• Luc Boulay, Parties fines, CPE, 1957

     Luc Boulay, Parties fines, CPE,  1957

    Personne, à part moi, ne parlera jamais de cet ouvrage un peu maudit. Luc Boulay n’existait pas, il était un pseudonyme d’Alphonse Boudard qui lui-même était un pseudonyme pour Pierre Michel Boudon. Alphonse Boudard est devenu fort justement célèbre et a produit une œuvre qui à mon sens est non seulement très originale, mais excellente et jubilatoire, avec un style et une langue très sophistiqués. C’est un remède contre l’ennui, avec cette capacité à traiter les histoires les plus noires avec le pluys grand détachement. Boudard, quand il était en taule pour avoir fait le voyou, s’était exercé à l’écriture pour passer le temps et rentrer un peu de monnaie. Mais il s’était fait attraper par une censure tatillonne et vindicative qui le punit d’une rallonge de plusieurs moi pour avoir produit des romans érotiques ou pornographiques, c’est comme on veut. Il y en a deux, Parties fines, signé Luc Boulay paru en 1957 et Les grandes ardeurs signé Laurent Savani, paru en 1958 et tous les deux édités par la CPE qui subit les foudres de la censure. Si Boudard les a bien reconnus comme étant de sa plume, sans fausse honte, il a toujours refusé de les rééditer. Pour lui ce n’était pas très sérieux et surtout c’était très mauvais sur le plan de la forme. On ne peut pas lui donner tort et ceux qui se priveraient de lire ces deux ouvrages ne perdraient pas grand-chose, sauf qu’ils passeraient à côté des premiers travaux édités d’Alphonse Boudard dont la lecture aide à mieux le comprendre. Notez que le prénom Alphonse désigne en argot un homme à femmes, ce n’est pas un maquereau, mais plutôt une sorte de gigolo qui se laisse passivement entretenir. Et je ne crois pas qu’Alphonse Boudard l’ait choisi au hasard. 

    Luc Boulay, Parties fines, CPE,  1957 

    Boudard à sa sortie de prison 

    Ce livre est le premier véhicule d’Alphonse Boudard dans ses exercices d’écriture, et contrairement à ce qu’on pourrait croire, il est déjà là tout entier présent dans ce livre. C’est l’histoire d’un homme, Daniel, écrivain de son état, qui rencontre dans un train une très belle jeune femme avec qui il a des attouchements très avancés. A l’arrivée, il se rend compte que cette Laura n’est autre que la femme de son ami qui va le recevoir chez lui. Le couple vit dans une ferme restaurée, avec un couple de domestiques noirs qui assurent l’entretien. Dès lors une sarabande sexuelle se met en place. Laura se fait sauter par tout ce qui porte un pantalon, un adolescent, le noir, évidemment, mais semble se refuser à Daniel. La femme de celui-ci, Carole, vient le rejoindre, ce qui multiplie les possibilités de figures érotiques. Jusque là rien que du classique dans le genre érotique baclé. Mais voilà que Daniel tombe sur le journal intime de Laura. Flash back donc, on a droit à la description de la course à la débauche d’une jeune fille qui adore les parties de troustafana sous toutes ses formes et qui ne semble vivre que pour cela. Elle raconte comment elle a fini aussi par tomber dans la prostitution, mise sur le trottoir par son mari Jean. En lisant ce journal Daniel qui est amoureux d’elle, s’aperçoit qu’elle éprouve un fort sentiment pour lui. Mais Laura a disparu. Daniel décide alors de rompre avec sa compagne et part à la recherche de Laura. Celle-ci après un intermède avec un camioneur va retomber dans les mains de Jean qui lui-même est aux abois, poursuivi par des Corses de Pigalle pour un mauvais partage. L’histoire va tourner au roman noir, avec quelques assassinats, tandis que Daniel va finalement aider une pauvre jeune fille de seize ans qu’il a séduite, mais qu’il ne veut pas abandonner. 

    Luc Boulay, Parties fines, CPE,  1957  

    Fasciné par le sexe sous toutes ses formes, quoiqu’il ne s’intéressât principalement qu’aux femmes, Boudard ne le cachait pas, mais il n’est pas le seul après tout. Ici le récit passe de Daniel qui se croit émancipé et séducteur, et avance vers la description du désir multiforme de la femme, ici représentée par Laura.  Les relations sociales sont mises en question par le désir. Cet aspect est intéressant parce que ce que nous voyons ce sont des êtres humains qui derrière leurs rapports policés ne rêvent que de débauche, débauche dans laquelle on perd tous ses repères aussi bien de classe que de race. Plus intéressant selon moi c’est l’évolution de Laura qui va revenir vers la prostitution qu’au fond elle n’aurait jamais dû quitter, c’est un sujet qui a toujours intéressé Boudard, voir par exemple La fermeture[1]. Il pose alors deux questions, qu’elle est la marge de liberté des femmes dans le choix de ce curieux métier ? et pourquoi des femmes et des hommes sont autant attirés par la mise en scène de leur propre déchéance morale et physique ? En s’étendant sur cet aspect scabreux, dans le dernier tiers de l’ouvrage, Boudard change aussi en même temps de style d’écriture. On retrouve alors un Boudard que nous connaissons bien et qui utilise à sa manière la langue des marlous faite d’argot et de tournures familières à ce milieu. En même temps on va passer de la campagne, Parthenay, à la ville, Pigalle et ses alentours. A la campagne le sexe est assez simple, rustique, joyeux et presqu’hygiénique, il n’est pas vraiment tourmenté, même dans ses débordements printaniers. A la ville, ça devient plus louche, mortifère, et même dégradant, surtout dans les bas-fonds. Mais le pire est que cette dégradation devient fascinante. On note aussi que Parthenay représente l’enfance de Boudard, quand il avait été placé à la campagne chez des paysans, tandis que sa mère se prostituait à Paris. 

    Si le début de l’ouvrage est assez poussif, pour ne pas dire ennuyeux, le dernier tiers est bien plus intéressant, quand Boudard se lâche enfin et oublie le style académique pour aller vers l’originalité de sa langue, mais aussi vers la construction d’une intrigue un peu plus compliquée. Il était doué pour le roman noir !



    [1] La fermeture : 13 avril 1946, la fin des maisons closes, Rober Laffont, 1986.

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