• L’arnaqueur, The hustler, 1961

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    Certainement le plus beau film de Paul Newman et l’un des plus aboutis du réalisateur Robert Rossen. Très reprenstatif des années soixante, The hustler met en scène un « héros négatif », c’est l’apologie du perdant, le rêve américain en creux si on peut dire. Fondé sur un excellent roman de Walter Tevis, publié en Série noire sous le titre imbécile d’In ze pocket, il en suit presque page à page la trame, ne s’en écartant qu’à la fin, pour donner une sorte d’issue optimiste à un ensemble finalement très noir.

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          Lors de sa première rencontre avec Minnesota Fat, Eddie sera bien arrogant

     Eddie Felson est un jeune joueur de billard très doué qui rêve d’affronter Minnesota Fat à Chicago et de le vaincre. Pour cela il recupère un peu d‘argent en arnaquant le long des routes à l’aide d’une sorte de manager qui est censé le guider dans cette quête du Graal d’un genre très particulier. Dans une salle de billard mythique, il va rencontrer Minnesota Fat, mais trop sûr de lui et de sa force il va perdre ce premier combat et se retrouver sans argent dans une grande ville qu’il ne connaît pas. Incidemment le personnage d’Eddie Felson est inspiré d’un joueur de billard légendaire nomme Fast Eddie Parker, tandis que celui de Minnesota Fat est inspiré de Rudolph Wanderone surnommé « New York Fats ».

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    Dans le temple du billard à poches

    Errant dans la grande ville, il va croiser la route de Sarah, une femme jeune et boîteuse, portée sur l’alcool et vaguement écrivain. Une idylle va naître entre eux, une romance fort étrange entre deux handicapés de la vie, deux paumés qui doutent de ce qu’ils sont autant de ce qu’ils veulent.

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          Eddie s’est fait lessiver par Minnesota Fat, il doit prendre un nouveau départ

    Pour tenter de remonter la pente Eddie va se mettre à arnaquer dans des salles de billard de bas étage. Son arrogance l’aménera à se faire briser les doigts. Il atteint alors le fond. Grâce à Sarh il va tant bien que mal se reconstruire, c’est-à-dire refaire fonctionner ses mains et tenter de reprendre son métier de joueur de billard professionnel. Pour cela il va se mettre sous la coupe d’une sorte de mafieux qui est aussi le manager de Minnesota Fat.

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          A la recherche d’une issue

     Bert Gordon va donc emmener Eddie avec lui, mais comme celui-ci s’encombre de Sarah, les choses vont mal se passer. Gordon n’est pas content et le fait savoir. Il voit d’un mauvais œil le fait qu’il ne soit pas le seul à contrôler la vie d’Eddie. Les choses vont tourner au vinaigre quand Eddie rentre tout seul à pied d’une partie de billard où enfin il agagné une grosse somme. Mais entre temps Gordon a abusé de la fragile Sarah qui dans la foulée se suicide.

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    Eddie remarque Sarah

     Cette tragédie va renforcer la haine et la détermination d’Eddie qui va revenir affronter et battre Minnesota Fat sur son propre terrain. Mais à travers Minnesota Fat, c’est bien Bert Gordon qu’il défie. La fin du film est très différente de celle bien plus noire du livre. En effet dans celui-ci, il finissait par se soumettre à la loi de Gordon, alors qu’ici il reste dans une rebellion à l’issue incertaine, mais il a retrouvé sa dignité.

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          Eddie cherche à se refaire en arnaquant, mais c’est dangereux

     C’est ce film qui a fait de Paul Newman la vedette qu’on connait aujourd’hui. C’était d’ailleurs un de ses préférés. Il faut dire que si le scénario est très fort, la mise en scène est aussi d’une rigueur qui frise la perfection. Rossen utilise d’une façon étonnante la largeur du cinémascope, tout en conservant les couleurs du noir et blanc du film noir dans lequel il avait excellé. On est frappé par la vérité des ambiances, que ce soit celles de la grande salle de billard où officie Minnesota Fat, la fête où Eddie va rencontrer Findley, ou encore l’appartement pauvre et délabré de Sarah. Les seconds rôles sont distribués avec un grand soin, que ce soit le noir boîteux qui ouvre ou ferme les stores, ou les spectateurs qui suivent les parties de billard.

