-
Cérémonie des César 2020
On peut se poser la question de savoir si les cérémonies des César concernent le commerce ou le cinéma. Le niveau du cinéma français est au plus bas. Il ne s’exporte plus et ne remplit pas les salles, en dehors de quelques comédies semi-débiles avec Christian Clavier, Omar Sy ou encore Frank Dubosc. Lors de l’édition 2020, on remarquait d’abord que les films en course, J’accuse, Les misérables, Portrait d’une jeune fille en feu¸ étaient des films avec un ancrage populaire. Le premier a fait environ 1,5 millions d’entrées, le second, avec un budget moindre, 2 millions de tickets, et le troisième plus confidentiel 275 000. Ce sont des films qui ont tous en commun l’idée de séduire les jurys dans les festivals et les lecteurs de Télérama. Non seulement les films français ne trouvent pas leur public à l’étranger, mais leur part diminue aussi sur le sol national. Ils ne représentent plus que 35% des tickets vendus, alors que dans les années soixante-dix ils dépassaient très largement les 50%. Certes on produit encore beaucoup de films en France, grâce à la fameuse taxe additionnelle, mais on peine à trouver des films marquants ou encore populaire sans trop de niaiserie ou de médiocrité. On peut parler d’un effondrement du cinéma français. On ne veut pas le voir, mais c’est bien de cela dont il s’agit, et c’est ce que couronne la cérémonie funèbre des Césars 2020. Avant même que celle-ci ne se déroule, la manifestation était controversée, et Alain Terzian avait dû démissionner de la présidence de cette laborieuse institution. Les deux films les plus nominés, J’accuse et Les misérables étaient très contestés, pour tout un tas de raison, mais d’abord pour la personnalité sulfureuse des deux réalisateurs, Roman Polanski et Ladji Ly. Evidemment on aurait pu aussi couronner Qu’est-ce qu’on a fait encore au Bon Dieu ?, film qui a fait près de 7 millions d’entrées, après tout, même si c’est nul, au moins ça ne se prétend pas intelligent, et puis c’est aussi mal filmé que le Polanski ou Les misérables. Mais couronner le film de Philippe de Chauveron c’eut été avouer officiellement la nullité du cinéma français aujourd’hui. Donc on s’est rabattu comme d’habitude sur les médiocrités qui soient disant pensent et se pensent. Même Macron a trouvé Les misérables très intéressant, c’est tout dire[1] ! Même si la rentabilité de ce film est excellente, il pointe à la 21ème place du box-office en France. Seul Le monde dans son éditorial de l’édition du 1er mars se réjouit de la bonne santé du cinéma français.
Mais on s’éloigne un peu du sujet. On parle de cinéma français, mais on célèbre l’œuvre d’un cinéaste polonais et d’un immigré de fraîche date. Même si on trouve ces films géniaux, je ne vois pas pourquoi on parle de cinéma français. Parce que les fonds sont français ? Il y a deux façons d'appréhender une œuvre, soit la considérer en elle-même, comme si elle n’était en phase ni avec son auteur, ni avec son temps, soit la relier à son créateur et à ce qu'il est dans notre espace social. Même ceux qui critiquent Polanski en tant que prédateur sexuel, n’osent pas dire que son œuvre est médiocre. Quand Polanski – par ailleurs réalisateur sans style bien défini – met en scène J’accuse. Il le fait tout à fait en prenant la posture de la victime, autrement dit la place de Dreyfus le héros qu’il est censé célébré. Pour le reste son « œuvre » reste plutôt du côté des téléfilms friqués. J’accuse est un échec très relatif au box-office – je pense d’ailleurs que cet échec n’est pas dû au tapage que les féministes ont fait autour de lui, et même que c’est le contraire – il n’arrivera pas aux deux millions d’entrées, avec un budget très lourd d’environ 22 millions €. Probablement que les statuettes en plomb que le film a ramassées l’aideront à équilibrer finalement le budget. Polanski a beaucoup de supporters dans les milieux festivaliers qui par ces temps de disette intellectuelle le prennent pour un réalisateur ayant quelque chose à dire. Ces récompenses l’aident à surmonter la disgrâce qu’il subi aussi bien du public que des organisations féministes. Etant tout de même accusé de plusieurs viols – on ne dénombre pas moins de 13 affaires dans lesquelles son nom apparait comme prédateur – ses nominations à la cérémonie des César 2020 a donné lieu à des manifestations dans la salle mais aussi en dehors. Je tiens à rappeler que dans le dernier film de Tarantino, Once upon a time in Hollywood, le réalisateur insulte indirectement Polanski en le présentant lui et sa femme de l’époque, la malheureuse Sharon Tate, comme des dégénérés, victimes de leur propre mode de vie.
