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Femmes en prison, Women’s prison, Lewis Seiler, 1955
Après un détour plus ou moins long dans des productions diverses et variées, avec des succès comme Guadalcanal diary, un film de guerre puis quelques films noirs qui ont été des échecs aussi bien critiques que commerciaux[1], Lewis Seiler va revenir à ce qu’il sait faire de mieux, le film de prison et à la mise en accusation d’un système carcéral qu’il juge barbare. Mais ici il va choisir les prisons de femmes. Le modèle c’est un peu Caged l’excellent film de John Cromwell[2] qui avait été un énorme succès. Les films de prison de femmes vont ensuite proliférer. C’est un signe de l’émancipation des femmes dans la société puisqu’on les regarde comme on regarde les hommes, des délinquantes souvent marquées par la vie. Mais en introduisant le regard du spectateur dans les prisons de femmes, on va peu à peu en faire ressortir le caractère érotique à cause de cette promiscuité, caractère qui n’apparaitra dans les films de prisonniers mâles que très tardivement, mais qui va devenir même par la suite un sujet des films de sexploitation.
Brenda et Helen arrivent ensemble à la prison
Le fait que ce soit un film noir un peu tardif explique que les techniques utilisées pour filmer cette histoire ont évoluée, sont plus modernes. L’écran est plus large, ce sera du 1,85 :1. La photo également sera beaucoup moins contrastée, un peu plus réaliste pourrait on dire. Le scénario est dû à Jack De Witt, un touche-à-tout qui fera quelques incursions réussies dans le film noir. On lui doit plusieurs sujets de films sur les prisons, notamment le fameux Cell 2455, death row, une adaptation du livre de Caryl Chessman en 1954, réalisé par Fred F. Sears. Puis, en 1959 le film de gangsters, The purple gang, signé Franck McDonald. Il est aussi connu pour les trois films de la série A man called horse, qui est tout de même assez fade, mais qui a plu par son côté réhabilitation des Indiens et de leur culture. Crane Wilbur a participé à l’écriture du scénario, et lui aussi avait déjà écrit sur les prisons, Inside the walls of Folsom prison, film qu’il avait lui-même mis en scène en 1951. Film difficile à trouver aujourd’hui, avec l’excellent Steve Cochran. Le film a été produit par Bryan Foy qui produira un certain nombre de films noirs et de films de prison, comme Crime school de Lewis Seiler, et aussi bien sûr Women’s prison.
Helen est mise à l’isolement
Helen Jensen est mise en prison pour un accident de voiture qui a causé la mort d’une petite fille. Elle arrive là avec la chevronnée Brenda Martin qui elle a émis des chèques sans provision. Elle est très effrayée car elle vient d’un milieu bourgeois. En état de choc pourtant, la cruelle directrice de la prison de femmes, Amelia, la colle pourtant à l’isolement. Faisant une crise de nerf, Helen est soumise à la torture de la camisole de force dans une chambre capitonnée. Elle fait une syncope. Cette situation entraîne un affrontement dur entre le docteur Crane et Amelia. Helen se remet difficilement grâce à la solidarité de ses compagnes. Un jour Glen Burton, un prisonnier, logé dans la section contiguë de la prison de femmes, arrive à passer de l’autre côté, son but est de communiquer avec sa femme pour que leur avocat puisse lui obtenir la correctionnelle. Mais cette rencontre aboutit à mettre Joan enceinte ! Dès lors le directeur tente de comprendre par quel chemin Burton est arrivé à franchir la séparation entre les deux sections. Burton dit alors que si le directeur obtient la conditionnelle pour Joan, il lui expliquera comment il a fait. Le directeur somme alors Amelia de découvrir la vérité, sinon, il menace de la virer. Amelia tente de faire parler Joan qui en vérité ne sait rien du tout, mais en la frappant elle la renvoie à l’infirmerie, avec un nouvel affrontement entre le docteur et elle. Cette situation va amener les femmes prisonnières à se révolter, tandis que Glen repasse dans la section des femmes et que le docteur tente de sauver Joan. Les prisonnières prennent la direction de la prison et menacent de juger Amelia. Glen voit que sa femme est en train de mourir, il n’a qu’une obsession, se venger d’Amelia. Mais le directeur de la prison fait intervenir ses hommes à coups de grenades lacrymogènes. Dans la confusion Glen est prêt d’atteindre la cruelle directrice de la prison de femmes, mais au moment où il va l’abattre, le docteur Crane intervient et empêche le meurtre. Sous le choc, Amelia a perdu complètement les pédales et a droit à son tour à la camisole de force ! Finalement les choses s’apaisent, Amelia est enfermée chez les cinglés, le directeur de la prison, Warden Brock est démis de ses fonctions. Et Helen est finalement élargie, elle retrouvera son mari qui l’attend devant le portail.
