• ***, Call girl central 08-22, La pensée moderne, 1955

     ***, Call girl central 08-22, La pensée moderne, 1955

    Voici un ouvrage qui est de temps à autre attribué à Frédéric Dard. L’ouvrage est atypique par rapport au reste de la production de la collection Tropiques. Ce n’est pas Jef de Wulf qui a fait l’illustration, mais un inconnu qui a recopié très proprement une photo d’Ava Gardner. Il serait possible, comme le dit Lionel Guerdoux sur son site, que ce soit le quatrième opus écrit par Frédéric Dard pour cette série légèrement érotique, après Plaisirs de soldats, Guerriers en jupon et Sergent Barbara qui eux sont certifiés écrits de la plume de Frédéric Dard. Ce sont des romans de guerre dont je pense le plus grand bien. Tous les trois sont signés de pseudonymes, Leopold Da Serra, Antonio Giulotti et William Blessings. Call girl central 08-022 n’est pas signé, il se présente comme les mémoires d’une prostituée de luxe, décrivant son ascension. 

    ***, Call girl central 08-22, La pensée moderne, 1955  

    C’est l’histoire d’une certaine Patricia, rouquine de son état qui fuit la maison familiale à cause des maltraitances qu’elle subit de la part de sa mère. Elle a un atout important, elle possède un corps de rêve. Elle va difficilement s’extraire de la misère après avoir été violée plus souvent qu’à son tour, grâce à une sorte de maquereau qui la prend en charge et qui lui inculque les rudiments de son futur métier, prostituée de haut vol. Cela se passe dans une Amérique de pacotille qui ressemble beaucoup à celle de L’ange noir. Traversant les Etats-Unis d’Est en Ouest, elle va s’élever peu à peu dans la société, approchant des hommes aussi riches que pervers. Elle va aussi rencontrer des truands de haut vol, et même en tuer un ! Pour éviter la prison, elle finira par suivre son maquereau au Mexique, sans qu’on sache trop ce que deviendra ce couple maudit. 

    ***, Call girl central 08-22, La pensée moderne, 1955 

    L’intrigue est des plus sommaire, mais la forme est plus intéressante. Ecrit à la première personne, l’auteur se glisse dans la peau de Patricia, ce qui deviendra une habitude dans plusieurs romans noirs de Frédéric Dard, par exemple Les scélérats, publié en 1959 au Fleuve noir, ou Les mariolles, publié en 1960 au Fleuve noir et encore L’accident, qui date de l’année suivante, toujours au Fleuve noir. On retrouvera cela ensuite dans les ouvrages de Sébastien Japrisot, Piège pour Cendrillon[1], ou La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil[2], et même L’été meurtrier[3]. Dans tous les cas il s’agit de se mettre à la place d’une femme pour en comprendre les mécanismes psychiques et les désirs. C’est ce qu’on trouve ici dans Call girl central 08-022. La manière sommaire dont les Etats-Unis sont évoqués fait inévitablement penser à l’Ange noir, ce héros sombre et criminel, ce héros négatif créé par Frédéric Dard au début des années cinquante[4]. La description rudimentaire des mœurs barbares de cette peuplade lointaine intègre une violence destructrice comme décor du quotidien. On y croisera un gangster de haut vol, prénommé Al, qui est une sorte de mélange entre Al Capone – personnage qui fascinera Frédéric Dard[5] – et Mickey Cohen. Ce personnage cruel que Patricia va abattre révèle des sentiments profonds chez cette femme qui se complait dans les risques encourus auprès de ces brutes épaisses, en tirant même une certaine satisfaction, comme si la virilité ne pouvait exister que dans une forme de sauvagerie. 

    ***, Call girl central 08-22, La pensée moderne, 1955 

    La structure du récit est remarquable sur au moins deux points. D’abord elle reprend la technique du flash back qui est la marque du film noir classique. Le passé répond au présent, comme s’il y avait deux histoires successives. En opposant sa réussite à la misère d’où elle vient, Patricia mesure la vacuité de son succès. L’année suivante, en 1956 Frédéric Dard va publier un remarquable roman, Délivrez nous du mal, sous son propre nom, au Fleuve noir, inaugurant selon moi son cycle des romans de la nuit. Le récit est celui d’une confession où alternent l’attente d’être exécuté et d’admettre sa culpabilité, et l’analyse des circonstances qui ont amené le héros en prison pour avoir assassiné sa femme qui le trompait avec un jeune gigolo. 

    ***, Call girl central 08-22, La pensée moderne, 1955 

    Le récit est rapidement écrit, et n’évite pas les incohérences ni les raccourcis hasardeux. Mais cela importe peu. Il y a une grande capacité de l’auteur à dresser des tableaux avec une grande économie de moyens. De certitude on n’en pas, et sans doute n’en aurons nous jamais. Pour moi il y a de très fortes chances que ce petit roman ait été écrit par Frédéric Dard.


    [1] Denoël, 1963.

    [2] Denoël, 1966.

    [3] Denoël, 1977.

    [4] Les confessions de l’Ange noir, Fleuve noir, 2017, présentées dans une nouvelle édition préfacée par Alexandre Clément.

    [5] On le retrouve dans la pièce de théâtre La dame de Chicago en 1968, pièce publiée chez Julliard, puis dans Capone, écrite avec son fils Patrice en 1997 et publiée dans Le brigadier de Frédéric Dard, en 2018                  au Fleuve noir. Il y a plusieurs San-Antonio qui évoque de près ou de loin le célèbre gangster qui mourra totalement gaga des conséquences de la Syphilis, Bas les pattes, publié en 1954, également Al Capote, Fleuve noir, 1993.

    « Une histoire d’amour, Guy Lefranc, 1951Luc Boulay, Parties fines, CPE, 1957 »
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  • Commentaires

    1
    Torpedo
    Mardi 20 Février à 21:14

    Tout à fait d'accord avec cette analyse sur la paternité de l'ouvrage.

    On y retrouve tous les codes employés par Frédéric Dard dans ses ouvrages à connotation américaine, dont ceux publiés à "la loupe policière" et bien entendu, l'Ange noir.

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