-
Deborah Walker-Morrison, Classic French Noir, gender and the cinema of fatal desire, I. B. Tauris, 2018
Il existe très peu d’ouvrages sur le film noir français, j’avais signalé en son temps celui de Thomas Pillard[1] et celui de Denitza Bantcheva et Roberto Chiesi[2]. C’est un grand manque, et sur ce blog j’ai longtemps défendu l’idée que le film noir français avait produit d’excellents films, et qu’en outre, il avait été une influence importante, même si cela n’est jamais dit, pour le film noir américain. Depuis l’ouvrage de Borde et Chaumeton[3] on fait en France comme si le film noir n’avait pas existé chez nous autrement que comme un décalque des production américaines. Cette approche, si elle pouvait se comprendre encore en 1955, est scandaleuse, elle a été malheureusement colportée par les critiques de type Nouvelle Vague. C’est tout un pan de la cinématographie française qui est niée aussi bien dans son importance historique que dans sa singularité esthétique. On fait comme si le cinéma commercial américain avait produit des chefs-d’œuvre, mais comme si son homologue français en avait été incapable. Le résultat de cette situation paradoxale, c’est qu’il faut que ce soit une universitaire qui enseigne aux antipodes qui produise un ouvrage enfin intéressant sur cette question. Deborah Walker-Morrison a soutenu sa thèse, Auto-réflexivité et construction de la subjectivité dans le cinéma français contemporain (Alain Resnais), en 2001 en France justement, à Paris 8. Elle enseigne à l’Université d’Auckland en Nouvelle Zélande.
Le corbeau d’Henri-Georges Clouzot, 1943
Beaucoup ont remarqué qu’avant la Seconde Guerre mondiale, le cinéma français penchait déjà vers le film noir, Renoir, Duvivier, Chenal. Tous ces réalisateurs fuiront la France au moment de l’Occupation, emmenant avec eux Jean Gabin et Michèle Morgan. Seul Carné restera. Mais comme le signale Walker-Morrison, la période de l’Occupation est très florissante pour le cinéma français, et c’est dans ce mouvement d’expansion que vont apparaître de nouveaux réalisateurs qui justement produiront des films noirs très originaux. Comme ces réalisateurs furent un peu inquiété pour leur proximité avec l’occupant – Clouzot partouzait avec les Allemands – on a un occulté leur importance, du moins pour leur travail pendant l’Occupation. Or si on considère que durant cette période il y a une tendance au film noir qui se solidifie et se conforte, on constate que de l’autre côté de l’Atlantique le film noir se développe aussi. Il est bien évident qu’à cette époque il y a une étanchéité par la force des choses entre le cinéma français et le cinéma américain qui est banni de notre territoire par le régime de Vichy, alors qu’avant guerre ces deux cinématographies se fréquentaient et s’enrichissaient l’une, l’autre. De nombreux réalisateurs comme Robert Siodmak, Fritz Lang et quelques autres venant d’Allemagne passèrent par la France avant de rejoindre les Etats-Unis. Ils ont eu une importance décisive dans le développement du cycle classique du film noir.
Voyage sans espoir, Christian-Jaque, 1943
Cette situation singulière, déterminée par les conséquences de la défaite, va permettre à de nouveaux cinéastes talentueux de se faire rapidement connaître. Le cinéma est en effet un des rares loisirs populaires auxquels les Français ont encore droit. Et puis les cinémas sont chauffés ! Malgré le contrôle plutôt strict des Allemands sur la production, le cinéma français connaît un renouveau spectaculaire qui va porter ses fruits jusqu’à au moins la Nouvelle Vague. Ces cinéastes s’appellent Clouzot, Autant-Lara, Grémillon, Decoin ou encore Cayatte et d’une manière ou d’une autre, systématiquement ou pas, travaillent à l’éclosion d’un film noir à la française. Walker-Morrison va ensuite s’appuyer sur une thèse sociologique qui est déjà bien connu, à savoir que la guerre ayant mobilisé les hommes ailleurs, les femmes prennent le pouvoir et d‘autant plus facilement que les mâles ont été blessés, traumatisés et diminués dans les conflits. Cette thèse sociologique n’est pas fausse, mais elle est un peu insuffisante sur au moins deux points : d’abord parce que l’évolution économique qui a conduit à une accélération de l’industrialisation et à la fin de la ruralité, avait déjà inséré massivement les femmes dans l’appareil productif, leur donnant une sorte d’indépendance et donc plus de pouvoir, même si cela ne sera pas facile – il faudra attendre 1946 pour que les femmes aient le droit de vote et 1965 pour qu’elles ne soient plus sous la tutelle de leur mari pour des actes économiques comme ouvrir un compte en banque. Ensuite, mais au fond c’est la même chose parce que les femmes vont accéder de plus en plus à l’éducation, même si ce mouvement est lent, donc elles vont être de moins en moins cantonnées aux tâches liées à la reproduction de l’espèce et à l’entretien du ménage. Et forcément en donnant une identité singulière à la femme, la question de sa sexualité a été posée. Ce qui se révèle dans le cinéma qui d’un certain point de vue participe au mouvement d’émancipation de la femme ne serait-ce qu’en lui donnant de plus en plus souvent un rôle décisif.