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    Après s’être fait briser les doigts, Eddie doit se reconstruire

     

    Rossen est un habitué des films qui mettent en œuvre l’échec, Body and soul, mais aussi They came from Cordura. Ancien membre du parti communiste, il avait été pris dans la tourmente de la Chasse aux sorcières et avait dû lâcher des noms pour avoir le droit de continuer à travailler. Il n’est donc pas étonnant qu’il se soit attaché à cette histoire de culpabilité. Car tous les protagonistes sont poursuivis par cette malédiction : ils portent une culpabilité dont ils n’arrivent pas à se défaire. Même Bert Gordon, malgré son cynisme affiché, est à la pourusite d’un rêve qu’il sait inaccessible.

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    Eddie annonce à Sarah qu’il part en tournée

     

    Le jeu, le billard, le poker, les paris sur les champs de course sont la métaphore de cette recherche de la grâce dans la victoire. Mais cette victoire ne peut être qu’illusoire.

    Si les seconds rôles sont étonnants, les premiers le sont tout autant. Paul Newman y trouve le rôle de sa vie, il est d’ailleurs plus sobre que dans ses films précédents, et cela est probablement dû à la rigueur de Rossen, il appuie moins sur son sourire, son côté beau garçon. Piper Laurie est formidable dans le rôle de cette fille marquée par la vie qui se noie dans l’alcool, son absence de glamour est un choix judicieux. George C. Scott est aussi très bon, c’est sans doute un de ses meilleurs rôles, enfoncé qu’il est dans son arrogance, sûr de sa force et de sa brutalité. Un des coups de génies de la distribution a sans doute été de faire tenir le rôle de Minnesota Fat par Jackie Gleason. C’était jusqu’alors une sorte d’animateur de télévision, blagueur comme le sont les animateurs populaires de la télévision. Mais ici il atteint une dimension tragique dans la dignité. Car Eddie et Minnesota Fat ont beaucoup de respect l’un pour l’autre. Quelque part ils sont du même monde. Celui des perdants, Gordon est un gagnant. Cette opposition des gagnants et des perdants, ressassée à l’infini par Gordon est une métaphore du capitalisme et de la concurrence : pas de pitié pour les vaincus.

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          Il retrouve des sensations qui l’enivrent

     La minutie de la préparation de ce film a été souvent soulignée, notamment le fait que Paul Newman avait appris à devenir un bon joueur de billard. Mais d’autres aspects du film ne sont que rarement soulignés. D’abord la musique de Kenyon Hopkins, du jazz, qui amplifie en quelque sorte l’idée de révolte comme celle d’échec, même si à cette époque le jazz était la musique moderne par excellence. La manière aussi de déplacer la caméra dans la ville, la profondeur de champ donnée à la gare routière qui marque la solitude des lieux et des personnes.

    On peut certainement classer ce film parmi les chefs-d’œuvre du film noir. Mais c’est aussi un des films les plus emblématiques des années soixante comme le sera aussi en 1967 Cool hand Luke encore avec Newman et encore sur la rébellion sans avenir. En un sens, et sans l’afficher bien sûr, les intentions de ces films étaient bien politiques, elles remettaient en question les soubassements du rêve américain pour en présenter la face cachée. Mais à cette époque-là la censure avait relâché sa vigilance. On sait ce qu’il adviendra : les révoltes vont monter en puissance tout au long des années soixante pour aboutir à cette remise en cause des tenants et aboutissants de la société bourgeoise qui ne s’en est pas encore remise !

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          Sarah s’est suicidée

     Le film va au fil du temps devenir un classique. Il est aujourd’hui disponible en Blu Ray, ce qui permet de le revoir avec d’autres yeux et de mieux apprécier encore la qualité de la photo, la profondeur des noirs, la luminosité un peu oblique des personnages. Cette aura va amener Martin Scorsese à s’emparer du sujet et en faire une suite en 1986. Bien que The color of money fût un très gros succès au box office, cette suite est râtée. Les raisons de ce ratage sont nombreuses, à commencer par l’erreur de casting qui a été d’engager Tom Cruise au sourire bien niais. Mais c’est l’ensemble qui manque de cœur. Scorsese n’est pas Rossen, et sa grande maîtrise technique ne peut se passer d’un scénario médiocre. Or The color of money ne retient que l’écume de The hustler, l’effet spectaculaire, les arnauqes, l’affrontement des égos. Evidé de sa dimension tragique, le film devient sans consistance. Il vaut mieux voir et revoir The hustler.

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          La mort de Sarah va permettre à Eddie de prendre sa revanche

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          Willie Mosconi le champion de billard donnant des leçons à Paul Newman

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    Fast Eddie Parker a inspiré le personnage d'Eddie Felson

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    Rudolph Wanderone qui a inspiré le personnage de Minnesota Fat

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    Robert Rossen devant la commission des activités anti-américaines

     

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