Le docteur Crane examine Helen
Cette nouvelle critique virulente du système carcéral américain est en réalité une fable sur la question du pouvoir. Que ce soit le directeur de la prison ou Amelia, ces deux autoritaires ont un profil particulier pour exercer avec cruauté leur douteux métier. Brock est un être assez frustre qui ne veut surtout pas de vague dans l’établissement qu’il dirige, mais Amelia est repérée par le docteur Crane comme une psychopathe dangereuse. C’est ce qu’il lui dira en face. Mais évidemment cette question du pouvoir renvoie au fait que les gardiennes obéissent sans se révolter aux ordres absurdes d’Amelia. De même on verra les gardiens de la section masculine se réjouir d’avoir pincer Glen en train d’essayer de passer chez les femmes pour voir son épouse. Cet ensemble détonnant mène à l’explosion du système, c’est-à-dire à des révoltes permanentes récurrentes aux Etats-Unis qui le plus souvent sont noyées dans un bain de sang, c’était déjà le thème de Each dawn I die[3]. Mais évidemment les duretés des conditions carcérales amènent les prisonnières à se révolter, et pour cela elles vont prendre en main leur destinée dans un élan collectif de solidarité. On remarque qu’elles ne se révoltent pas pour elles-mêmes, mais pour leur compagne Joan qui est en train de mourir à l’infirmerie.
Glen a retrouvé sa femme
Il y a évidemment un discours de classe sous-jacent, la plus fragile est la bourgeoise Helen Jensen qui n’arrive pas à comprendre comment elle a pu être piégée ainsi. Ses compagnes sont des petites délinquantes ordinaires, mais celles-ci viennent à son secours parce qu’elles sont plus fortes qu’elle, habituées qu’elles sont à essuyer les coups durs de la vie. Ce discours de classe est renforcé par le mouvement de grève quand les femmes croisent les bras et refusent de reprendre le travail. Elles ont l’attitude des prolétaires face au patronat, et se serrent les coudes pour obtenir quelque chose. Le pouvoir du collectif étant un atout décisif dans la lutte. L’accent est mis sur le fait que les prisonniers, mâles ou femelles, sont des personnes ordinaires, la plupart d’entre eux sont issue des basses classes, ils ont connu la misère, et s’ils ont sombré dans la délinquance c’est bien en réponse à cette misère. Si manifestement le pouvoir rend fou, Amelia sombre dans la folie, la passivité des gardiennes qui ne partagent pas toutes les idées biscornues de la directrice est souligné par la caméra comme une faute morale. On voit bien à leur visage qu’elles n’approuvent pas la directrice, mais pourtant elles lui obéissent.
Le directeur de la prison tente de faire parler Glen
L’accent est mis sur la solidarité entre femmes. Elles comprennent la fragilité d’Helen par exemple et tentent de l’aider à supporter l’enfermement. Elles manifestent entre elles une sorte d’amour maternel. Elles se racontent leurs petites histoires d’amour, chose qui est totalement étrangère à Amelia qui est seule et sans amour pour personne, même pas pour elle. Il y a des gestes, des sourires, des attentions qui leur donnent une étonnante dimension humaine. Elles sont peut-être délinquantes, mais elles ont du cœur. On remarque au passage que si les femmes noires sont classées ensemble et un peu à part par les gardiennes, dans les couloirs, au travail, les noires comme les blanches partagent les mêmes discussions, les mêmes espérances, sans discrimination. Cet aspect n’est pas du tout appuyé, il est juste suggéré et oppose une fois de plus l’attitude des prisonnières qui ne pratiquent aucune discrimination et celle des gardiennes ou dus système qui au contraire maintient la séparation entre les races. Il y a également cet affrontement entre le docteur, homme de science, calme et pondéré, et les directeurs de la prison qui ne réfléchissent guère à ce qu’ils font et qui surtout veulent instaurer une discipline qui leur évitera les ennuis avec leurs supérieurs. Cette opposition nous dit qu’au fond la science dénonce les conditions carcérales d’un autre âge aux Etats-Unis.