Métropolitain, Maurice Cam, 1938
Evidemment on ne contestera pas le fait que la période de l’Occupation est propice au développement du film noir, avec son lot de misères et de turpidtudes. Un film comme Le corbeau par exemple est tout à fait emblématique de cette période, bien plus que la bluette de Marcel Carné, Les visiteurs du soir, qu’après coup on a bien voulu voir comme une sorte d’acte de résistance subtil. Egalement Voyage sans espoir de Christian-Jaque ne serait-ce que par son titre dénonce la noirceur d’une époque. Mais il est difficile de ne pas voir les liens qui relient le cinéma français sous l’Occupation avec les films noirs qui ont été tournés avant guerre. Sans parler des films de Carné, Renoir ou Duvivier qui sont trop souvent ramassés à tort dans le seul bloc du réalisme poétique, on peut citer Métropolitain de Maurice Cam ou encore plus Le dernier tournant de Pierre Chenal qui est la première adaptation très réussie de l’ouvrage de James M. Cain, The postman always rings twice[4]. Donc des personnages de garce qui détournent l’homme de son droit chemin ou qui le confortent dans ses turpitudes, tenu par ses pulsions sexuelles, on va en trouver beaucoup dans les films des années trente, certains incarnés de manière récurrente par Ginette Leclerc – patronne de bar de nuit à Pigalle, fille à voyou et condamnée aussi pour collaboration. Il n’y a pas eu besoin de la défaite pour que le mâle soit diminué et mené par le bout de sa queue. Mais il y a une évolution certaine, et il est vrai que les films noirs de la période de l’occupation présentent une inflexion vers plus de cynisme, plus de dureté. Les films noirs américains de la même époque sont peut-être un peu plus dans une opposition des sexes, comme si la naïveté du mâle était surprise par la vénalité féminine. On verra par exemple la passion amoureuse comme une maladie, tandis qu’en France cela apparait comme au mieux une tromperie, une fourberie ou une trahison qui mérite punition. Mais en même temps les films français recèlent peut-être plus de compassion pour les pécheresses, sans doute à cause d’un vieux fond de culture catholique. Je pense à un film comme La moucharde de Guy Lefranc qui trace le portrait d’une jeune femme absolument mauvaise, mais qu’on ne peut condamner parce qu’au fond elle a suivi des pulsions amoureuses malheureuses. Pour qualifier la spécificité du film noir à la française du point de vue de la figure féminine, Walker-Morrison va donner une importance intéressante au personnage de Simone Signoret à travers toute une série de films comme Macadam, Dédée d’Anvers, ou les plus tardifs Casque d’or, Thérèse Raquin et Les diaboliques. Ces rôles à l’écart de la morale ordinaire et bourgeoise accompagnent la mise en valeur de l’actrice comme une femme émancipée dans sa vie de tous les jours, elle a son franc parler et n’hésite pas à s’engager politiquement. Elle sera longtemps une figure de la gauche pro-communiste.
