• Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

     Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

    Dans les années soixante-dix on fabriquait en France avec succès de bons films policiers, avec une prédilection pour les voyous. Le flic n’était jamais le héros. C’était probablement une conséquence de Mai 68 qui avait vu la police se déchaîner contre la contestation – on était pourtant bien loin de la sauvagerie macronienne contre les Gilets jaunes. Et Olivier Marchal ne faisait pas encore de films pour célébrer la martyrologie de la police. Et donc on se penchait sur la vie des hors-la-loi. Jean-Pierre Melville ayant ouvert le chemin dès le début des années soixante. Mais c’est seulement après Mai 68 que Melville va devenir une référence universelle dans le cinéma mondial et donc qu’il avait être accepté comme un grand réalisateur. C’est d’ailleurs vers ce moment-là que Melville va déconnecter son cinéma d’un ancrage dans le réel, ancrage qui est omni présent au moins jusqu’à L’armée des Ombres. Beaucoup de critiques auront bien du mal à voir dans cette réorientation du cinéma vers la poésie sombre de la vie des truands, autre chose qu’un exercice de style ne valant que pour la forme. Il faut bien comprendre que le film noir à la française qui explose dans les années soixante-dix, est l’exact pendant du poliziottesco qui se développe en même temps de l’autre côté des Alpes. Il y a de nombreux réalisateurs français qui ont travaillé sur ce segment et qui sont trop peu considérés, je pense à Serge Leroy, Sergio Gobbi bien trop sous-estimé mais qui a fait pourtant quelques réussites, Jean Larriaga, Alain Corneau – avec sans doute beaucoup trop de prétention – et puis bien sûr Roger Pigaut. 

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

    Nolan est suivi par le mystérieux Valberg 

    Celui-ci a commencé une petite carrière d’acteur sous l’Occupation, et ce n’est que tardivement qu’il s’est tourné vers la réalisation, peu sollicité par le cinéma, il se tournera vers la télévision. Mais au début des années soixante-dix, il connait deux très beaux succès sur des scénarios d’André G. Brunelin. Ce dernier travaillera dans le genre notamment avec Jeff de Jean Herman pour Alain Delon, et même il participera au scénario du Désert des Tartares mis en scène par Valerio Zurlini. Brunelin est également connu pour avoir écrit une belle biographie de Jean Gabin qu’il connaissait très bien, biographie qui fait encore autorité. Mais avant d’être scénariste et biographe, Brunelin avait été attaché de presse, travaillant à la promotion de films comme Mélodie en sous-sol ou Les félins, ce qui peut expliquer son goût pour le cinéma populaire quand il se lancera dans l’écriture scénaristique. Cependant si le sujet est relativement banal, Roger Pigaut a eu l’excellente idée d’utiliser une forme chorale pour Comptes à rebours, forme qui permettait d’avoir toute une pléiade d’acteurs connus, le plus souvent un peu en retrait, pour une somme relativement faible.   

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971 

    Zampa, Ferrier, Gilbert et Levasseur se demandent ce qu’ils vont faire 

    François Nolan sort de prison et après être passé par la Camargue, il rejoint Paris. Il veut retrouver ses anciens complices d’un casse qui a mal tourné et pour lequel il a été condamné à dix ans. Il veut savoir qui l’a dénoncé, et cela d’autant que son frère Pierrot est décédé dans ce braquage. Lui-même avait été blessé. Dans sa quête, il va être suivi par Valberg qui est un inspecteur des assurances et qui a été défiguré dans la fusillade avec la bande. Zampa, Ferrier, Gilbert et Levasseur se réunissent au cercle de jeu pour savoir comment ils doivent réagir à la sortie de Nolan. Celui-ci cependant se rapproche de Madeleine, une ancienne maîtresse, qui a refait sa vie avec un médecin prospère, Michel Sainte-Rose. Sur la route d’Houdan, il repère Macias qui le suit pour le compte de son ex-bande, il lui demande de faire une commission, qu’ils se retrouvent tous chez Juliani et Léa pour discuter. Il est très bien accueilli par le couple. Au cimetière où Nolan va se recueillir sur la tombe de son frère, il est abordé par Valberg qui lui fait par de ses rancœurs d’avoir été défiguré. Chez Léa et Juliani, la discussion n’aboutit pas, ses anciens complices lui proposent de l’argent, une association, et nient être pour quelque chose dans sa dénonciation. Léa envenime un peu les choses en disant qu’ils n’ont fait guère d’efforts pour venir en aide à Nolan, et la réunion se clôt sur la promesse de Nolan de tous les tuer ! Il commence d’ailleurs par Jebel qui aurait voulu prendre les devants et qu’il tue dans le jardin. 

