n’a pas donné le nom. L’assemblée va tenter de se remémorer les événements du passé. Simmoneau n’était pas là, il avait été chargé d’une mission à Saint-Malo, Blanchet non plus, il était alité. On va voté pour savoir vers qui se portent les soupçons. Presqu’unanimement c’est Simoneau qui est désigné. Mais malgré son passé proche de l’extrême-droite, il arrive à se disculper. Bientôt les discussions tournent autour d’une somme d’argent, trois millions de l’époque, qui aurait été volée. Le vol pourrait être aussi le mobile de la trahison, Marie-Octobre signifiant que Castille connaissait le nom du voleur. On réclame des comptes à chacun, par exemple au docteur Thibauld à qui on demande comment il a pu s’acheter un cabinet important, ou comment Bernardi a pu s’acheter une boîte de nuit importante. Ils se justifient, mais Rougier l’imprimeur n’explique pas comment il a pu acheter une imprimerie de grande dimension. Les soupçons se portent sur lui qui se trouve dans l’obligation d’avouer qu’il nourrissait lui aussi une passion pour Marie-Octobre, mais il détourne ces soupçons en mettant en cause Marie-Octobre qui avait une liaison avec Castille et donc des problèmes de jalousie avec lui. Elle va cependant se justifier. L’ultime coup de théâtre arrive lorsque Marie-Octobre annonce que l’Allemand qui lui a livré l’information est dans la maison, et qu’il connaît le visage du traitre. Lorsque des pas descendent de l’escalier, Rougier prend peur, s’empare du révolver et tente de s’enfuir de la maison. Mais Bernardi le désarme. On demande alors à Rougier de signer ses aveux. Ce qu’il fait. Mais lorsqu’il demande qu’on lui laisse la vie sauve, tous se détournent de lui. Il finira par se suicider et Marie-Octobre appellera les gendarmes pour signaler qu’on a tué un homme. Elle déchirera ses aveux comme pour signifier qu’elle regrette tout ce théâtre qui a abouti à la mort d’un homme.   

    Marie Octobre, Julien Duvivier, 1959

    Marie-octobre est le centre de toutes les attentions 

    L’intrigue peut paraître très simple et beaucoup n’ont retenu que cette mécanique de la recherche d’un coupable. C’est la méthode du roman à énigme. Tout un chacun à des raisons d’être le coupable, mais au fur et à mesure qu’on avance il ne restera qu’un coupable potentiel. Si chacun peut être le traitre, cela signifie qu’ils ont tous une double personnalité, et que chacun cherche à camoufler une partie de sa vie pour des raisons diverses et variées. Même Marie-Octobre l’héroïne du réseau sous le prétexte de démasquer le traitre cherche en réalité à se venger de celui qui l’a privée de sa passion amoureuse. Ils sont tous dans l’ambiguïté. Simoneau est un avocat célèbre, mais avant-guerre il était très proche des milieux d’extrême-droite et même pour Franco. Mais à travers tous ces portraits, il y a un ton qui domine, c’est celui de la critique du résistancialisme. Tous les participants à ce film n’ont jamais été impliqués ni de près ni de loin dans la Résistance, Duvivier ou Jacques Robert, et la quasi-totalité des acteurs qui avaient continué à travailler pendant l’Occupation. Participer à ce film était donc aussi une manière de se dédouaner. En 1960 Bernard Blier tournera encore dans Arrêtez les tambours de Georges Lautner qui déploiera un peu la même rhétorique. Il y a donc un biais politique qu’on ne peut pas s’empêcher de remarquer, une volonté de rabaisser la Résistance puisqu’au fond ce ne sont que des hommes ordinaires que l’histoire a forcé quelque part à prendre part à des actions héroïques. On retrouvera cette thématique anti-résistancialiste d’une autre manière dans des films à succès comme Un taxi pour Tobrouk de Denys de la Pateillère avec des dialogues de Michel Audiard. 

