• Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

     Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    Edouard Molinaro a sans doute donné le meilleur de lui-même dans le film noir, Le dos au mur ou encore Un témoin dans la ville. Mais ses plus gros succès seront des comédies, les deux Cage aux folles et L’emmerdeur par exemple. Ces comédies sont bien moins intéressantes. Au début des années soixante-et-dix, il revient à ce genre, probablement sous l’impulsion de Daniel Cauchy qui aimait beaucoup la sombre poésie des voyous sans avenir, et aussi sans doute parce qu’il est un peu dans le trou. Évidemment, ce n’est plus un film en noir et blanc, l’époque a bien changé, et les nouveaux bandits de trônent plus dans les troquets de Pigalle comme Bob le flambeur dans le film de Melville. Ici les voyous sont des marginaux qui n’aspirent à rien, même pas à s’établir.  Mais sans doute que l’intérêt se trouve aussi et peut être d’abord dans le fait que l’histoire et les dialogue ont été concoctés par Alphonse Boudard qui à l’époque connait beaucoup de succès, en tant que romancier et en tant que scénariste, travaillant pour Alain Delon et Jean Gabin. Le scénario est inspiré par la saga de Christian Jubin. Un braqueur de banques qui a connu une certaine notoriété dans la fin des années soixante à la fois pour s’être attaqué à Jo Attia, tuant une barmaid du Gavroche l’ami de celle-ci, enlevant et violant sa fille Nicole, et ensuite pour s’être évadé d’une manière spectaculaire du palais de justice en prenant avec un complice et sa femme trois personnes, dont le juge, en otages. Le temps a estompé le peu de choses qu’on connaissait de lui. Il est mort en prison en 1990 et n’a pas connu la consécration d’un grand ouvrage qui l’aurait fait rentrer dans le clan des voyous renommés. Les journalistes se contentent de parler de lui comme d’un petit voyou. Mais enfin, il avait braqué des dizaines de banques et s’attaquer à Jo Attia, pour des raisons que j’ignore, n’était pas le signe d’une couille molle. Il faut noter que Daniel Cauchy, l’acteur principal, qui s’était fait remarquer dans des films noirs des années cinquante, de Jean-Pierre Melville avec Bob le flambeur à Jacques Becker, Touchez pas au grisbi, s’est beaucoup impliqué dans ce film dont il est crédité comme « producteur délégué ». Curieusement il disparaitra des génériques de films vers la fin des années soixante-dix pour devenir, semble-t-il, un réalisateur de films publicitaires.   

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    A sa sortie de prison Gilbert Nodier commet des agressions 

    Gilbert Nodier sort de prison et tout de suite commet des agressions. Il va voir sa marraine à qui il offre une télévision, puis retrouve son ancienne maîtresse, Monique. Mais ses agressions ont laissé des traces et la police vient le chercher chez Monique. En tentant de s’échapper il se foule la cheville et il est arrêté. En taule il se lie avec Serge Donati. Mais il ne supporte pas la claustration et fait une tentative de suicide dont il est sauvé par Serge. A leur sortie de prison Gilbert et Serge commettent de nouvelles agressions, notamment contre des prostituées qu’ils dépouillent. Mais s’attaquant à une prostituée de Cerutti, Serge est recherché par le milieu qui commence à en avoir marre de ce racket. Il s’est réfugié chez Ginette, une bistrotière dont le mari est un ami. Cela lui permet d’échapper aux hommes de Cerutti. Le mari de Ginette va s’acoquiner avec eux, notamment pour agresser des directeurs de banque à qui ils extorquent de l’argent. Mais un jour Gilbert tombe sur une pute qui fait l’amazone et qui le drague, mais il l’envoie au bain. Cependant comme les trois malfrats sont sur un coup et que ce coup foire, Gilbert va se tirer des pattes en grimpant dans la petite voiture de Liliane, la pute qu’il a rencontrée. Bien qu’il la braque avec son arme, elle ne se laisse pas intimider et le sauve tout de même. C’est le début d’une grande passion qui les mène au mariage. 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972 

