• Boxcar Bertha, Sister of the road, Ben Reitman, 1937

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    C’est un livre qu’on pourrait dire culte. Il est constamment réédité depuis qu’il est paru en 1937 aux Etats-Unis. Certes ce ne sont pas chaque fois des ventes importantes, car son public est un public un peu marginal, mais au fil des années cela fait des milliers de personnes à travers le monde qui ont lu les aventures de Boxcar Bertha.

    L’auteur de ce livre est Ben Reitman, anarchiste d’origine russe et juive, il fut lui aussi un hobo. Mais en même temps il fit des études de médecine. Conférencier, militant des IWW (Industrial Workers of the World – le syndicat révolutionnaire qui représenta véritablement un péril pour le capitalisme américain), sa vie est au moins aussi aventureuse que celle de Boxcar Bertha. Il fut un défenseur acharné du droit des femmes à l’avortement, et aussi de l’union libre. Il eut également une liaison passionnée avec Emma Goldman, autre grande figure féminine de la lutte des classes aux Etats-Unis. Pendant des années il parcourut les routes de l’Amérique, essayant de fomenter le trouble social. Il connut la prison, la répression des milices patronales, et bien sûr toutes les misères de la classe ouvrière américaine. Son statut de médecin cependant lui permit ensuite de vivre une vie moins difficile. Mais plus tôt dans sa jeunesse, il avait voyagé aussi un peu partout dans le monde, en Europe et en Asie.

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    Ben Reitman

     Boxcar Bertha est donc tout autant la biographie de Bertha Thompson, que celle de Reitman. Le livre est écrit à la première personne du singulier et se présente comme les mémoires de Bertha, mémoires recueillies par Reitman. En vérité, c’est une fiction, et Reitman aurait, pour tracer le portrait de Bertha, trouvé son inspiration dans trois autres femmes ayant réellement existées. On va donc suivre dans un ordre chronologique ses aventures. Bertha n’a connu que très tardivement son père et a été élevée par sa mère. Celle-ci, anarchiste militante, était une adepte de l’amour libre et de la lutte des classes. Tous ses enfants avaient des pères différents, et elle passait son temps à voyager dans tous les Etats-Unis, alternant travail et activisme social. Bertha prit donc le pli très tôt. Et naturellement elle devint une hobo. Comme elle voyageait dans des wagons marchandises (Boxcar en anglais), elle devint Boxcar Bertha ou encore Boxie.

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    Emma Goldman

    Bertha est une jeune fille robuste et énergique lorsqu’elle quitte sa mère pour s’en aller vivre sa vie qu’elle présente comme une suite ininterrompue d’expériences plus ou moins douloureuses. Elle connaîtra sur le trimard, le viol, le vol, la prison, la prostitution aussi, sans jamais vouloir rentrer pour autant dans le droit chemin. Elle traverse un pays où règne le chaos et la corruption à grande échelle. On a du mal à imaginer aujourd’hui à quel point le mode de vie bourgeois que la classe dominante tentait d’imposer était violent et difficile à contourner. Par exemple, un couple non marié pouvait tout à fait être chassé de son travail, ou encore combien il fallait de courage à l’époque pour monter des sections syndicales. La répression patronale expliquant pourquoi finalement ces anarcho-syndicalistes finissaient souvent par employer des méthodes violents, notamment l’attaque à la dynamite.

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    L’ouvrage se rattache à cette longue lignée américaine qui met en scène une soif de liberté sans borne, on peut le relier au livre de Jack Black, Yeggs, ou encore d’Edward Anderson, Thieves like us. Il a en réalité une double fonction. Tout d’abord il participe à la réhabilitation de l’histoire d’un groupe social maltraité dans les manuels scolaires, montrant combien le mouvement anticapitaliste aux Etats-Unis était vigoureux, et combien ses reculs sont dus principalement à la violence de la répression patronale et étatique. Mais il y a un second niveau, c’est que ce livre travaille incidemment à la création de nouveaux mythes. Bertha est une héroïne d’un nouveau genre, une figure légendaire de la lutte pour la liberté. Femme, hobo, athée, elle ne possède pas les attributs habituels des héros de cinéma ou de la littérature, le courage, la volonté de ne pas renoncer à ses idées sont ses qualités fondamentales, mais pourtant c’est une figure exemplaire dont le mérite se mesure plus au nombre de ses défaites qu’au nombre de ses succès. Evidemment ce qui marque l’esprit c’est que Bertha est une femme et qu’elle décrit aussi la vie d’autres femmes tout autant qu’elle éprises de liberté. On retiendra un autre aspect, l’absence de frontière entre ce désir de renverser le capitalisme et une forme de délinquance assumée, illustrant fort bien l’idée que les classes laborieuses sont aussi des classes dangereuses.

     

    En regard de tout l’intérêt d’un tel livre, on peut se demander s’il est bien utile de le regarder sous l’angle de la technique littéraire. Il se rattache à la littérature prolétarienne. On peut juger que l’ouvrage est décousu, ressassant aussi souvent les mêmes histoires. Mais ce qui compte le plus à mon sens c’est l’accent de vérité qui émane de cet ouvrage et d’un certain point de vue, on comprend mieux qui étaient tous ces wobblies (on désignait par ce terme les membres de IWW), à la fois férocement individualistes et épris de liberté et volontairement solidaires qui visaient au renversement du système capitalistes. On les comprend mieux, non seulement dans leur projet économique et social, mais également dans leur rapport à une vie centrée sur le combat comme mode de vie, dans une négation des valeurs bourgeoises.

     

     

    Un petit mot pour terminer, J’ai lu cet ouvrage dans l’édition de L’insomniaque. Elle est illustrée de dessins de Joe Coleman que je n’apprécie pas particulièrement. 

    « Benoît Tadié, Le polar américain, la modernité et le mal, PUF, 2006Boxcar Bertha, Martin Scorsese, 1972 »
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