    Marie Octobre, Julien Duvivier, 1959

    Marinval est surpris de voir Le Gueven s’être fait curé 

    Mais une fois qu’on a enlever ce contexte que reste-t-il ? Il reste deux thèmes importants. D’abord le thème du temps qui passe et qui transforme toute chose. Lorsque quinze ans après cette dizaine de personnes se retrouve pour un repas qui devrait être joyeux et fraternel, ils se découvrent transformer par leur propre prospérité. Les temps de paix les ont retransformés en personnages ordinaires sans idéal et sans ambition. Pire encore ils ont du mal à se reconnaître dans ce qu’ils sont eux-mêmes devenus. Que leur reste-t-il en commun ? Rien ou pas grand-chose, d’autant plus qu’ils finissent tous par se soupçonner les uns les autres. De vieilles rancunes, des jalousies, ressortent alors inévitablement. Démasquer le traite devient alors nécessaire pour ressouder le groupe autour de Marie-Octobre ; C’est le second thème qui affleure, la femme est ici celle qui réunit et celle qui divise. En effet c’est d’abord elle qui organise la réunion, mais elle est aussi aimée et appréciée pour elle-même et c’est dans cet amour que les autres communiquent. Mais elle les sépare parce qu’en évoquant l’idée d’un traitre parmi l’assemblée, elle oblige chacun des convives à prendre position contre les autres dans une ronde infernale. En ranimant les vieux démons du passé, elle crée le chaos. Seul le prêtre qui a renoncé aux femmes après en avoir été une sorte de jouet, semble à l’abri de ce tumulte, il votera blanc et tentera de dissuader les autres de pousser le traitre au suicide. On a déjà vu ça dans de nombreux films de Duvivier, la femme qui dissous l’amitié virile et la solidarité entre hommes. C’est sans doute là, plus que dans ses manœuvres douteuses que se révèle l’ambiguïté de Marie-Octobre. Et c’est là que Duvivier rejoint la thématique du film noir. 

     Marie Octobre, Julien Duvivier, 1959

    Rougier rappelle à Marie-Octobre le bon vieux temps 

    Quoiqu’on pense de l’intrigue, la mise en scène est somptueuse et le film est une nouvelle leçon de cinéma. C’est un huis-clos, avec une unité de temps et une unité de lieu. Donc un seul décor suffira à l’ensemble, hormis la scène de l’arrivée tardive du début de Marinval le boucher. Le décor a été construit en studio par Georges Wakhévitch, décorateur prestigieux qui avait déjà travaillé avec Duvivier sur La tête d’un homme. Ce décor est assez compliqué parce que c’est grâce à lui que Duvivier va pouvoir filmer d’une manière qui ne ressemble pas à une pièce de théâtre. Il fallait que les plafonds et les cloisons soient mobiles pour donner cette sensation de profondeur de l’espace et faciliter les mouvements de caméra. La manière de multiplier les angles de prise de vue est assez stupéfiantes, c’est ce qui donne de la vivacité au récit. Duvivier comme à son habitude multiplie les plans d’ensemble en saisissant une logique de groupe, souvent en utilisant la grue, comme quand il isole Simoneau du reste du groupe, ou alors des travelling-avant rapides pour pénétrer à l’intérieur du groupe et en dévoiler l’intimité. La scène finale qui voit Rougier écrasé et cerné par ses anciens amis, oppose la foule haineuse à l’homme seul et désarmé. 

    Marie Octobre, Julien Duvivier, 1959

    Renaud-Picart va expliquer les raisons de cette réunion 

    Mais Duvivier sait aussi travailler les gros plans, il y en a de très nombreux pour traquer la vérité sur le visage ou dans les expressions des uns et des autres. Mais ce sont des plans brefs dont le montage accélère le rythme. La caméra se rapprochera progressivement des larmes de Marie-Octobre quand Rougier évoquera ses relations conflictuelles avec Castille, tournant autour du visage pour en faire ressortir la contradiction intime de cette femme en apparence très froide. Mais soyons clairs, il y a aussi dans ce film des incongruités dommageables pour la continuité du récit. D’abord les séquences inutiles où on voit Marinval faire mine de s’intéresser plus au combat de catch retransmis par la télévision qu’aux querelles entre ses amis. C’est sensé aérer le récit, mais ça l’alourdir au contraire. On peut toujours regarder ces séquences comme une critique de la télévision qui commence à envahir l’espace des relations publiques et livrer une concurrence déloyale au cinéma, mais ce n’est guère convaincant. Il y a aussi le faux suspense final de l’Allemand qui est sensé démasqué le traitre, alors qu’en vérité il s’agit d’un piège un peu simplet pour forcer le coupable à se démasquer lui-même. C’est une grosse faiblesse du scénario. Il y en a d’autres d’ailleurs par exemple l’intrusion du témoignage de Victorine qui confond 1942 et 1944 et qui ne fait en rien progresser le récit. 