    La marraine de Nodier vient le voir en prison 

    Ils continuent cependant leurs mauvais coups, s’attaquant notamment à un supermarché. Liliane les accompagne et va tenter de revendre des bijoux volés à un ancien petit copain. Mais les hommes de Cerutti sont toujours sur la piste de Serge. Et la pute noire qu’il avait agressée le reconnait un jour chez Ginette. Elle le dénonce à Cerutti qui envoie ses hommes menacer Ginette et la mettre à l’amende de cinq millions de francs. Ils ont dégradé son bistrot en envoyant de la peinture de toutes les couleurs sur les murs. Gilbert décide d’aller voir Cerutti, Liliane l’accompagne et l’attendra dans la voiture. Investit une sorte de boxon de luxe. Les choses se passent mal, et Gilbert tue Cerutti et blesse gravement sa femme Nelly. Le trio est maintenant en fuite, la police le traque. Elle va repérer Liliane en surveillant la maison de ses parents. La police les arrête au moment du déjeuner dans une auberge de banlieue. Tandis que le juge interroge Gilbert, Serge et Maurice pour tenter de démêler le vrai du faux, notamment pour savoir si Gilbert a bien tué Cerutti et blessé Nelly, Liliane est mise en liberté provisoire et quitte la Roquette. Sous le prétexte d’embrasser Gilbert lors d’une de ses auditions, elle braque le juge, donne des armes à Serge et à son mari. Ils sont découverts, et comme la police les empêche de partir, ils décident de prendre le juge et son greffier en otages. Ils obtiennent une voiture se débrouillent pour que les flics ne les suivent pas. Pour brouiller les pistes, ils changent plusieurs fois de voiture. Ils ne savent pas très bien où aller. Usant parfois du bus pour se faire moins repérer. Mais les gares et les aéroports sont sous surveillance, les gendarmes ont établi des barrages autour de Paris. Un soir alors qu’ils essaient de voler une voiture, sa conductrice se met à hurler, refuse de donner les clés. La police qui patrouillait dans le secteur, va les arrêter facilement, notamment parce que Gilbert refusera de tirer. 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    Gilbert a fait une tentative de suicide en prison 

    Très ancré dans les années soixante-dix. Cette histoire raconte d’abord la décomposition du milieu, et l’arrivée en force de malfrats qui n’ont plus le respect de la hiérarchie. Ce Gilbert Nodier est une sorte de Mesrine, braqueur, il travaille avec sa femme et ne craint pas d’affronter les malfrats déjà installés et imagine des évasions spectaculaires. Il y a donc deux camps, d’un côté les arrivés qui portent de beaux costumes, encravatés, ils se gobergent dans les beaux quartiers et font prospérer leur business à la manière des capitalistes. Et de l’autre, les chiens fous, en blousons de cuir, vivant dans la périphérie, mais refusant de se contenter des miettes et de respecter les plus puissants. Il y a toujours eu évidemment à côté des gros poissons des plus petits, mais ce qui est apparemment neuf dans le début des années soixante-dix, c’est leur audace qui les rend complètement incontrôlable que soit par le milieu ou par la justice. La différence entre les deux catégories est que les seconds n’ont aucune ambition, même pas celle de durer, à peine vivre l’instant. Provocateurs, ils s’exposent le plus souvent inutilement. 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    Gilbert va aller au cachot 

    Cependant si le personnage de Gilbert est bien cadré, une enfance difficile, des parents absents, le portrait des autres personnages est clairement en retrait. Par exemple on ne sait rien de ce qui a amené Liliane à se livrer à la prostitution. Pourquoi devient-elle encore plus suicidaire que son mari ? En effet, à la fin du film Gilbert n’osera pas tuer, alors qu’elle l’aurait fait sans remords. Elle semble être une femme émancipée, forte, très axée sur le mal sous toutes ses formes. Pute sans doute, mais maitrisant sa destinée. D’ailleurs les femmes n’apparaissent pas du tout comme des femmes soumises, Ginette a son franc parler et n’hésite pas à faire la leçon à son mec. Cependant, Le couple Gilbert-Liliane reste assez traditionnel. C’est à la vie à la mort, et cette morale conduit Liliane à prendre tous les risques pour son mari. On a connu ça avec Mesrine et Sylvia Jeanjacquot, ou avec Michel Vaujour et son épouse Nadine qui le fera s’évader par la voie des airs d’une manière spectaculaire. Michel Vaujour avait d’ailleurs lui aussi pris en otage un juge en 1979. Avait-il vu le film de Molinaro ? En tous les cas il aura fait 27 longues années de cabane. 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    Serge dépouille les putes qu’il lève 

