• Impact, Arthur Lubin, 1949

     Impact, Arthur Lubin, 1949 

    Arthur Lubin a un peu tout fait en plus de quarante années de carrière. Surtout abonné aux films de genre, il tournera avec Boris Karloff et Bela Lugosi Black Friday en 1940, puis dirigera les comédies douteuses d’Abott et Costello, ou encore une série avec Francis le mulet qui parle et qui deviendra à la télévision Mister Ed, le cheval qui parle, il tournait beaucoup. Mais on lui doit aussi quelques petites incursions très réussies qui demandaient du savoir-faire dans le film noir, notamment Gangs of Chicago en 1940 sur un scénario de Samuel Fuller et le très bon Footsteps in the fog en 1955[1]. Et puis il a fait Impact qui est devenu au fil du temps une référence du cycle classique du film noir, avec l’évolution d’Hollywood, il se tournera avec succès vers la télévision. Il a également été acteur dans les années vingt. Mais son autre particularité est qu’il a été probablement assassiné par le tueur en série Efren Saldivar qui travaillait dans un centre médical adventiste de Glendale et qui a avoué avoir tué des dizaines de patients, il se surnommait lui-même l’ange de la mort. Le scénario a été écrit par Dorothy Reid, une vétérante qui a travaillé pour David Griffith, et Jay Dratler, un grand nom, en tant que scénariste, du film noir, puisque c’est lui qui a écrit le scénario de Laura de Preminger, ou celui de Dark Corner d’Henry Hathaway, ou encore Pitfall d’André de Toth, ce qui n’est pas rien. Le film était produit par les frères Harry et Leo Popkin qui avaient créé un studio dénommé Million dollar productions. Comme les frères King ils étaient très intéressés par le film noir et travaillèrent ensuite pour United Artists en tant que producteurs indépendants sur des sujets comme D.O.A. de Rudolph Maté, The thief de Russell Rouse[2]. Manifestement ils recherchaient l’originalité. 

    Impact, Arthur Lubin, 1949 

    Walter affronte le conseil d’administration 

    Walter Williams est un industriel puissant qui a réussi à la force du poignet, en grimpant les échelons un à un. Il a de vastes projets, et après avoir mis son conseil d’administration au pli, il doit partir en voyage d’affaires pour concrétiser le rachat d’usines. Sa femme, Irene, qui prétend avoir une rage de dents ne peut pas le suivre. Mais elle lui demande de récupérer son cousin, Jim Torrence, pour l’amener sur Denver. En vérité ce n’est pas son cousin, mais son amant et ils projettent tous les deux un mauvais coup. Prétextant une crevaison, Jim va estourbir Walter et le précipiter du haut de la route, croyant l’avoir tué. Mais en s’enfuyant au volant de la voiture de Walter, Jim va percuter un camion d’essence. Sa voiture prend feu, explose et finit dans le ravin. Entre temps Walter sort de son KO et tente de retrouver la route. Il grimpe à l’arrière d’un camion. Bien que choqué, il comprend que Jim et Irene sont de mèche. Il en aura rapidement la confirmation en téléphonant à la tante d’Irene qui annonce qu’elle n’a pas de fils. Il arrive dans la petite ville de Lakspur, plutôt dans la débine. Il va voir un médecin qui lui diagnostique un traumatisme crânien. Un peu rétabli, il va faire la connaissance de la belle Marsha Peters qui gère une petite station-service. Il se fait embaucher sous le nom de Bill Walker comme mécano. Dès lors, il mène une petite vie pépère et commence à tomber amoureux de Marsha. Pendant ce temps la police enquête sur la disparition de Walter. Le lieutenant Quincy est particulièrement déterminé et commence à comprendre qu’Irene est à l’origine du drame et que c’est elle qui a ourdi l’assassinat de Walter avec son amant. Il la fera prendre en filature, mais elle est méfiante. Désespérant de pouvoir la coincer en même temps que Jim Torrence, la police finit par arrêter Irene dont la défense s’avère difficile selon son avocat. Après bien des tergiversations, Walter refuse de continuer à fuir et désirant refaire sa vie avec Marsha, il décide de rentrer à San-Francisco afin de divorcer d’Irene. Mais en réapparaissant brutalement auprès de la police, il déclenche une contre-attaque virulente d’Irene qui l’accuse d’avoir assassiné son amant. Dès lors, c’est elle qui est libérée, et Walter qui se retrouve sous les verrous. Quincy, persuadé de l’innocence de Walter, continue à enquêter, aidé par Marsha, mais ça ne donne rien, d’autant qu’ils n’ont pas pu retrouver la domestique chinoise, Si Lun, qui pourrait parler peut-être en faveur de Walter. Le procès de Walter arrive très vite, le procureur demandant la peine de mort pour lui. Dans le tribunal, Marsha reconnait Si Lun, elle la poursuit dans le quartier chinois, et obtient des renseignements qui vont mener Quincy et Marsha à un hôtel où Irene et Torrence avaient rendez-vous la nuit du crime. Ils vont y trouver une valise qui contient toutes les preuves dont ils ont besoin pour innocenter Walter. Le juge le libère, mais fait incarcérer Irene dans l’attente d’un jugement pour avoir fomenter une tentative d’assassinat. 

