• Ma cousine Rachel, My cousin Rachel, Henry Koster, 1952

     Ma cousine Rachel, My cousin Rachel, Henry Koster, 1952

    Ce film, adapté de l’œuvre éponyme de Daphné du Maurier appartient à un sous-genre du film noir, le film noir gothique, il se situe dans la lignée de Rebecca d’Hitchcock tourné en 1940, inspiré toujours de la même Daphné du Maurier, ou Dragonwick de Joseph L. Mankiewicz qui date de 1946. Sont mise en scène des chatelains neurasthéniques, enfermés dans leur manoir et dépassés par une femme mystérieuse qui les obsède. Dans la même veine « anglaise » on avait aussi tourné plusieurs fois Gaslight, dont une version avec Ingrid Bergman, réalisée par George Cukor qui sera sollicité pour diriger My cousin Rachel. Ce sont des univers clos, hors du temps, isolé de la société qui semble tout ignorer de ce qui se trame entre les murs de ces résidences de luxe pour oisifs. Du Maurier, c’est Ann Radcliffe[1] revisitée par le progrès technique, on navigue des brumes de l’Angleterre au soleil éclatant mais tout autant mystérieux de l’Italie ou de la Côte d’Azur. My cousin Rachel est une sorte de variation sur le thème de Rebecca, avec des inversions importantes entre le prédateur et la victime. Ce genre a été très prisé par Hollywood, non pas seulement parce qu’il remplissait les salles, mais aussi parce que les studios se donnaient de la sorte un vernis d’élégance anglaise dans les reconstitutions des décors, avec un étalage de luxe qui pariait aussi sur le glorieux passé de l’Europe en se l’appropriant. Mais en même temps cela interrogeait forcément ce que cachait l’aristocratie comme crimes et comme secrets plus ou moins avouables. Il ne faudrait pas seulement voir derrière ces films simplement des histoires romantiques d’amour contrarié. Et c’est bien cela qui nous intéresse ici, ce côté sulfureux sous-jacent. My cousin Rachel est un film qui reste assez bien noté par ceux qui le connaissent, mais il n’a pas l’aura de Rebecca d’Hitchcock, et pourtant en un certain sens, comme on va le voir, il est bien plus audacieux. Si on compare Rebecca et Rachel, il y a un point de comparaison qui saute aux yeux, ces deux films sont interprétés par deux sœurs, Joan Fontaine et Olivia de Havilland qui ont fait étalage de leur haine pour le plus grand bonheur des échotiers. 

    Ma cousine Rachel, My cousin Rachel, Henry Koster, 1952 

    Philip Ashley est orphelin, il a été élevé par son cousin Ambrose qui l’aime comme un fils et comme un frère, c’est un déchirement quand Ambrose pour des raisons de santé part pour l’Italie. Les lettres qu’il reçoit d’Ambrose sont rapidement alarmante. Ce sont des appels au secours. Philip se rend à Florence où il apprend qu’Ambrose est décédé. Il soupçonne Rachel et son homme de loi Rainaldi de l’avoir tué. Mais ces soupçons se heurtent au fait qu’il est lui-même le seul héritier de son cousin qui n’a rien laissé à Rachel. Il regagne l’Angleterre, mais bientôt la mystérieuse Rachel arrive et s’installe dans la maison. Elle va rapidement séduire Philip, bien qu’elle soit plus âgée que lui. Bien que son entourage le mette en garde contre les intrigues de Rachel qui est très endettée, il va mettre en œuvre tout pour l’aider. Il lui donne d’abord une rente relativement élevée, puis, alors même que son tuteur légal lui indique qu’elle fait des transferts de fonds importants en Italie, il la demande en mariage et pour hâter sa réponse va offrir l’intégralité de sa fortune à Rachel. Mais celle-ci le rejette, tout en acceptant d’être finalement la seule et unique héritière d’Ambrose. Philip sombre dans la neurasthénie, d’autant que Rainaldi est arrivé en Angleterre et que Rachel manifestement le fréquente. Il va donc lui demander des comptes, mais elle l’envoie promener. Il tombe malade, et semble devoir mourir rapidement, un peu comme son cousin. Mais finalement Rachel le sauve en le soignant avec des plantes dont elle a le secret. Cette sollicitude touche Philip autant qu’elle le trouble. Tandis que Rachel veut réaménager les jardins, il va enquêter sur elle à Plymouth. Il trouvera des graines d’une plante destinée à empoisonner qui l’absorbe. Il découvre aussi qu’elle voit Rainaldi. Avec Louise il va chercher des preuves des forfaits de Rachel. Mais la seule chose qu’il découvre est une lettre de rupture entre Rainaldi et Rachel où il est dit qu’elle aime finalement Philip. Cette révélation n’empêche pourtant pas la mort de Rachel qui va tomber en franchissant un pont vermoulu. Philip sera inconsolable, ne sachant pas si Rachel avait voulu le tuer ou si elle l’aimait vraiment. 