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

    Nolan a retrouvé Madeleine, son ancien amour 

    Les truands ne sont pas contents, et pour se prémunir d’une attaque de Nolan, ils engagent Narcisse, un tueur cruel, pour s’en débarrasser. Celui-ci va torturer Juliani sous les yeux de Léa qui finit par parler. Nolan tue ensuite Ferrier dans son garage. En rentrant chez lui Nolan s’aperçoit que son concierge a été lui aussi maltraité. Narcisse est sur ses talons, une course-poursuite s’engage, Nolan tue finalement Narcisse. Puis il va délivrer Juliani et Léa. Il continue sa route en allant assassiner Gilbert au cercle de jeux, aidé en cela par Macias qui ne se fait pas prier pour trahir ses patrons. Nolan retrouve ensuite Zampa et lui fait croire que Gilbert s’est dénoncé. Ils font une partie de chemin de fer, et Nolan finalement tue Zampa ! Curieusement Nolan retrouve Valberg qui lui indique que la dénonciation est partie en fait d’un coup de fil de Houdan. Nolan se rend chez Michel le médecin, et celui-ci avoue que c’est bien lui qui l’a dénoncé. Nolan hésite, mais ne le tue pas. Il s’en va et attend Madeleine avec laquelle il veut s’en aller en Camargue. Mais Valberg arrive chez Michel, tue le médecin et téléphone à la police à laquelle il fait croire que c’est Nolan qui a tué Michel. Alors que Madeleine et Nolan sont dans le train, celui-ci descend sur le quai pour acheter les journaux, mais la police l’arrête pour le meurtre de Michel ! 

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

    Nolan a coincé Macias qui le suivait 

    C’est donc l’histoire d’une double vengeance, celle de Nolan, et celle de Valberg. Inspirée à la fois des romans noirs de José Giovanni et d’Auguste Le Breton, cette méditation sur la trahison imaginaire ou non est compliquée par une sorte de romance entre Nolan et Madeleine. On retrouvera aussi cette idée qu’on peut trahir simplement par humanité comme Léa quand elle voit le vieux Juliani qui ne peut plus parler, handicapé dans son fauteuil à roulette, torturé par le tueur Narcisse. On ne cherchera donc pas la vraisemblance dans ce portrait du milieu. Le personnage le plus intéressant est Valberg qui se pose en deus ex machina. Physiquement et moralement il est totalement à part. c’est un homme torturé et compliqué qui ne prend que des chemins de traverse pour arriver à son but. Et il y arrive ! Les autres protagonistes restent dans le rôle assez passif des truands arrivés et qui ne veulent plus se mouiller. Ils sont prêts à payer Nolan pour qu’il les laisse tranquille. Mais celui-ci n’a pas avalé les dix ans passées en cabane et se cherche un coupable, sans vraiment approfondir la question. Il sème le malheur, mais en vérité il n’est que l’instrument de Valberg. 

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

    Nolan discute avec le docteur Sainte-Rose qui vit maintenant avec Madeleine 

    Plus compliqué est el couple bourgeois formé par Madeleine et Michel. Il est vrai qu’on comprend tout de suite qui est le coupable de la dénonciation qui a détruit la vie de Nolan et de son frère. Mais peu importe. Ce médecin apparemment discret et tranquille est tout aussi machiavélique que Valberg qui, lui, avance à visage découvert. Sous les dehors lisses d’un homme policé et aimable, il cache un caractère complètement rongé par la jalousie, visant à s’approprier Madeleine pour sa satisfaction personnelle. Alors que Madeleine – caractère aux contours des plus flous – semble au contraire pencher pour Nolan. D’ailleurs quand il lui proposera de partir avec lui pour la Camargue, elle n’hésitera pas une minute.  

