• Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974

     Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974

    Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez rien sur Andrea Bianchi, spécialisé dans le cinéma de genre à l’italienne, qui se perdra dans les méandres douteux de la réalisation des films pornographiques qui en même temps que l’émancipation sexuelle de l’Italie, marquait aussi les débuts de l’effondrement programmé de son système de production cinématographique. Mais dans les années soixante-dix, alors que la France le boudait et en avait seulement pour les « grands noms » du cinéma italien, Fellini, Scola, Risi et quelques autres, le poliziottesco et le giallo, ces deux branches du film noir à l’italienne, s’exportaient encore très bien, principalement aux Etats-Unis, et aussi en Allemagne et en Espagne. Le cinéma de genre, comme le jazz, ce sont toujours les mêmes thèmes déclinés avec plus ou moins de talent. Quelli que contano est un film curieux qui, s’il est un film de mafia, est aussi un western et plus encore une variation sur le thème de Rashomon, comme The Magnificient Seven était une variation westernienne sur Les sept samouraïs de ce même Kurosawa, ce qui en dit long sur la fécondité du cinéma japonais d’après-guerre, avant que le cinéma hollywoodien l’écrase, comme il le fera finalement avec toutes les cinématographies nationales, qu’elles soient mexicaine, française ou italienne. La référence la plus immédiatement perceptible, c’est Per un pugno di dollari de Sergio Leone. D’ailleurs Andrea Bianchi va emprunter des tics de mise en scène à ce réalisateur, sans toutefois aller jusqu’à cette excessive lenteur un rien chichiteuse. C’est un film de mafia, et un film de mafia sicilienne, il empruntera donc aussi quelques éléments aux deux premiers épisodes de The Godfather, mais aussi à des réalisateurs comme Elio Petri et Damiano Damiani. 

    Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974

    L’autopsie révèlera que le cadavre de l’enfant est rempli d’héroïne 

    Un couple avec un enfant qui semble malade dans les bras passe la douane à la frontière franco-italienne. Mais il a un accidenté mortel. Les médecins vont découvrir qu’en réalité l’enfant était mort et que son cadavre contenait des étuis d’héroïne. La police suit l’affaire. Mais en Sicile Don Cascemi est menacé par la guerre des gangs que se livre les familles de Don Ricuzzo et de Don Turi. Il se fait enlever par les hommes de Don Turi, mais Tony Aniante qui revient d’Amérique où il s’était exilé, veille sur lui et tue les assaillants. Don Cascemi envoie alors Tony sur les lieux mêmes de la querelle entre les deux familles. Il s’installe au village et se heurte directement aux hommes de Don Turi. Il est obligé de jouer des poings. Sur la route qui mène chez Don Turi, les hommes de Don Ricuzzo attaquent un chargement qui lui était destiné. Mais Tony veille, récupère le chargement et se fait apprécier par Don Ricuzzo. Don Ricuzzo n’a pourtant pas confiance en lui, et s’il accepte que Tony dorme chez lui, il ne l’associe pas à la vengeance qu’il se promet envers Don Turi. Entre temps, il couche avec la femme de Don Ricuzzo, Marge, qui apparaît complétement nymphomane. Elle viole presque Tony, qui lui fait un sort pour ne pas qu’elle crie. En réalité son mari est plus ou moins consentant. C’est une ancienne prostituée, et lui-même jouit de ses exploits avec un peu tout le monde. 

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    Don Cascemi a engagé Antonio Aniante 

    Tony va cependant offrir ses services à Don Turi, après avoir sauvé la vie de son neveu Zino, un handicapé. Il va se mettre à manipuler aussi ce clan par l’intermédiaire de Paolo qui est amoureux de Carmela, l’employée qui s’occupe de l’handicapé. Il va faire prévenir Don Turi de l’attaque que Don Ricuzzo projette sur l’équipe de Don Turi. Puis les hommes de Don Turi vont à leur tour subir une attaque du clan adverse quand ils doivent recevoir une cargaison de drogue. Les pertes sont énormes, et Don Turi va y laisser la vie. Don Ricuzzo a compris le rôle trouble que Tony joue et il le pourchasse, avec d’autant plus de hargne que cet invité inopportun a battu Marge à coups de ceinture, la défigurant. Tous ces hommes le recherches. Ils finissent par le capturer dans le village, ils le jettent en bas d’une falaise, le laissant pour mort, mais il ne l’est pas, et Zino l’aide à s’en sortir. Il va ensuite attaquer la propriété de Don Ricuzzo où il doit affronter toute la bande, mais en vérité il a amené des hommes avec lui qui ouvrent le feu et décime le gang. Il achève lui-même Don Ricuzzo. On apprend qu’il travaillait la main dans la main avec Don Cascemi, mais qu’en réalité il poursuivait de sa haine celui-ci parce qu’il avait dans le temps tué ses parents. il le fait abattre et prend la tête du gang qui est ainsi passé sous sa coupe.  

    Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974

    Tony va s’installer au village 

    Évidemment les esprits chagrins nous diront que ce film manie le poncif et le lieu commun d’une manière lourde. La Sicile représentée par un paysan qui tire un âne à travers des ruelles mal pavées. Des hommes de main en casquettes et portant de vagues tromblons comme armes pour faire la guerre. Bref une représentation de cette île et de sa culture tout à fait dévalorisante. Ils n’auront pas tort. Mais le réalisme n’est pas la préoccupation d’Andrea Bianchi, d’ailleurs on ne chercherait pas plus de naturalisme dans les westerns spaghetti que les Italiens tournaient à cette époque. De même la Sicile reconstituée par ce film est, à quelques images près volées du côté de Palerme, filmée du côté de Rome !  L’intérêt est ailleurs. Les deux scénaristes, Sergio Simonetti et Piero Regnoli, sont des prolétaires du cinéma de genre, ils travaillent vite et bien, à la commande. Ce qui les intéresse, c’est le parcours d’un homme qui va assouvir une vengeance compliquée en préservant ses propres intérêts. Il élimine en réalité trois chefs mafieux pour prendre leur place, se servant dans un premier temps de la vendetta entre Don Ricuzzo et Don Turi, pour finalement atteindre sa cible. 

    Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974

    Les hommes de Don Ricuzzo ont attaqué le chargement de Turi 

    Une des idées de Bianchi est de présenté la Sicile des années soixante-dix comme une île remplie de paysans arriérés et malveillants. Cette Sicile c’est celle qu’on voit dans le premier épisode de The Godfather, quand Michael Corleone doit s’exiler après le meurtre de McCluskey, mais cela se passait dans les années quarante, pas dans les années soixante-dix ! Un des hommes de la bande à Don Ricuzzo joue d’ailleurs de la guimbarde. Cet anachronisme vise à renforcer la distance entre l’Italie, disons jusqu’à Roma et le Sud, particulièrement de la Sicile. Déjà dans ces années-là, même si la mafia était violente, elle n’agissait plus comme ça. Cette opposition est renforcé par le fait que Tony est censé avoir passé de longues années aux Etats-Unis, il s’est donc élevé au-dessus de la crapule ordinaire, d’ailleurs, il porte un costume – toujours le même – et une cravate. Les hommes de la bande à Don Turi se moqueront de lui, son élégance étant trop connoté de tendances féminines. 

    Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974

    Don Ricuzzo met ses hommes en ordre de bataille 

    Tony est un grand traumatisé, il a tellement souffert ,qu’il ne peut plus souffrir, et il ne garde son sang-froid que parce qu’il a décidé que sa seule et unique mission était la vengeance et devenir le patron d’un gang qui traficote l’héroïne. Mais intérieurement il est habité par le feu. On le verra quand il s’agit de punir la nymphomane Marge. Il ne manifeste aucun sentiment, qu’il défende un handicapé, ou qu’il donne de l’argent au jeune couple sur lequel il s’appuie. On comprend qu’il est comme mort, sans passion et sans colère. Parmi les obstacles qu’il rencontre sur le chemin de la vengeance, il y a Marge justement, la femme ! Sa sexualité débordante est la pire chose qu’il affronte. Elle menace même de partir avec lui. Elle est une figure mythique de la dangerosité féminine ! Dans cette histoire d’hommes qui doivent prouver à tout instant leur virilité, elle dérange clairement. Curieusement le scénario contourne le problème de la question de la famille sicilienne, seul Don Turi peut correspondre un peu à ce schéma, mais sa femme est folle et il n’a pas de fils capable de le seconder dans ses querelles avec Don Ricuzzo. 

    Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974

    Un homme de Don Ricuzzo menace de tuer le neveu de Don Turi 

    Dans ce royaume des ombres, la question du pourquoi ne se pose pas. Seule le « comment » compte. Don Ricuzzo parlera de sa vendetta avec Don Turi pour dire qu’il a oublié le pourquoi de leur querelle et encore qu’une paix aurait été possible entre les deux clans si Don Cascemi n’avait pas aggravé la situation. Ces clans sont tous marqué par la ruse et la fourberie, leurs chefs ne faisant confiance à personne. Don Cascemi signera sa perte justement pour avoir fait trop confiance à Tony. L’ensemble de ces personnages semblent toujours jouer un rôle, non pas parce qu’ils sont incarnés par des acteurs de cinéma, mais parce qu’ils sont décrits comme doutant de leurs propres motivations. L’action est alors la parade pour éviter de se poser des questions sur la pertinence de leurs agissements

    Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974

    Marge veut se faire sauter par Tony 

    Malgré le caractère assez sommaire des personnages et de l’histoire, la mise en scène est intéressante. D’abord les décors sont bien choisis, ça aide, mais ils sont très bien filmés, notamment lorsque la bande de Don Ricuzzo poursuit Tony dans le vieux village de pierres, ou encore quand il arrive village pour s’y installer. Il y a une belle verticalité qui accentue le côté pénible de ce mode de vie. Également l’arrivée de Tony chez Don Ricuzzo, conduisant une petite charrette chargée de cerises, donne du cachet, avec de belles couleurs, des rouges intéressants. Les demeures des deux Don qui se font la guerre sont aussi tout à fait dans le ton de cette chaleur, de cette transpiration sicilienne. Le grand écran, c’est du 2,35 :1, donne un peu de lustre à un budget qui nous semble un peu maigre 

    Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974

    La bande de Don Turi attaque celle de Don Ricuzzo 

    La discussion avec le curé du village est, semble-t-il, un passage obligé d’un film qui se passe en Sicile. On ne coupe pas non plus au costume de velours de Don Ricuzzo. Mais c’est un film d’action, avec des poursuites de voitures, et des bagarres, façon western. C’est assez propre, même si ça manque un peu de rythme, et les coups de poing ont du mal à partir, les affrontements sont assez mal chorégraphiés. Andrea Bianchi multiplie les scènes de violence cruelle : une tête coupée qui roule sur le sol, une autre tête qui est passée à la scie circulaire par une femme folle, Marge qui est violée plusieurs fois par Tony, puis battue à coups de ceinture. Le cinéma de genre italien, et le cinéma de Pasolini seront des laboratoires pour le développement du sadisme à l’écran, je parle ici de sadisme au sens philosophique du terme. On verra Marge jouir de se faire sodomiser au milieu d’un tas de viande de cochon. Certes on a fait pire par la suite, mais pour l’époque cette sorte de sadisme n’était pas si courant. Pour épaissir le mystère, on met en scène un sifflet qui inquiète ceux qui vont être tués ! C’est un vieux tic qui date de M – Eine Stadt sucht einen Mörder de Fritz Lang. 

    Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974

    Don Ricuzzo aime que Marge lui raconte ses turpitudes 

    L’acteur principal de cette histoire, c’est Henry Silva dans le rôle d’Antonio Aniante. Plus monocorde et statique que lui, c’est difficile. Son inexpressivité a fait sa gloire, particulièrement en Italie, pays où il a accédé aux premiers rôles. Il transpire beaucoup, sa chemise est trempée, et son costume bleu, malgré ses avanies reste toujours assez propre. Mais comme il interprète un homme au sang-froid, dans émotion, tout ça, ça passe. Son physique très particulier l’aide beaucoup. Barbara Bouchet est Marge, toujours égale à elle-même, n’ayant peur de rien, encore qu’ici elle soit assez économe dans la démonstration de ses appâts. Elle est cependant affublée d’une perruque assez étonnante. Les deux Dons qui se font la guerre sont très bons, Fausto Tozzi dans le rôle de Don Ricuzzo est toutefois plus présent que Mario Landi dans celui de Don Turi. Le reste c’est du tout venant des poliziotteschi de cette époque. 

    Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974 

    Don Ricuzzo et sa bande tentent de s’approprier la cargaison destinée à Don Turi 

    Ce film n’est pas un chef-d’œuvre, mais il n’est pas mauvais contrairement à ce qu’en dit Roberto Curti dans Italian crime film filmography, 1968-1980[1]. Je crois que Curti lui reproche surtout de mélanger un peu les genres. S’il a trouvé difficilement son public à l’exportation, il a par contre été un succès solide en Italie même. Aux Etats-Unis il était sorti sous le titre carrément idiot de Cry of a Prostitute. 

    Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974

    Tony s’est fait coincer par les sbires de Don Ricuzzo 

    Quelli que contano, Andrea Bianchi, 1974

    Tony achève Don Ricuzzo



    [1] McFarland, 2013

    « Le fantastique et la science-fiction comme représentation de l’OccidentPeine capitale, Yield in the Night, J. Lee Thompson, 1956 »
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