Pierre Chenal, Le dernier tournant, 1939
Inévitablement Walker-Morrison en vient à parler du film noir français en comparaison du film noir américain. Passons sur le fait qu’il n’y a aucune raison que le film noir américain soit l’étalon du film noir français, allons à ce qui est plus intéressant. Comme son ouvrage donne une place centrale aux différences genre, elle va comparer la place de la femme dans la représentation cinématographique américaine et française. Elle part de cette idée selon laquelle les Français sont plus romantiques que les Américains. Et donc il vient qu’en France on considèrera la femme plus comme une victime de la fatalité que comme une manipulatrice sans cœur. Pour démontrer cela elle se livre à une analyse serrée et intéressante des adaptations de Chenal et de Garnett de l’ouvrage de James M. Cain, The postman always rings twice. Mais si la place de la femme change d’un continent à l’autre, celle des hommes change aussi. Dans Le dernier tournant Cora est plus adoucie, moins prédatrice, il s’ensuit que son mari, Nick, est plus naïf et la regarde avec plus d’amour que dans la version de Garnett où on a l’impression qu’il se moque d’elle. Egalement Walker-Morisson va mettre en avant l’importance de la figure de la prostituée dans les films noirs français, alors qu’elle est presqu’absente des films noirs américains, et quand on la voit, c’est dans Scarlet street de Fritz Lang sans jamais prononcer le mot de prostitution, le film d’un réalisateur allemand en exil qui tourne un remake d’un film français, celui de Renoir, La chienne.
120 rue de la gare, Jean Daniel-Norman, 1946
L’ouvrage se consacre à la période 1945-1959 donc à l’étude du film noir dans le cadre de La qualité française. Cette qualité française dénigrée par Truffaut s’accompagnait d’un développement impressionnant sur le plan technique. Le principal problème avec l’étude du film noir vient des critères de classification qu’on utilise pour définir l’échantillon de référence, est-ce un genre, un style, une esthétique ? Où se trouvent les ruptures entre les périodes ? Ce flou qui règne en la matière et qui avait conduit Jean-Pierre Esquenazi à réduire l’échantillon à une poignée de films américains[5], revient toujours à discuter l’échantillon qu’on analyse. L’échantillon utilisé par Walker-Morrison suit à peu près les recommandations d’Alain Silver et Elizabeth Ward[6], elle inclut ainsi des films assez peu connus même en France, comme Les amants maudits de Willy Rozier[7] ou comme Métropolitain. Et elle donne une importance décisive à la cinématographie d’Henri-Georges Clouzot. Mais elle en oublie d’autres par exemple les films de Robert Hossein dont la plupart sont des films noirs, et principalement Toi le venin qui pourtant devrait encore plus qu’un autre convenir à l’optique de l’auteur, puisqu’en dédoublant les objets amoureux du héros, il développe une discussion sur ce qui attire le mâle dans les filets de la passion[8]. Pierre est attiré en effet aussi bien par Hélène, une jeune femme entreprenante, riche et séduisante, mais aussi par sa sœur la sulfureuse Eva qui est en apparence handicapée et clouée dans un fauteuil à roulettes. C’est entre ces deux sœurs que va se livrer une bataille à mort pour la possession de Pierre. Toujours dans cette veine qui fait découler le crime de la passion amoureuse et de la sexualité féminine, il y a également l’excellent et inattendu La moucharde de Guy Lefranc que j’ai cité plus haut[9]. Dans les deux derniers films que nous citons, les héroïnes, très négatives, assument une indépendance et une sexualité qui finalement les détruira. Jean-Pierre Melville qui est un peu oublié aurait mérité d’être mieux traité, non pas pour ses films très connus de truands, comme Le deuxième souffle, Le Samouraï, ou même encore Le doulos qui ne s’intéressent guère à la femme et à sa place, mais pour son premier film vraiment noir, Quand tu liras cette lettre[10]. Dans ce film qui date de 1953 et que Melville reniera pour des raisons assez obscures, on y verra un héros douteux, un demi-sel, un peu gigolo, partagé entre une jeune fille qu’il mènera au suicide et une sœur défroquée qui le mènera à la mort. Ces deux sœurs qui représentent deux aspects très différents de la passion maladive et du sexe, sont les deux seuls personnages complexes de la cinématographie de Melville, mais aussi très emblématiques de la conception du film noir à la française.