    Impact, Arthur Lubin, 1949 

    Torrence pense avoir tué Walter 

    Le scénario contient quelques astuces bienvenues dont le revirement d’Irene prompte à accuser Walter d’assassinat n’est pas la moindre. Si cela n’apparait pas très original, c’est, en tous les cas, bien ficelé. Mais sous les dehors d’une simple histoire de meurtre d’un couple adultérin, il y a bien plus de profondeur qu’on ne le pense. D’abord il n’y a pas un trio, mais deux, le premier est formé d’Irene, Walter et Torrence, et le second d’Irene, Walter et Marsha. Ce qui veut dire que les deux femmes sont celles qui conduisent le récit et qui vont se livrer à une lutte à mort. Ce n’est pas pour rien que c’est Marsha qui joue un rôle déterminant dans l’apport des preuves qui vont faire libérer Walter et mettre Irene à l’ombre. Walter est passif, il attend que les évènements décident pour lui. Marsha porte le pantalon, on le voit tout de suite, dès la première rencontre avec Walter, elle dirige une station-service dans une salopette de pompiste, symbole de la virilité, tandis que son futur mécano est encore complètement hébété. D’ailleurs en jouant auprès de sa femme qui le cocufie allègrement, il a l’air d’un imbécile dévirilisé dans cette manière de minauder en lui offrant des fleurs ou des bijoux, comme s’il voulait à tout prix attirer ses faveurs par des cadeaux disproportionnés. Irene se moque de Walter, mais elle dirige aussi le niaiseux Torrence qui est manifestement une autre marionnette et qui fait ce qu’elle décide. Si le but d’Irene est de se débarrasser d’un mari encombrant pour lui piquer son fric et aller vivre avec son amant, celui de Marsha est de se débarrasser d’Irene pour récupérer un mari riche et prévenant qui remplacera celui qui est mort à la guerre. 

    Impact, Arthur Lubin, 1949 

    Encore sous le choc, Walter échoue dans une petite ville 

    La lucidité masculine n’appartient qu’au seul lieutenant Quincy qui est un vieux sage proche de la retraite qui n’est plus guère intéressé par les choses de ce monde et surtout pas par le sexe et l’amour. Mais Walter n’est pas forcément très sympathique. D’abord parce qu’en changeant d’identité il fuit ses responsabilités et refuse l’affrontement, il ne s’y résoudra que sous la pression indirecte de Marsha. De même Irene et Torrence tentent eux aussi de changer d’identité, maladroitement cependant, et c’est ce qui perdra Irene. Mais c’est aussi un homme dur en tant que chef d’entreprise qui aime défier ses actionnaires et les vaincre en leur jouant un chantage au dividende. Cependant en arrivant à Larkspur, il semble changer de comportement et trouver des vertus à sa nouvelle identité. Il sent alors qu’il pourrait vivre tranquillement dans une petite ville, en n’ayant pas d’autres ambitions qu’une conduite routinière. Ici il ressemble à Jeff le héros d’Out of the past de Jacques Tourneur tourné quelques deux ans avant[3]. Les deux hommes s’occupent d’une station-service dans un coin tranquille. Mais tous les deux vont se lasser de ce calme et ils retourneront pour le meilleur ou pour le pire vers la ville – dans les deux cas San Francisco. En arrivant dans cette petite ville Walter se pose au contact de Marsha la question de son identité, bien au-delà d’un simple patronyme. 