Les misérables a au moins pour lui d’être un film très rentable, avec un petit budget de 1,5 millions, il va probablement remporter dix ou douze fois sa mise. On peut se poser la question de savoir qui va voir ce genre de film : les jeunes des quartiers ? Les lecteurs de Télérama ? Les derniers supporters de Macron ? Mais le réalisateur Ladji Ly est lui aussi très controversé. Il a été accusé de violences en se mêlant des histoires de sa sœur, frappant celle-ci, séquestrant et frappant le compagnon de celle-ci. Il a été condamné pour ces faits à trois ans de prison. Quand on a ressorti cette affaire, on a avancé que les motivations de ces violences sauvages étaient d’abord à rechercher dans un Islam radicalisé[2]. Les deux réalisateurs qui ont été distingués sont d’abord des hommes violents, mais qui ont en commun l’idée de se présenter comme des victimes. Il va de soi qu’on ne juge pas un homme sur son passé, à condition qu’il ne le nie pas et à condition qu’il ne se présente pas comme le Jean Valjean de service. Tout homme a droit selon moi au pardon, mais pas quand il nie ses fautes. Cependant dans la culture c’est très fréquent, comme si le fait de produire un objet culturel pouvait vous absoudre de vos péchés, on a vu ça avec Céline, on le voit aujourd’hui avec Polanski, Matzneff ou Ly.
Les dégâts de cette 45ème cérémonie sont considérables. D’abord on a appris que Brad Pitt qui devait recevoir un César pour l’ensemble de son œuvre, s’était judicieusement désisté, ne voulant pas se mêler d’une querelle pareille. Ensuite on a vu Adèle Haenel quitter la cérémonie, se disant écœurée par tant de bassesse dans cette profession inamendable. Florence Foresti qui présentait cette cérémonie stupide quand elle a vu que Polanski était récompensé, s’est retirée sur son Aventin, avant d’envoyer un tweet rageur pour se désolidariser de ce palmarès. Cette 45ème édition a étalé sur la place publique la médiocrité de cette profession aujourd’hui, médiocrité morale, et médiocrité artistique, ça va de pair. Mais il y a sans doute autre chose, c’est que les César, les Oscar, le Festival de Cannes ou d’ailleurs, ça ne fait plus rêver. Les XXIème siècle consacre la transformation du cinéma en une chose banale, ni une industrie, sauf pour les Américains, ni un art. cela ne veut pas dire que cela durera toujours, personnellement je ne crois pas du tout que le renouvellement viendra d’un alignement sur le politiquement correct ambiant, ni dans une montée en puissance d’un élément féminin dans les structures de la production. L’histoire du cinéma a toujours montré des cycles avec des bas et des hauts, aujourd’hui nous sommes du point de vue de la création plutôt dans le bas.
[1] https://www.rtl.fr/actu/politique/emmanuel-macron-bouleverse-par-le-film-les-miserables-7799492927
[2] https://www.causeur.fr/ladj-ly-miserables-prison-170355 Causeur casse du sucre sur le dos de Ly, mais au nom de l’art et d’un dépassement de la morale, défend Polanski
Tags : cinéma français, Polanski, Ly
-
Commentaires