    Le banditisme de cette époque c’était assez facile, il suffisait d’avoir un peu de couilles et un révolver. Il y avait encore de l’argent liquide dans les banques et les supermarchés. Et puis les voitures se volaient assez facilement. On vole toujours des voitures bien sûr, mais c’est plus compliqué, il y faut un équipement qui est assez onéreux. Tout ça c’était pour ceux qui ne voulaient pas se servir de la prostitution de leurs femmes comme gagne-pain. Mais ça n’existe plus depuis bien longtemps, et il n’y a plus de liquide dans les banques et les supermarchés. En dehors de la drogue, c’est plus compliqué de faire une carrière de voyou.  D’ailleurs ça fait bien longtemps qu’on n’a pas entendu parler d’un hold-up d’envergure. Même les transports de fonds sont tranquilles et on ne perce plus de tunnels pour arriver dans la salle des coffres d’une banque de la Société Générale. Sans doute cela ôte beaucoup de poésie à ce métier qui était très artisanal et demander du savoir faire et du sang froid. 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    Gilbert qui rackette aussi les putes est tombé sur Liliane 

    On voit qu’Alphonse Boudard a construit son scénario en empruntant beaucoup aux légendes du milieu, et pas seulement au couple Jubin. Curieusement il emprunte aussi l’accident de Gilbert à Albertine Sarazin qui décrit, dans L’astragale[1] comment elle s’est brisée la cheville en tentant de s’évader d’une maison dite de redressement. Il emprunte aussi à sa vraie vie, en racontant les duretés de la vie carcérale et cette envie de mourir qui vous vient naturellement avec celle de s’évader. Tout le passage sur la prison est du Boudard pur et simple. D’ailleurs on verra sa silhouette quand il assiste au déshabillage de Gilbert qui va partir au cachot. Il n’est pas crédité, mais un œil exercé le repère assez facilement. On y sent la détresse de ceux qui sont enfermés comme de ceux qui viennent les voir pour les soutenir, mais ce sont qu’il faut soutenir. Boudard recyclera la scène de l’arrestation de Gilbert, Liliane et Serge dans l’excellent Flic story de Jacques Deray où il fera une petite apparition[2]. 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    Gilbert et Liliane se sont mariés 

    L’histoire est solide. Cependant la réalisation reste assez pauvre. Sans doute par manque de moyens. En effet Molinaro procède avec une surabondance de plans rapprochés et un montage rapide, trop rapide qui gêne la fluidité du récit. Ça donne un film assez étriqué, ça manque d’ampleur. La scène de l’arrestation de la bande est bien la même que celle de Flic Story, quand Borniche, incarné par Alain Delon, arrête Émile Buisson, mais elle est nettement moins bien réussie. Plus qu’une question de savoir faire, c’est un manque de moyens qui ressort. Donc on n’aura pas trop de plans larges toujours plus longs et difficiles à mettre en place. Le cadre filme au plus près de l’action, même les scènes au palais de justice, sans doute pour éviter qu’on mette notre nez dans la pauvreté des décors. C’est beaucoup mieux quand Molinaro filme la banlieue ou la province de cette époque lointaine maintenant. La photo de Raoul Coutard n’a rien d’exceptionnel et la musique de Michel Legrand est plutôt bienvenue. 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    La bande braque un supermarché 

    L’histoire est menée avec une voix-off, c’est celle du juge qui retrace le parcours de Gilbert, qui le résume en même temps qui essaie de mettre à jour ses motivations. Mais Gilbert répond presque toujours à côté de la plaque et sème le trouble. Il y a une scène aussi très bien venue, c’est quand Gilbert qui vient d’agresser plusieurs personnes pour les voler, va acheter une télévision pour sa marraine, alors qu’on croit qu’il va agresser le marchand qui était en train de compter sa recette. Cette scène monte que Gilbert veut payer avec ses propres billets le cadeau qu’il fera à sa marraine qui est celle qui l’a élevé. Mais elle montre aussi que dans le début des années soixante-dix, tout le monde n’avait pas encore la télévision ! Il demandera au marchand si ce modèle permet bien de capter les trois chaînes. Nostalgie, aujourd’hui on en accès, via internet à cinq cents chaînes venant du monde entier. Également Gilbert accompagne son ancienne petite amie qui travaille comme comptable à l’usine. On y voit un décor qui aujourd’hui ne peut plus exister : de longues usines mangeant l’espace et envoyant leur fumée polluante vers le ciel. La scène du banquet du mariage est pas mal aussi, même si elle manque un peu d’ampleur. Après leur fuite du palais de justice, le trio entame une longue errance dans Paris et sa banlieue qui est peut-être ce que Molinaro réussit de mieux dans ce film. 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972 