    Ma cousine Rachel, My cousin Rachel, Henry Koster, 1952 

    A Florence Philip Ashley vient demander des comptes à Rainaldi 

    Contrairement à Rebecca, il n’y aura pas de fin heureuse. Philip restera avec ses haines recuites dans sa neurasthénie. Le sens de cette histoire, au-delà de la figure plus ou moins malfaisante de Rachel, c’est le portrait d’un orphelin qui recherche la protection d’un père de substitution – Ambrose – et d’une mère de substitution – Rachel. Ambrose décédé, il décide d‘acheter Rachel en lui offrant tout ce qu’il peut lui donner, mais cela ne fonctionne pas, et Rachel s’éloigne de lui, se jugeant trop âgée pour celui qui n’est qu’un gosse. C’est là que le portrait de Rachel devient intéressant, elle est un caractère ambigu, elle va profiter de la faiblesse morale de Philip, mais elle n’ira pas jusqu’au bout de son projet puisque manifestement elle l’épargnera. En quelque sorte puisqu’elle est une mère de substitution, elle le fera renaitre en le soignant après l’avoir empoisonné ! Philip est-il vraiment amoureux de Rachel ? C’est à voir, d’autant qu’il repousse manifestement les avances de Louise qui lui parait trop simple et trop saine pour orienter son désir vers la sulfureuse Rachel. C’est bien le mal qui l’attire comme un désir de punition. Mais il veut également prendre la place d’Ambrose en épousant sa veuve. Il y a bien évidemment des jeux de triangle : un premier triangle formé par Rachel, Philip et Ambrose, un second avec Rachel, Philip et Rainaldi, et puis encore un troisième avec Rachel, Philip et Louise. Il est le pivot de toutes ces figures. Cette complexité des rapports entre ces personnages va rendre le film moins lisible que disons Rebecca où ne se retrouve face à face que le couple de Winter, avec en surplomb la figure maléfique de Mrs Danvers. L’épreuve de force entre tous ces personnages est camouflée par le caractère policé des mœurs britanniques qui cache une sauvagerie sans nom. La manière dont Philip enquête sur Rachel est équivalente à un viol. Il forcera d’ailleurs son secrétaire avec une lame. Rachel se refuse à lui, et pour cela il veut la détruire. C’est un impuissant qui n’arrive pas à vivre son impuissance. Il finira par la détruire indirectement. Ce viol par enquête interposé m’a beaucoup fait penser à Marnie¸ sauf qu’Hitchcock semble voir dans le viol une manière de thérapie, tandis qu’ici cela entrainera sa perte. Car si Rachel meurt, il va sombrer dans une dépression dont il ne sortira plus jamais. 

    Ma cousine Rachel, My cousin Rachel, Henry Koster, 1952 

    Philip montre à Rachel les lettres que son cousin Ambrose lui avait adressées 

    Le scénario a été fait et refait, ce qui a entraîné le départ de George Cukor qui avait été choisi avant que Koster prenne le relais. Le scénario avait été rejeté parce qu’en introduisant des séquences dites ironiques à la Hitchcock, Daphné du Maurier considérait qu’on dénaturait son œuvre. Le premier défaut du scénario, c’est que l’épicentre du film c’est Philip et non Rachel. Certes on comprend que ce qui a intéressé Nunnally Johnson ce soit le portrait d’un homme malade, incapable de sortir de cette adolescence prolongée. Mais en même temps il ne fait que des allusions sur ce qu’est vraiment Rachel, même si on peut apprécier le flou qu’il ménage sur les intentions criminelles ou non de celle-ci. De même le personnage de Louise est complètement délaissé, alors qu’en fait dans le refus qu’elle subit de la part de Philip se révèle le caractère masochiste de celui-ci. 

