• Du polar, François Guerif, Manuels Payot, 2013


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    François Guérif s’est fait un nom dans le polar, en créant un grand nombre de collection, puis en devenant le créateur de la collection Rivages-Noir. La plupart de ces collections ont eu des carrières chancelantes, jusqu’à ce que Rivages-Noir devienne l’éditeur de James Ellroy qui vend plus d’ouvrages en France qu’aux Etats-Unis. Parmi les autres locomotives il y a Dennis Lehane, ou encore James Lee Burke, le créateur du détective Robicheaux.

    Dans cet ouvrage d’entretiens, François Guérif raconte sa vie d’amateur de romans et de films noirs qui va finalement devenir créateur d’une librairie, Le Troisième œil, d’une revue Polar, une des premières revues à consacrer des vrais dossiers à des écrivains de polar comme Jim Thompson, Léo Malet, etc. et enfin il va faire en sorte de publier des auteurs qu’il aime. Entre temps il a écrit quelques ouvrages sur le cinéma, le film noir ou sur des acteurs comme Belmondo, Newman ou Redford.

    Guérif peut parfois déplaire tant il fait la leçon, tant ses goûts sont tranchés, même s’il n’atteint pas le dogmatisme d’un Manchette dont il a adopté certains goûts et certains tics.

    Il n’empêche que l’ouvrage est intéressant. D’abord parce que Guérif a fait des efforts considérables pour traduire l’intégralité de l’œuvre des grands auteurs du « noir » comme Jim Thompson par exemple ou Charles Williams. Au passage il peste contre les traductions tronquées et truquées de la Série noire. Même s’il a raison dans l’absolu, c’est pourtant grâce aux médiocres traductions de Chandler ou de Thompson qu’on a connu ses auteurs en France. Ils avaient suffisamment de puissance pour résister aux travestissements en tous genres d’un Boris Vian par exemple.

    On trouve aussi des évocations des écrivains que Guérif a connus : Léo Malet, Frédéric Dard, Albert Simonin, et bien sûr James Ellroy si on s’intéresse à cet auteur. En faisant le tri, je me rends compte qu’il y a autant d’auteurs que j’apprécie avec Guérif que d’auteurs que je n’aime pas contre son avis. Il rend ainsi un hommage appuyé à Frédéric Dard, disant préférer ses romans noirs aux San-Antonio, rappelant à juste titre que Dard trouvera sa plénitude en tant qu’écrivain vers le milieu des années quatre-vingts avec Faut-il tuer les petits garçons qui gardent les mains sur les hanches ? Par contre je trouve qu’il a un jugement erroné sur les auteurs français de la Série noire. Il trouve ainsi que Simonin est supérieur à Le Breton. Or la langue de Le Breton est pourtant plus vraie, moins trafiquée que celle de Simonin. Quant aux intrigues n’en parlons pas ! Simonin, ne savait pas faire construire d’histoire. Seule celle de la trilogie du Hotu tient la route, mais je soupçonne que pour cela il s’est fait aider par Frédéric Dard. Même s’il reconnaît que Le trou de José Giovanni est un bon reflet de la réalité des prisons, il le traite un peu par-dessus la jambe. Certes chez cet auteur tout n’est pas bon, mais les premiers Série Noire sont incontournables.

    Parmi les auteurs plus récents qu’il publie, on peut se poser des questions sur l’originalité de Dennis Lehane, ou celle du sympathique James Lee Burke. Je n’ai pas beaucoup d’estime pour James Ellroy, Guérif oui. Particulièrement il considère que Le grand nulle part est un livre génial sur le maccarthysme, alors que cet ouvrage est tout de même assez dégueulasse pour ceux qui ont été poursuivi par les fachos de l’HUAC. Le roman noir doit contenir une certaine vérité, si elle n’est pas factuelle, elle doit au moins être humaine, ou psychologique ou comportementale. Mais la prétention d’Ellroy est d’écrire non pas des romans noirs, mais des romans historiques. Et là pour le coup les approximations historiques ne pardonnent pas.

    Mais au fond ces dissensions n’ont pas d’importance. L’ouvrage de Guérif retrace de façon plus précise l’évolution du roman criminel et ses orientations récentes, mettant en parallèle l’évolution des formes sociales. Il aurait pu aussi se poser une question importante : pourquoi le roman policier, ou noir, ou criminel, est-il devenu un élément essentiel de la culture occidentale, un objet d’étude, un segment reconnu de la littérature moderne, justement au moment où il n’est plus un genre populaire ?

    En tous les cas pour avoir publié des inédits de Thompson ou de Charles Williams il est certain que Guérif aura fait œuvre utile. Et son livre d’entretiens reste très intéressant parce qu’il donne à réfléchir sur un genre que nous avons plébiscité.

    « Victor S. Navasky, les délateurs, Balland, 1980L’arnaqueur, The hustler, 1961 »
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