    Les hommes de Cerutti sont venus mettre Ginette à l’amende 

    L’interprétation est assez juste et relève le film. D’abord Daniel Cauchy dans le rôle de Gilbert. Il est suffisamment nerveux et arrogant comme le rôle le demande et démontre aussi une certaine angoisse de la prison comme un vrai attachement à sa marraine et à sa femme. Il est le fil rouge du film, présent à l’écran du début jusqu’à la fin. Je crois que c’est son seul premier rôle dans sa carrière. Il avait commencé sa carrière d’acteur avec Melville, Quand tu liras cette lettre et Bob le flambeur, il a terminé sa vie en 2020, emporté par le COVID à l’âge de 90 ans. Bulle Ogier dans le rôle de Liliane est un très bon choix. Bien qu’elle ait la réputation d’une actrice pour films d’art et d’essai, il faut se souvenir qu’elle a connu son premier vrai succès avec La salamandre, le portrait d’une révoltée, une marginale issue de la classe ouvrière et qui tente d’échapper à son destin. Elle est excellente, et je me dis qu’elle aurait dû insister dans cette voie d’un cinéma populaire. Le couple tient la route, y compris dans les scènes de lit où on peut voir, assez brièvement, Bulle Ogier complètement à poil. Ce qui montre qu’elle n’avait peur de rien. 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    La police arrête Gilbert, Serge et Liliane dans une auberge de banlieue 

    Les autres acteurs sont bons, voire très bons. Gilles Segal dans le rôle de Serge, tient tout à fait son rang. Mais Molinaro donne de la place à des acteurs dits de second rang et qui n’ont pas l’habitude d’avoir autant de lignes à dire. D’abord Ginette Delbat, dans le rôle de la marraine. Elle est vraiment étonnante, juste et émouvante. Mais je dirais qu’elle est toujours très bien. Ensuite Simone Rieutor dans le rôle de Monique l’ex-petite amie de Gilbert. Elle serait très rarement utilisée au cinéma et fera l’essentiel de sa carrière à la télévision. Du côté des malfrats on a trois acteurs impeccables, presque habités et habitués par leur statut de voyou à l’écran. L’excellent Gérard Darrieu qui incarne Maurice, mari de Ginette, Pierre Collet le mari de marraine, qui n’a que quelques instants à l’écran mais qui l’occupe très bien, et puis Maurice Barrier qui est Jo L’homme de main de Cerutti. Ce dernier est brutal et cruel, mais tout en finesse ! 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972 

    Liliane a obtenu la liberté provisoire 

    Le film a été un échec commercial radical, du moins en France pour le reste je ne sais pas ce qu’il a fait à l’étranger, mais il s’est vendu en Allemagne et en Italie au moins. Il n’avait pas eu de mauvaises critiques pourtant. Si ce n’est pas un chef d’œuvre, c’est tout de même un film qui se voit agréablement avec une histoire qui tient la route, tout en nous donnant un coup de nostalgie pour nos chères années soixante-dix qui nous paraissent aujourd’hui bien loin et bien insouciantes au regard de ce que le monde est devenu. 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    Avec les revolvers amenés par Liliane Gilbert et Serge prennent le juge en otage 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    Ils quittent le palais de justice 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    Ils essaient de fuir en évitant les grands axes et en prenant le bus 

    Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1972

    Cette fois la police les tient


    [1] Paru en 1965 chez Jean-Jacques Pauvert, un grand succès et un grand livre que je recommande vivement aux jeunes générations qui ne le connaisse pas encore. Albertine Sarazin c’était une sorte de Boudard au féminin, avec une belle langue, très personnelle et un humour désespéré. Incidemment elle a sauvé par son succès Pauvert de la faillite.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/flic-story-jacques-deray-1975-a151000230

    « Les tribulations des biopics au cinémaCompte à rebours, Roger Pigaut, 1971 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :