• Echec au porteur, Gilles Grangier, 1957

     Echec au porteur, Gilles Grangier, 1957

    Après trois gros succès avec Jean Gabin, Gilles Grangier va revenir à des films plus modestes quant à leur budget. En s’écartant de Gabin bien entendu il va retrouver une plus grande liberté de ton. Ici il choisit comme sujet, un roman de Noël Calef, celui-ci vient d’être couronné par le Prix du Quai des Orfèvres, récompense très prestigieuse et qui assure des ventes importantes et qui existe toujours. Dans la foulée de ce succès, Calef publiera Ascenseur pour l’échafaud qui sera adapté avec un grand succès par Louis Malle. Et puis il disparaitra, travaillant ici et là comme scénariste, ou encore écrivant des polars pour le Fleuve noir sous le nom de Maurice Derblay. Notez que dans les deux films adaptés de Calef, on retrouvera Jeanne Moreau qui, à cette époque, pré-Nouvelle Vague, se consacre au film noir à la française. Le Prix du Quai des Orfèvres, du moins à cette époque, était très bien-pensant. Il exaltait l’efficacité des forces de l’ordre, leur travail collectif. Et donc les méchant se devaient d’être punis sans nuances. Gilles Grangier s’intéressera quelques années plus tard à un autre Prix du Quai des Orfèvres, et ça donnera 125 rue de Montmartre.    

    Echec au porteur, Gilles Grangier, 1957

    Bastien Sassey est un petit voyou qui transporte de la drogue, dans un ballon de football de Marseille à Paris pour le compte d’Hans, un Allemand. Ce dernier veut cependant qu’il ramène à son fournisseur marseillais un autre ballon rempli d’une bombe qui doit exploser dans la journée. Bastien qui espère en finir avec cette bande, rêve de s’enfuir avec Jacqueline. Mais en partant, il croise une bande d’enfants qui jouent au ballon et qui en le bousculant lui font perdre le sien. Dans la confusion ce sont deux enfant su quartier qui récupèrent son propre ballon. Bastien n’arrive pas à les retrouver. Mais Hans et son tueur Dédé l’ont suivi. Apprenant la perte du ballon, ils décident de tuer Bastien. Laissé pour mort, il est ramassé par un camionneur italien qui va le remettre dans les mains de la police justement parce que Bastien est arrivé à l’avertir pour la bombe. On amène le blessé à Beaujon, et la machine policière va se mettre en route. L’enfant qui a gardé le ballon va en outre devoir être opéré de l’appendice, et sa mère amène le ballon avec lui à la clinique. C’est le commissaire Varzeilles qui va s’occuper de l’affaire. Dès lors une partie de la police recherche le ballon, et l’autre part à la poursuite du gang de la drogue. Ils vont aussi bien interroger Jacqueline qui leur donne la piste de Hans, que les gamins avec qui le petit Giraucourt avait l’habitude de jouer. Tout se met en place comme un puzzle. Le père Arpaillargues apprend à la radio que la bombe est recherchée et prévient la police qu’elle se trouve à la clinique, mais une infirmière la caché. Tandis qu’une partie la police s’emploie à liquider les gangsters, l’autre cherche fiévreusement la bombe. Elle sera retrouvée in extremis. 

    Echec au porteur, Gilles Grangier, 1957 

    Bastien a livré la drogue

    On est donc dans le polar plutôt bien-pensant, avec des caractères assez peu nuancés. Bastien s’est laissé entraîné bêtement par cupidité, Hans et son tueur Dédé sont ignobles et cruels, le camionneur italien a bon cœur, la police est efficace, etc. ce n’est donc pas l’intrigue qui peut présenter un intérêt. Tout va résider dans les principes mis en œuvre. Il y en a deux : d’abord un éclatement du récit qui en fait une œuvre chorale, ce qui permet à la fois de décrire le travail collectif de la police, et aussi la diversité d’un milieu populaire, celui de la rue Carcel à Paris, dans le XVème, à une époque où ce quartier est populeux. Ensuite, il y a ces groupes d’enfants qui étaient très nombreux dans les années cinquante et qui, faute de confort, faute de place, occupaient la rue. C’était leur domaine. Il y a donc un contraste entre ces gosses bruyants et agités qui courent dans tous les sens, et les gangsters qui vivent comme des rats dans des endroits disloqués en voie d’effondrement. Ils ne voient pas la lumière du jour ou si peu. Ce sont des êtres ricanants, probablement fous. Bie évidemment tout cela s’accompagne d’une vision morale : la police remet tout à l’endroit, les méchants sont punis et les bons sauvés, mêmes si un policier sera abattu dans le siège de la bicoque des gangsters. 

    Echec au porteur, Gilles Grangier, 1957 

    Aldo va secourir Bastien

    Remarquez qu’il y a des étrangers, des bons, le routier italien, et des mauvais, l’allemand Hans qui boîte tel un diable, qui tort la bouche dans tous les sens. Le reste des gens ordinaires ce sont des paisibles Français avec leurs petits problèmes de famille et de travail. Grangier aime manifestement ce petit peuple besogneux, sans ambition autre que de vivre tranquillement et d’élever ses enfants. La famille est sacrée, et il s’arrangera pour faire en sorte que les époux Giraucourt dont le fils est opéré de l’appendice, se réconcilie, constatant combien il est vain d’avoir des passions en dehors du foyer. Grangier donne des gages à un certain humanisme en montrant un policier qui a peur et qui doute face aux bêtes fauves qui se sont enfermées dans la maison pour développer leur commerce crapuleux. Cette approche va inciter Grangier à utiliser, très bien d’ailleurs, les décors naturels, preuve qu’il avait retenu, bien avant la Nouvelle Vague, les leçons du film noir à l’américaine. Outre les scènes qui se passent dans le bas du XVème arrondissement, espace en voie de modernisation – on y verra des immeubles neufs, qui grimpent en hauteur, au milieu de zones abandonnées – une petite partie se déroule sur le port de Gennevilliers. Grangier a toujours aimé filmer les ports, c’est la porte ouverte sur l’ailleurs, attirant mais inquiétant aussi. C’était déjà le cas dans La vierge du Rhin, ou encore dans Le sang à la tête. Mais les ports sont montrés aussi comme des lieux de labeur, avec toute leur machinerie à la logique de laquelle il faut que l’homme se plie. Ces décors naturels périphériques sont opposés de fait au cœur de Paris, particulièrement au Quartier Latin où la police vient ramasser Jacqueline, ou même à la Gare de Lyon où débarque Bastien. Ce sont deux mondes différents, la périphérie travaille clairement pour le centre. Dans les quartiers périphériques, la nuit opposera les espaces en constructions aux ruelles sombres et mal éclairées où se cachent les enfants pour échapper à la police, même s’ils ne craignent rien d’elle, ils préfèrent en rester loin. 

    Echec au porteur, Gilles Grangier, 1957 

    Lorsque Jacqueline arrive, Bastien est décédé    

    La mise en scène est bien rythmée, la photo est bonne, elle st due à Jacques Lemare qui sera encore de l’équipe qui travaillera avec Grangier sur 125 rue Montmartre. Il y a de l’application a donner de la profondeur de champ dans les espaces ouverts, et une très belle utilisation des contrastes des ombres et des lumières dans le refuge de la bande des trafiquants. Le film a été tourné assez vite à l’été 1957, avec un petit budget. Il y manque sans doute un peu de tension dramatique, mais cela vient probablement de la volonté de construire un récit choral qui oblige à abandonner les personnages, à peine ébauchés. Dans la mise en scène de ces principes, je reste persuadé que Grangier avait en vu le modèle de Naked city de Jules Dassin. Comme dans les films noirs américains du début des années cinquante, il met en scène la complexité de la machine policière, par exemple les techniciens qui transmettent de ci, de là les informations destinées à coordonner l’efficacité des forces de l’ordre en accélérant leur action. 

    Echec au porteur, Gilles Grangier, 1957 

    La police ramasse les gosses qui traînent pour avoir des nouvelles du ballon  

    La distribution est très large et très hétéroclite. Il n’y a pas de personnage principal autour duquel s’organise l’action : à la rigueur on pourrait prendre pour pivot Paul Meurisse qui incarne le commissaire Varzeilles. Sans être mauvais, il n’est pas éclatant. Il ne cabotine pas trop, mais on se dit que lui ou un autre, c’eut été du même. Serge Reggiani joue Bastien qui disparait à la première bobine. Renfrogné, il n’a pas l’air dans son assiette, il est vrai que de le faire courir après un ballon qui disparait n’est pas très valorisant. Jeanne Moreau tient son rang, mais elle sera plus remarquable dans Ascenseur pour l’échafaud toujours d’après Noël Calef. Gert Froebe qui sans doute en avait un peu marre de jouer les mauvais Allemands, se caricature lui-même. Il surjoue et prend des poses de dément. Mais comme les séquences sont brèves et qu’on ne s’attarde pas sur les personnages isolément, tout cela passe finalement assez bien. Les seconds rôles sont plus intéressants. On retrouve quelques visages familiers des films de Grangier, Lucien Raimbourg dans un rôle très bref de policier à vélo – on appelait ça, une hirondelle – toujours excellent, ou encore Jacques Dinam dans le rôle du routier italien, donc affublé d’un accent particulier. Mais il est toujours très bien. D’autres sont plus connus, comme Fernand Sardou dans le rôle d’un receveur des postes avec évidemment l’accent du midi, ou Simone Renant qui tente de cacher son désarroi devant sa déconfiture conjugale. Tous les deux sont très bons aussi. Et puis il y a Reggie Nalder dans le rôle de Dédé le tueur psychopathe, rien que son physique suffit pour l’imposer à l’écran. Il avait vraiment une tête bizarre. Il a joué une quantité industrielle de tueurs maniaques, et de partout, en France comme en Allemagne ou en Italie et jusqu’aux Etats-Unis pour Hitchcock dans The man who knew too much, version de 1956 et encore dans l’extraordinaire The manchourian candidate de John Frankenheimer. 

    Echec au porteur, Gilles Grangier, 1957 

    La police assiège le repère des truands   

    Si tout est loin d’être parfait, c’est plutôt un bon Grangier, avec pas mal d’idées cinématographiques. Outre l’histoire et la manière de la filmer, il y a une sorte de documentaire sur cette France qui est en train de disparaitre sous nos yeux. Il se revoit encore très bien malgré les années.  Le public lui fera un bon accueil. Curieusement, alors qu’il est abonné aux gros succès et aux gros budgets, il va encore tourner un petit filme, Reproduction interdite. 

    Echec au porteur, Gilles Grangier, 1957

    Hans vend chèrement sa peau 

    Echec au porteur, Gilles Grangier, 1957 

    La bombe a explosé

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