• 8 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999

     8 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999

    A la fin des années 90, l’Amérique s’enfonçait dans une crise morale qui se traduisait par des films néo-noirs qui reflétaient une vision glauque et pessimiste de l’avenir. C’était déjà le cas de Show girls dont nous avons parlé précédemment, mais c’est sans doute encore plus le cas de 8 mm. En effet, le film est d’une telle noirceur qu’il se situe au-delà du réalisme ordinaire des films qu’on classe généralement dans la catégorie néo-noir. En vérité on retrouve déjà ce genre de thématique avec Hardcore de Paul Schrader en 1979. En quelque sorte ce genre de film va couvrir les années Reagan dont l’optimiste feint ne peut masquer le délabrement économique et social de l’Amérique. Le renouveau de l’Amérique, c’est-à-dire son apaisement moral devra curieusement attendre les années Clinton et l’amélioration sensible de la conjoncture économique. Bien entendu, il ne faut pas chercher un message politique explicite ou implicite dans ce film, mais il y a au moins une correspondance assez nette entre le développement d’une époque tourmentée et les réalisations filmiques destinées à satisfaire un public plus ou moins voyeur de ses propres errements. 

    8 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999 

    Tom est engagé par la veuve d’un milliardaire 

    Tom Welles est un détective marié qui a une petite fille. Il est obsédé par son travail et néglige un peu sa famille. Il s’est construit cependant une bonne réputation. Un jour la veuve d’un milliardaire lui propose d’enquêter sur un film qu’elle a retrouvé dans le coffre-fort de son mari. Le film montre une jeune fille qui se fait assassiner. Mme Christian lui demande de retrouver cette fille, elle veut savoir s’il s’agit d’un simulacre ou de quelque chose de plus sordide, un snuff movie. Tom va donc partir de ce que montre le film, retrouver laborieusement l’identité de la jeune fille, puis remonter la piste dans l’univers de la pornographie crasseuse californienne de ceux qui l’ont assassinée. Au fur et à mesure que son enquête avance, il va devenir lui-même une sorte de vengeur avec pour but de punir ceux qui ont tué cette malheureuse jeune fille. Il remontera jusqu’à un réalisateur aussi raté que fou et dégénéré qui utilise la puissance maléfique d’un certain Machine qui n’opère que cagoulé. Pour cela il va s’allier à un jeune homme, Max California, qui travaille dans un sex shop et qui va le guider dans l’univers crasseux du porno SM. Il obtiendra gain de cause, mais au prix d’un traumatisme dont il aura du mal à se défaire dans l’avenir. Le scénario est de Kevin Walker qui a eu pas mal de succès en travaillant pour David Fincher, notamment sur Seven et sur The game. Il s’est fait une spécialité de mêler une forme de réalisme trash à des formes évoluant vers le fantastique. C’est également lui qui a fait le scénario de Sleepy Hollow de Tim Burton. 

    8 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999 

    Tom partira d’un film pour retrouver une jeune fille assassinée 

    Il y a pourtant un sentiment de déjà-vu. Cette histoire en rappelle plusieurs autres. D’abord Hardcore qui était aussi une dérive dans un univers plutôt glauque et dérangeant. Mais il est aussi par son esprit proche du film de William Friedkin, Cruising, qui date de 1980 et qui parlait de la contamination d’un inspecteur de police qui côtoyait en permanence le mal dans le milieu trouble des homosexuels. Le message du film de Joel Schumacher n’est cependant pas très clair. En effet face au mal absolu que représente la pornographie SM qui plonge dans le crime, il semble nous opposer la stabilité de la famille représentée par la femme et la fille de Tom, comme si les turpitudes présentées à l’écran étaient le résultat de la dissolution de celle-ci. Les pornographes criminels sont sans famille, et la jeune fille assassinée souffrait elle-même de ne pas avoir de père et de vivre dans une famille recomposée. La fin du film passe pas mal de temps à montrer que pour exorciser ses démons, Tom doit d’abord se transformer en véritable vengeur avant de revenir balayer la pelouse de son jardin. Les motivations de ces pornographes ne sont pas explicitées, il est dit que cela est inutile : ils sont mauvais, arrogants, et ils aiment ça ainsi que le confessera le sinistre Machine. L’idée est qu’on ne peut s’en sortir qu’en les éradiquant définitivement de la surface de la terre. C’est donc un message assez peu nuancé. 