Dédée d’Anvers, Yves Allégret, 1948
Beaucoup d’idées émergeront de l’opposition entre le film noir américain et le film noir français. Par exemple en France l’adultère est moins vu comme une fourberie, un vice qui en cache un autre, que comme la nécessité d’une passion sexuelle débordante. Cela se remarquera aussi dans le fait que les femmes criminelles sont moins sophistiquées dans le film noir français que dans on homologue américain. Si elles se déguisent moins, leur maquillage est plus sobre, c’est donc qu’elles sont moins enclines à tromper sur ce qu’elles sont vraiment. Mais on peut se demander si cette différence visible à l’œil nu n’est pas aussi une différence dans le degré de développement économique de la France. Moins urbains, plus provinciaux, les individus apparaissent moins atomisés. Quand on regarde le film noir dans son développement, on s’perçoit qu’il s’agit d’abord de discuter de l’émancipation de la femme. Qu’on le fasse du point de vue de la morale ou non, la femme dans le film noir devient, bon gré mal gré, un personnage à part entière autour duquel l’histoire se construit. C’est là une des failles du discours de Walker-Morrison, s’il y a des traces de misogynie dans le film noir, cela ne masque pourtant pas cette marche vers l’autonomie de la femme que ce soit dans son travail, sa morale ou encore sa sexualité. Elle signale d’ailleurs que dans 120 rue de la gare de Jean Daniel-Norman qui date de 1946, le personnage de Nestor Burma est fermement secondé par celui d’Hélène Chatelain. La même année sortait aux Etats-Unis, The dark corner, d’Henry Hathaway où la relation entre le détective et sa secrétaire était tout à fait similaire. Dans les deux cas c’était un pas en avant sur la voie de l’égalité de genres. Contrairement à ce qu’on peut penser, le film noir ne remet pas la femme à sa place, mais la met en scène et l’accompagne dans sa quête de l’émancipation.
Les amants maudits, Willy Rozier, 1952
On notera cependant quelques imprécisions importantes. Par exemple cette légende selon laquelle Jean Gabin qui fut la figure tutélaire du film noir français, dut attendre Touchez pas au grisbi de Jacques Becker en 1954 pour retrouver les faveurs du public. C’est faux, Martin Roumagnac fut un succès, même s’il fut bien moins important que Touchez pas au grisbi. C’est en vérité ce film qui était une exception. Même des films comme, Au-delà des grilles, Leur dernière nuit, ou, Le désordre et la nuit marchaient très bien, ils tournaient toujours entre deux et trois millions d’entrées en France. Jean Gabin avait un public fidèle, et surtout il faisait de très bonnes recettes en Italie ou en Allemagne. En vérité, sans doute justement parce qu’il donnait dans le film noir, Jean Gabin n’arrivait pas à faire les scores de Bourvil ou de Fernandel qui étaient beaucoup plus réguliers, abonnés à la comédie. Le gangster interprété par Charles Vanel est surnommé par Walker-Morrison, le fendu. Il faut comprendre le fondu qui en argot signifie le fou, en référence évidemment à Pierrot-le-fou. Ou alors, page 154 elle prénomme Demongeot, Catherine, à la place de Mylène. Il est également dommage de ne pas détailler un peu plus les spécificités du cinéma français d’un point de vue technique. Elle l’aborde parfois, à travers Clouzot notamment, mais pas de manière systématique, or le film noir s’il se définit effectivement comme un genre, il est aussi porteur d’un style visuel nouveau adapté à son propos. C’est évident avec Julien Duvivier qui est ici un peu traité par-dessus la jambe. Des réalisateurs comme Yves Allégret même quand ils ont un matériel très faible à valoriser comme dans La fille de Hambourg, arrivent à donner du sens à l’image[11]. Il aurait été très intéressant d’analyser Yves Allégret du point de vue du style, un style qui est tout à fait adapté à cette manière neurasthénique de présenter la passion amoureuse comme impossible. De même on aurait pu discuter des parodies de film noir dues à Jean-Luc Godard, on en compte au moins deux, A bout de souffle bien sûr, mais aussi Bande à part démarqué d’un roman de Série noire de Dolores Hitchens. Et cela d’autant plus que ces deux films sont aussi très misogynes. Mais la parodie ne révèle-t-elle pas mieux encore l’essence d’un genre ? Dans le genre parodique, il y a aussi le très médiocre Tirez sur le pianiste de François Truffaut qui, adapté d’un roman noir de David Goodis, révèle aussi une place singulière de la femme dans le film noir. Puisqu’on parle d’échantillon de films et de littérature noire, il me semble que le bon fil pour le construire serait par exemple de partir des romanciers qui ont fourni de la matière aux réalisateurs. Il y en a un certain nombre incontournable, Georges Simenon, Frédéric Dard, mais aussi Jean Meckert dit Jean Amila, ou encore James Hadley Chase et la Série noire qui fournira un grand nombre de romans de truands, Albert Simonin, Auguste Le Breton, ou encore José Giovanni qui donnèrent tous les trois des histoires pour Jean Gabin[12].