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

    Valberg aborde Nolan au cimetière 

    Un certain nombre d’astuces scénaristiques vont émailler le film. Par exemple le tueur Narcisse qui va mourir en se regardant dans la glace pour vérifier qu’il est bien le plus beau. Tueur cruel, on le verra conserver une partie de son âme d’enfant en assistant à un spectacle de guignol, c’est là qu’il recevra Zampa pour définir les contours de son nouveau contrat. Le personnage de Valberg est certainement caricatural, mais ses lunettes dont un verre est noir, l’autre clair, lui donne une allure assez unique. Ces deux personnages relèvent en quelque sorte l’intérêt, car Nolan et la bande qu’il pourchasse sont plutôt très traditionnels. Peut-être que l’obsession morbide de Nolan pour se venger, n’est pas assez évidente, et certainement on comprend assez mal qu’arrivé au bout de l’histoire, sachant qui l’a dénoncé, lui et son frère, il laisse la vie sauve à Michel, et en plus abandonnant son revolver qui le condamnera sûrement aux Assises. A cette époque n’oublions pas que la peine de mort est encore en vigueur pour quelques années. Le personnage complètement muet de Juliani est également problématique, handicapé, il est censé imposer son autorité d’une manière muette au reste de la bande. 

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

    Nolan rencontre son ancienne équipe chez Léa et Juliani 

    Plusieurs éléments du scénario sont assez peu compréhensibles. D’abord la volonté de trahir de Macias, plus ou moins garde du corps. Qu’il n’aime pas ses patrons, pourquoi pas, mais de là à se ranger du côté de Nolan qui est en apparence l’élément le plus faible du lot et pas forcément le plus sympathique, c’est assez incongru. De même quand la bande se réunit chez Léa et Juliani dans le but de trouver un arrangement, on ne comprend pas le comportement de Léa qui ne reste pas neutre et qui prend parti ouvertement pour Nolan, accusant directement les anciens complices de Nolan de l’avoir abandonné. Certes ça donne un peu de la force à son personnage – force qui s’évaporera face à Narcisse – mais on peut penser que ça complique l’intrigue inutilement. 

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

    Narcisse veut faire dire à Léa où se trouve Nolan 

    La réalisation repose d’abord sur le choix des lieux qu’on peut regrouper en trois. D’abord le vieux Paris de Belleville et ses rues en pente, encore un peu village, où Nolan va se ressourcer en louant une chambre dans un hôtel de seconde catégorie. On verra sur des murs crasseux une enseigne lumineuse pour Martini, ce qui fait encore plus ressortir le caractère vieillot du quartier. Ce décor s’oppose à celui de la banlieue où logent à la fois Michel et Madeleine, à Houdan dans une villa cossue, et Léa et Juliani dans une autre villa, mais cette fois plutôt discrète et enfoncée sous les arbres et les buissons, comme si ses propriétaires avaient quelque chose à cacher et qu’ils voulaient disparaitre à la vue de tous. Il y a enfin le cercle de jeu, et les diverses propriétés que possèdent les membres de la bande. Ils ont beaucoup d’argent, arrivés, ils ne font plus les sales besognes eux-mêmes. 

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

    Nolan aperçoit Narcisse à travers la glace sans tain 

    Dans la manière de filmer, on reconnait plusieurs influences, d’abord évidemment celle de Melville qui avait utilisé Serge Reggiani, Marcel Bozzufi et Simone Signoret. Par exemple la façon de montrer la solitude de Nolan dans sa petite chambre d’hôtel – voir Le samouraï. Ou encore Macias qui rêve devant son chapeau, hésitant à le mettre, puis finalement le portant comme s’il voulait enfin assumer un nouveau rôle dans le milieu. Pigaut va utiliser des tons bleutés et pastellisés pour marquer un peu plus la froide détermination de Nolan. Le rôle de Bossuffi renvoie à celui de Ricci dans Le deuxième souffle. Évidemment Pigaut n’est pas Melville. Mais vers cette époque on pouvait déjà repérer l’influence de Melville dans le cinéma de genre, notamment en Italie, dans le poliziottesco, ou dans les films noirs japonais. Certains passages de ce film font penser d’ailleurs à Pierre Lesou, Main pleine[1], roman qui sera adapté par Michel Deville sous le titre de Lucky Jo en 1964, avec ce truand qui sort de prison et qui ne reconnait rien de ses anciens complices, ni même de la femme qu’il a jadis aimée. Pierre Lesou était certainement le meilleur disciple de José Giovanni et d’Auguste Le Breton. 