    Marie Octobre, Julien Duvivier, 1959

    Tout le monde se demande ce qu’on fera du traitre une fois démasqué 

    Le style choral du film réclame bien évidemment une distribution haut de gamme. Bien que Danielle Darrieux soit seule en haut de l’affiche, tous les autres acteurs sont aussi importants qu’elle. Duvivier qui l’adorait et qui l’avait déjà utilisée dans Pot Bouille ne tire pas la couverture à elle. Dans le rôle de Marie-Octobre elle est excellente, épatante, vocabulaire d’époque conviendrait mieux. Bien qu'elle ait été inquiétée à la Libération pour ses compromissions avec les Allemands, elle a un accent de vérité intéressant.

    Femme résolue et froide, elle mène sa vengeance jusqu’au bout, bien qu’elle laisse de temps à autre montrer quelque faille dans ce cloc. Elle a l’élégance de la Parisienne des années cinquante et c’est ce qui va expliquer qu’elle va être rapidement débordée par de nouvelles actrices comme Brigitte Bardot ou Marina Vlady, à la beauté plus sauvage et plus moderne aussi. Bien qu’elle soit le pivot du film elle ne le domine pas pour autant. Derrière elle on va trouver Paul Meurisse dans le rôle de l’industriel qui se paie le luxe d’organiser chez lui cette confrontation. Il est bon par intermittence, mais il est souvent un peu absent. Les longues tirades qu’il débite d’une seule traite donneront sans doute l’idée à Melville de l’employer dans Le deuxième souffle. 

    Marie Octobre, Julien Duvivier, 1959

    Simoneau est désigné par tous comme le traître 

    Bernard Blier est égal à lui-même, il cabotine un peu, mais il arrive dans le rôle de Simoneau à faire passer la peur qui prend l’avocat lorsqu’il est acculé et menacé d’être désigné comme traitre. Lino Ventura est presque naturellement Bernardi, un ancien truand, un ancien catcheur. Il était à cette époque encore un débutant si je puis dire, à l’orée d’une brillante carrière, mais il a un charisme exceptionnel et un ton toujours juste. Paul Frankeur dans le rôle de Marinval en fait des tonnes, c’est le rôle qui le lui impose. C’est dommage car il était un grand acteur. On a également l’excellent Robert Dalban dans le rôle de Blanchet, toujours égal à lui-même. Noël Roquevert est affublé d’un complément capillaire pour jouer le receveur des impôts, dans toute sa rigidité morbide.  Et puis il y a Serge Reggiani dans le rôle important du traitre. Il a l’habitude c’est déjà le rôle qu’il tenait dans Les portes de la nuit de Marcel Carné. Il est assez peu convaincant. Il l’était plus dans Au royaume des cieux. Daniel Ivernel sera le médecin Thibaud qui a hâte de sortir de cette épreuve et Paul Guers le curé à la vocation tardive. En dehors de Lino Ventura se sont tous des acteurs de théâtre, et on sait la passion de Duvivier pour eux. On remarquera aussi l’excellente Jeanne Fusier-Gir dans le petit rôle de la gouvernante Victorine qui perd un peu la tête. 

    Marie Octobre, Julien Duvivier, 1959

    Rougier met en cause Marie-Octobre 

    Le film fut un grand succès commercial, la critique fut plus partagée. Mais c’est un film qui se revoit encore très bien. Récemment restauré, il nous permet de profiter de l’excellente photo de Robert Lefebvre. On doit le retenir comme une grande leçon de cinéma car tenir en haleine le spectateur à partir d’une intrigue finalement assez mince relève du tour de force. Si ce n’est pas un des meilleurs Duvivier, ce n’est certainement pas un des plus mauvais. Il y a tout de même une forme de pessimisme très intéressante et bien dans la lignée de son œuvre. Il faut évidemment le voir et le revoir. 

    Marie Octobre, Julien Duvivier, 1959

    Rougier a pris le révolver 

    Marie Octobre, Julien Duvivier, 1959

    Rougier demande la pitié



    [1] Jacques Ribert, L’évasion d’Hitler, Editions du Rocher, 1989.

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