Les prisonnières se sont mises en grève
C’est très bien filmé, en ce sens que l’aspect claustrophobique des lieux est très bien rendu. Ce caractère étouffant de la prison, on verra des barreaux qui se répercutent à perte de vue dans l’enfilade des couloirs. Il y a une volonté de donner un aspect réaliste, presque documentaire, notamment en décrivant le travail difficile dans la blanchisserie envahie de vapeurs malsaines. L’écran large permet des mouvements de caméra qui renforcent par leur fluidité cet aspect étouffant, de quelque côté que l’on se tourne, l’univers de ces femmes est totalement borné. Le rythme est excellent, très resserré, le film ne dure qu’un petit peu moins d’une heure vingt, ce qui évite les discussions trop lourdes, l’image est là pour montrer et c’est bien suffisant. Quand on voit défiler devant nous toutes ces femmes malmenées par la vie, Seiler évite le glamour, le réservant à quelques personnages un peu isolés. On verra ainsi des femmes âgées, défraichies même, usées par la vie, comme une excuse à ce qui les a amenées à l’enfermement.
Glen est arrivé à passer dans la section des femmes
L’interprétation est chorale, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de personnage dominant. La prison c’est un ensemble, c’est presqu’un personnage à part entière, avec des individus, prisonniers, matons et directeurs, qui le font fonctionner. Ce sont de très bons acteurs, les femmes dominent bien entendu. Il y a Jan Sterling, une habituée des films de prison de femmes ! Dans le rôle de Brenda elle est très présente et manifeste une désinvolture qu’on ne trouve pas ailleurs que chez les femmes du peuples. Ida Lupino incarne la cruelle Amelia, elle est très bien, mais un peu en retrait par rapport à ce qu’on sait qu’elle est capable de faire. L’excellente Audrey Totter dans le rôle de Joan Burton, trouve dans ce petit rôle sans doute l’une de ses meilleures interprétations. Phyllis Thaxter incarne la bourgeoise égarée dans la prison, Helen, elle est assez effacée, mais c’est un peu le rôle qui veut ça. Les mâles sont moins bien servis. Howard Duff qui à l’époque était le mari d’Ida Lupino endosse la panoplie du bon docteur, il n’est pas très éclatant. Plus intéressant est Barry Kelley qui, dans le rôle du directeur Warden Brock, joue parfaitement de son physique imposant, y compris quand il ne sait plus ce qu’il doit faire face à l’obstination de Glen Burton. Un œil exercé reconnaitra aussi l’excellent Juanita Moore dans le rôle de Polly, cette même Juanita Moore qui triomphera quelques années plus tard en incarnant Annie Johnson dans le chef d’œuvre de Douglas Sirk, Imitation of life. C’était aussi une bonne idée d’engager Vivian Marshall pour incarner Dottie La Rose qui s’amuse à faire des imitations, notamment de la directrice Amelia, comme quoi la moquerie est aussi une arme de résistance !
Le docteur Crane tente de sauver Joan
C’est donc dans l’ensemble un très bon film noir, un des meilleurs de Lewis Seiler. Sans doute est-il un peu plus naïf que Caged de John Cromwell, qui voyait à sa sortie de prison l’héroïne basculer complètement dans la délinquance. L’objectif se déplaçant d’une peinture sans fard de la réalité à une démonstration de la nécessité de réformer un système carcéral inhumain. La critique a salué à sa sortie la qualité de l’interprétation des femmes, mais sans un bon scénario il n’y a pas de bonne interprétation !
Brenda arrive dans le bureau d’Amelia
Amelia va être jugée par les prisonnières
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