    8 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999 

    Il a retrouvé la mère de la jeune fille assassinée 

    Mais ce n’est pas là le seul défaut du film. Il y a d’abord un manque de rythme évident. Ça se traine assez bien. Et je ne dis pas ça en pensant à la nécessaire longueur de l’enquête proprement dite puisqu’on comprend bien qu’une enquête de ce type ne peut être que longue et difficile. C’est plutôt que la caméra s’attarde trop sur les tourments qui affecte Tom. L’autre point important est la faible utilisation des décors extérieurs. On passe en effet de Miami à Los Angeles et de Los Angeles à New York sans que l’atmosphère change trop. Certes on comprend bien que Schumacher a voulu donner une allure un peu claustrophobe à son film, mais il eut pu mieux contextualiser l’histoire en la renvoyant à son insertion géographique, ce que savent faire très bien les réalisateurs de séries télévisées par exemple. La crasse esthétisante dans laquelle baigne le film apparaît alors particulièrement artificielle. Cela donne nécessairement une image assez plate, un manque de profondeur de champ. L’autre point très critiquable est le côté voyeur du film qui s’exprime curieusement sans rien montrer, juste en suggérant ! On pourrait dire qu’il s’agit là d’une sorte d’escroquerie morale. Schumacher n’a jamais été un bon cinéaste, cinéaste tape à l’œil, il n’est pas connu pour sa subtilité. Cela se traduit ici par la lourdeur des scènes familiales avec les lancinantes menaces de la femme de Tom, Amy, qui somme son mari en permanence de quitter son métier et de s’occuper de sa famille. C’est pleurnichard en diable, et surtout assez illogique puisque sa femme ne travaillant pas, Tom est bien obligé d’aller au charbon. 

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    Max California travaille dans un sex shop 

    C’est une distribution assez haut de gamme. A cette époque Nicolas Cage qui venait de tourner le tourmenté 8mm s’engagea dans le projet de Scorsese, Bringing Out the Dead, dans un rôle tout aussi déjanté. Il avait un beau palmarès, ayant tourné sous la direction de son oncle, Francis Ford Coppola, plusieurs films dont le très beau Peggy Sue got married, mais aussi sous celle de David Lynch ou encore de Brian de Palma, c’est seulement dans les années 2000 qu’il devint le roi du navet. Ici il est assez insignifiant, il en fait trop dans le genre tourmenté, les grimaces sont assez malvenues. Il hésite entre le détective à l’ancienne, persévérant et honnête jusqu’à la mort, et l’enquêteur qui ne sait plus pourquoi il travaille sur une affaire qui le tue. Il ne manifeste pas assez sa rage devant tant de turpitude et d’immoralité.

    Il y a le jeune Joachim Phoenix qui est évidemment très bien dans le rôle d’un musicien de rock raté qui va donner son amitié et sa vie pour Tom. James Gandolfini est aussi excellent dans le rôle du salaud Eddie Poole. Peter Stormare est étonnant aussi dans le rôle du dégénéré Dino Velvet. C’est un habitué des rôles de débiles profonds, cruels et sans avenir et qui fait presque toujours tuer avant la fin du film. Amy Morton incarne la malheureuse Mme Mathews avec beaucoup d’émotion et d’intensité. Il est regrettable qu’elle n’ait pas poursuivi sa carrière au cinéma. Le ratage de cette distribution, c’est sans doute Catherine Kenner dans le rôle de la femme éplorée de Tom. Mais il faut dire qu’un tel emploi est impossible à jouer. 

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    Tom est piégé par Dino Velvet et Eddie Poole 

    Malgré un budget de 40 millions de dollars, qui a mon sens n’est pas justifié par ce qu’on voit à l’écran, le film obtint un succès très moyen. Sans doute cela provient-il d’un mélange des genres, un côté gore assez mal assumé, une histoire de détective assez classique et une analyse des fantasmes de l’Amérique de la fin des années 90. Peu de scènes intéressantes peuvent être retenues, peut être celles des rencontres entre Tom et la pauvre Mme Mathews. Les moments où Tom espionne Eddie Poole, ou encore quand il recherche l’identité de sa fille. Cependant, il reste que ce film est un jalon de plus dans la décomposition du film néo-noir, et à ce titre il est intéressant. 

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    Tom devient le vengeur

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