Quand tu liras cette lettre, Jean-Pierre Melville, 1953
Le dernier chapitre est consacré au film noir dans ce sous-genre qui est le film de gangsters. Walker-Morrison se consacre plus particulièrement aux récits qui mettent en scène un truand vieillissant, Touchez pas au grisbi, Du rififi chez les hommes ou encore Bob le flambeur. Le schéma est le suivant, un truand arrivé, riche et puissant, séducteur aussi, roulant dans de grosses voitures américaines doit justifier son statut. Walker-Morrison regarde cette veine du point de vue de la relation sexuelle déséquilibrée entre un homme âgé et une femme très jeune, mais aussi du point de vue de la transformation du mode de consommation, l’américanisation du mode de vie français. La matrice de ce type d’histoire se trouve dans un roman, Pol Monopol, édité en 1947, écrit par le collaborateur et milicien condamné à la prison à la Libération, François Brigneau sous le nom de Julien Guernec[13]. Ce schéma sera repris avec succès par Albert Simonin, argot compris, lui aussi condamné pour collaboration avec l’ennemi, avec Touchez pas au grisbi. Ce qui veut dire que ce schéma « consumériste » de l’embourgeoisement d’un truand existe avant que la France ait redécoller dans son développement. Mais ce rappel renvoie à ce que dit Walker-Morrison pour ce qui concerne la nostalgie. Tout cela nous semble assez juste. Cependant quand elle traite des voyous et du milieu, elle ne regarde que du point de vue de Pigalle et de son folklore avec des femmes traitées comme des objets dans un prolongement de la logique prostitutionnelle. Or il existe d’autres types de voyous dans la cinématographie française. Par exemple le film qu’elle cite elle-même, Les amants maudits de Willy Rozier qui montre une complicité évidente entre un homme et une femme dans la quête d’une vie dangereuse. Le fric de Maurice Cloche présente aussi un délinquant d’occasion qui participe à des mauvais coups pour financer sa passion dans la ferronnerie d’art et les besoins d’une femme dispendieuse, il se heurtera au milieu de façon violente. Un des points non traités par Walker-Morrison est celui de la femme comme vecteur de la destruction d’un groupe d’amis plus ou moins soudés dans la truanderie. La femme donc comme opposition au développement d’une amitié virile. Ces incursions qui ont parfois des parfums d’homosexualité, dévoile un autre aspect de la nécessaire mise à l’écart des femmes dans un univers strictement masculin. On voit ça par exemple dans Asphalte de Bromberger. Une jeune femme qui revient dans le quartier pauvre de son enfance et qui par sa seule présence va semer un trouble destructeur d’une bande de jeunes délinquants. C’est aussi un peu le thème de Pardonnez nos offenses de Robert Hossein. Dans ces deux derniers cas il se confirme que le film noir met en scène aussi l’émancipation féminine. Les deux héroïnes, interprétées par Françoise Arnoul et Marina Vlady, sont justement à la pointe de ce combat et portent un érotisme nouveau.
Le fric, Maurice Cloche, 1959
Dans l’ensemble c’est donc un très bon ouvrage qui comme on le voit engage à la réflexion et qui a le mérite de donner de l’importance, voire une identité, au film noir français, d’exhumer quelques films oubliés qui valent le déplacement, et de réhabiliter en quelque sorte des réalisateurs malmenés par la critique façon Nouvelle Vague, mais aussi Walker-Morrison défend une thèse pour tenter de faire apparaître la singularité de la place de la femme dans le contexte délicat de l’Occupation puis des séquelles de la Libération. Elle nous annonce une suite, un second tome qui prolongerait la période 1945-1959 et qui intégrerait les transformations que la France a connues après l’expansion des Trente glorieuses. Cela s’impose en effet.