    Ma cousine Rachel, My cousin Rachel, Henry Koster, 1952 

    Philip reconduit Rachel à sa chambre 

    La réalisation de Koster est appliquée, sans plus. C’est un réalisateur qui a commencé sa carrière en Allemagne. D’origine juive, il s’exilera en Amérique où sa carrière sera des plus éclectiques. Son succès lui venait de ses comédies musicales. Mais il avait été crédité comme scénariste sur le film Jane Eyre¸ un autre film gothique, où on trouvait Joan Fontaine. La mise en scène est cependant assez peu inspirée. La photo de Joseph LaShelle est pourtant très bonne, mais Koster ne sait pas vraiment quoi faire d’un escalier. Ce qui n’est pas le cas d’Hitchcock dont le défaut était plutôt inverse, il aime à insérer des petites blagues dans ses drames, blagues qui ne faisaient rire que lui … et François Truffaut. L’ensemble manque de fluidité. Il s’appuie sur des décors où on fait la démonstration du luxe grâce à des tableaux posés ici ou là, où grâce à des miroirs qui renvoient à la fourberie de Rachel. Le montage est assez peu resserré, cela vient il sans doute du fait qu’il hésite entre esthétique du film noir et esthétique gothique. Le film bénéficiait pourtant d’un budget très confortable. 

    Ma cousine Rachel, My cousin Rachel, Henry Koster, 1952

    Rachel semble au mieux avec Rainaldi et rend Philip jaloux 

    Bien qu’Olivia de Haviland soit la vedette du film en incarnant Rachel, c’est surtout Richard Burton qui se met en valeur. Quand Olivia de Haviland tourne ce film, elle a tout à fait l’âge du rôle, mais elle semble se vieillir un peu trop pour accentuer le contraste avec Richard Burton. Sa composition est un peu similaire à celle qu’elle avait donnée dans The Heiress de William Wyler et qui lui avait valu un second Oscar après avoir obtenu celui du meilleur second rôle dans Gone with the wind. Elle est très bonne actrice, mais là elle ressemble trop à Bette Davis. Je signale qu’Olivia de Haviland est toujours en vie et qu’elle va sur ses 104 ans. C’est la vétérante d’Hollywood avec Kirk Douglas d’ailleurs, et bien sûr on lui souhaite encore une longue vie. Elle habite le plus souvent en France. Notez qu’elle a remplacé presqu’au pied levé Greta Garbo qui devait faire son grand retour dans ce rôle. Richard Burton a bien l’âge du rôle, sauf que sa maturité a du mal à nous faire admettre sa frivolité et ses emportements d’adolescent. Mais il joue très bien les hommes faibles et tourmentés. C’est lui qui tient le film sur ses épaules. Il tournera encore avec Koster dans The robe, un péplum à la Cecil B. de Mille, bardé de bons sentiments chrétiens. Si le reste de la distribution est bonne, elle n’a pas grand-chose de remarquable. On aurait aimé voir un peu plus Audrey Dalton qui incarne Louise, elle est très bien. 

    Ma cousine Rachel, My cousin Rachel, Henry Koster, 1952 

    Comme gage de son amour Philip offre à Rachel un superbe collier 

    Le film a connu un bon succès, sans qu’il soit passé au statu de classique, et on le redécouvre de loin en loin. Récemment on a fait remake de ce film avec Rachel Weisz dont on ne parlera pas par charité, mais un peu avant, en 1983, on avait eu droit à un téléfilm avec Géraldine Chaplin dans le rôle de la sulfureuse Rachel. C’est au moins la preuve de la vitalité de la littérature de Daphné du Maurier. En tous les cas, même avec ses imperfections, My cousin Rachel vaut d’être vu, ne serait ce que pour mieux comprendre la parenté entre le film gothique et le film noir. 

    Ma cousine Rachel, My cousin Rachel, Henry Koster, 1952 

    Rachel refuse d’épouser Philip 

    Ma cousine Rachel, My cousin Rachel, Henry Koster, 1952 

    Très malade Philip semble à l’article de la mort 

    Ma cousine Rachel, My cousin Rachel, Henry Koster, 1952 

    Remis sur pied, Philip se tourne vers Louise pour découvrir le secret de Rachel 



    [1] The mysteries of Udolpho publié en 1794 semble être la matrice de cette tendance littéraire.

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