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971 

    Nolan va tuer Gilbert 

    Pour le reste Pigaut n’était pas un très grand technicien, il n’a pas une grande aisance dans les mouvements de caméra, sauf quand il suit Reggiani avec un travelling latéral, à la manière justement de Melville dans Le Doulos. Il s’en tire cependant très bien quand les décors parlent. La photographie est bonne, mais sans plus. La scène où Macias doit faire semblant de tuer Nolan sur la voie de chemin de fer est assez ratée et manque ce cette perspective qu’on en peut tirer assez facilement.  

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

    Nolan affronte maintenant Zampa

    Le film repose d’abord sur l’interprétation de Serge Reggiani dans le rôle de Nolan, l’affiche parle d’elle-même, tous les personnages, en noir et blanc, gravitent autour de lui, en, couleurs, une arme à la main, comme s’il était cerné. Il avait déjà tenu ce type de rôle, fatigué et déboussolé dans Le doulos. Il est plutôt juste. Derrière il y a Michel Bouquet qui s’est visiblement amusé à composer ce personnage tordu de Valberg, il est l'image du destin, celui qui annonce les catastrophe. Grand acteur de théâtre, il ne dédaignait pas le cinéma de genre. Juste avant Comptes à rebours, il avait interprété le rôle d’un commissaire vicieux et hargneux dans Un condé d’Yves Boisset[2]. Il n’a pas beaucoup de temps à l’écran, mais il est remarquable et apporte beaucoup au film. Les membres de la bande, incarnés par Marcel Bozzuffi qui à l’époque faisait une gentille carrière en Italie dans le poliziottesco, André Pousse, ou encore Jean-Marc Bory, sont eux aussi assez juste. C’est nettement moins bon avec Jeanne Moreau dans le rôle de Madeleine. À cette époque elle était déjà sur la pente déclinante, vieillie avant l’âge, elle avait seulement 42 ans, elle trouvait difficilement des rôles, hésitant entre les Etats-Unis et la France. Elle a l’air de s’ennuyer, sourit à contretemps, physiquement elle présente peut d’attrait, et on ne comprend guère que Nolan et Michel en soient tous les deux amoureux. Mais son rôle n’est pas très important. Jean Desailly incarne le docteur Michel, il est bien, sans plus, mais il a peu de lignes de texte. Charles Vanel étant muet et cloué dans son fauteuil n’a pas grand-chose à faire, et Simone Signoret ne semble pas très à l’aise. Joëlle Bernard, l’épouse de Roger Pigaut interprète Suzy, la femme du défunt Jebel renforçant le côté familial de l’entreprise. Notez que la musique de Georges Delerue qui avait le sens des mélodies entêtantes est très bonne et renforce le côté nostalgique de l’entreprise. 

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

    Valberg indique à Nolan que la dénonciation venait d’Houdan 

    Le film fut un bon succès public, pour un budget somme tout assez modeste, et la critique le salua comme un retour aux bons vieux fondamentaux du cinéma de genre de qualité. Évidemment ça ne tient pas la comparaison avec du Melville, à l’impossible nul n’est tenu, mais c’est un polar plutôt agréable qui a assez bien passé les outrages du temps.

    Compte à rebours, Roger Pigaut, 1971

    Nolan revient voir Michel


    [1] Gallimard, Série noire, 1959.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/un-conde-yves-boisset-1970-a184445078

    « Le gang des otages, Edouard Molinaro, 19723 milliards sans ascenseur, Roger Pigaut, 1976 »
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