Toi le venin, Robert Hossein, 1959
Voici une liste de films noirs qui pourraient prolonger et enrichir la problématique de Deborah Walker- Morrison
Maurice Tourneur, Au nom de la loi, 1932
Curtis Bernhardt, Carrefour, 1938
Christian-Jaque, Un revenant, 1946
René Clément, Au-dela des grilles, 1949
Yves Allégret, Une si jolie, petite plage, 1949
Maurice Cloche, La cage aux filles, 1949
Marcello Pagliero, Un homme marche dans la ville, 1950
André Cayatte, Justice est faite, 1950
André Cayatte, Nous sommes tous des assassins, 1952
Jean-Pierre Melville, Quand tu liras cette lettre, 1953
Marcel Blistène, Le feu dans la peau, 1954
Hervé Bromberger, Les fruits sauvages, 1954
André Pergament, M’sieur La Caille, 1955
Maurice de Canonge, Interdit de séjour, 1955
Georges Lampin, Crime et châtiment, 1956
Robert Hossein, Les salauds vont en enfer, 1955
Robert Hossein, Pardonnez nos offenses
Gilles Grangier, Reproduction interdite, 1957
Raymond Bailly, L’étrange monsieur Steve, 1957
Yves Allégret, Méfiez-vous fillettes, 1957
Gilles Grangier, Trois jours à vivre, 1957
Guy Lefranc, La moucharde, 1958
Edouard Molinaro, Le dos au mur, 1958
Hervé Bromberger, la bonne tisane, 1958
Yves Allégret, La fille de Hambourg, 1958
Maurice de Canonge, Police judiciaire, 1958
Edouard Molinaro, Un témoin dans la ville, 1959
Hervé Bromberger, Asphalte, 1959
Robert Hossein, Toi le venin, 1959
Jean-Luc Godard, A bout de souffle, 1960
François Truffaut, Tirez sur le pianiste, 1960
Hervé Bromberger, Les loups dans la bergerie, 1960
Charles Gérard, La loi des hommes, 1962
Jean-Pierre Melville, Le doulos, 1962
Marcel Bluwal, Le monte-charge, 1962
Jean-Luc Godard, Bande à part, 1964
André Cayatte, Piège pour cendrillon, 1965
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/thomas-pillard-le-film-noir-francais-1946-1960-jospeh-k-2015-a118022600
[2] http://alexandreclement.eklablog.com/denitza-bantcheva-et-roberto-chiesi-le-film-noir-francais-gremese-2015-a118058596
[3] Raymond Borde et Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain, Editions de Minuit, 1955.
[4] http://alexandreclement.eklablog.com/le-dernier-tournant-pierre-chenal-1939-a130597360
[5] Le film noir. Histoire et significations d'un genre populaire subversif, CNRS Éditions, 2012.
[6] Film noir, an encylcopedic reference to the American style, Overlook Press, 1979.
[7] http://alexandreclement.eklablog.com/les-amants-maudits-willy-rozier-1952-a118093452
[8] http://alexandreclement.eklablog.com/toi-le-venin-robert-hossein-1959-a117526410
[9] http://alexandreclement.eklablog.com/la-moucharde-guy-lefranc-1958-a158447328
[10] http://alexandreclement.eklablog.com/quand-tu-liras-cette-lettre-jean-pierre-melville-1953-a114844948
[11] http://alexandreclement.eklablog.com/la-fille-de-hambourg-yves-allegret-1958-a128004402
[12] Frank Lhomeau, « La Série noire fait son cinéma », Temps noir, n° 20, 2017.
[13] http://alexandreclement.eklablog.com/faut-toutes-les-buter-1947-francois-brigneau-precurseur-du-roman-noir-a114845184
Tags : Walker-Morrison, film noir français, ouvrage
-
Commentaires
l'ouvrage de Robin Buss est assez hétéroclite dans son principe. J'ai commenté l'ouvrage de Pillard en son temps que je trouve nettement moins intéressant que le livre de Walker-Morrison
Ajouter un commentaire
Bonjour,
Dans la bibliographie, on peut signaler aussi "french film noir" de Robin Buss.
L'ouvrage de Thomas Pillard semble malheureusement introuvable...