    Impact, Arthur Lubin, 1949 

    Marsha embauche Walter comme mécano 

    L’opposition ville-campagne fonctionne très bien. A la campagne on s’amuse comme des fous à jouer les pompiers bénévoles et on mange des tartes à la cerise ! C’est à la ville que se fomente le crime qui va avec l’accumulation des richesses. On aura droit à des vues de San Francisco, avec ses rues en pente forte qui semblent signifier une plongée dans les abîmes de la turpitude, et c’est là aussi qu’on verra le quartier chinois complètement englué dans la pauvreté et marginalisé – les Chinois apparaissant comme des personnes dignes et honnêtes malgré leur rang inférieur. Mais la ville ce sont aussi des policiers, des juges et des avocats qui tentent par tous les moyens de profiter de n’importe quelle opportunité pour engranger de l’argent. L’avocat d’Irene, avant même de dire quoi que ce soit sur son dossier, commence par négocier un fort pourcentage de la richesse de celle-ci, histoire de lui faire bien comprendre que ce ne sera pas une mince affaire que de la tirer de ce mauvais pas. Il y arrive presque bien que ce soit sa cliente qui ait fait tout le travail de sape pour retourner le procureur contre son mari. 

    Impact, Arthur Lubin, 1949 

    Irene est accusé de meurtre sur la personne de son mari 

    La mise en scène est à la hauteur du scénario. C’est dans sa fluidité qu’on va ressentir l’ambigüité des personnages et des situations. Les mouvements de caméra sont très élégants, et la photo est du grand chef opérateur Ernst Laszlo. Elle se révèle excellente surtout lorsqu’il faut travailler sur des espaces clos et une lumière faible. C’est un peu moins bien dans les rues de San Francisco, ce qui semble provenir d’un manque de moyens. On remarquera que Lubin a une capacité à passer du plan moyen au plan général dès lors qu’il veut donner une impression de puissance aux lieux, c’est typique quand il filme le conseil d’administration ou encore Irene seule dans son vaste appartement, en saisissant en même temps le plafond et le sol dans le champ, il donne une impression, de puissance, mais aussi de solitude. Les deux passages de Walter à la gare sont particulièrement réussis, mais surtout il y a la confrontation entre Walter et Irene dans le bureau du procureur qui multiplie les angles de prises de vue afin de mieux mettre en perspective le trouble qui passe de l’un à l’autre des protagonistes. On retiendra encore le procès – mais c’est plus balisé – et surtout la poursuite entre Marsha et Sin Lu qui prend son point de départ dans les couloirs de marbre du palais de justice et qui s’achève dans le quartier chinois. 

    Impact, Arthur Lubin, 1949

    Walter songe à quitter Larkspur et la belle Marsha 

    Ce n’était pas un film à petit budget, on le voit aux noms qui s’étalent au générique. Du reste il dépasse une heure et demi et ne peut être considéré comme un film de série B. L’interprétation est bonne, malgré Brian Donlevy, raide comme à son habitude, et qui manque beaucoup de charisme. Il n’a comme excuse que le fait qu’il interprète un personnage particulièrement perturbé. Les femmes sont très bien. Ella Raines dans le rôle de la douce Marsha nous rappelle qu’elle a été une actrice importante pour le film noir, notamment pour Siodmak. Mais Helen Walker dans le rôle d’Irene Williams est bien plus impressionnante. Bien que son rôle soit un peu plus étroit, elle a le temps de faire une démonstration de la grande diversité de son talent, ainsi après avoir vu en face d’elle Walter qu’elle croyait mort, elle a un moment de panique, mais elle se reprend rapidement et démontre sa capacité de calcul pour dominer à nouveau la situation et la renverser. Elle minaude aussi très bien pour donner le change à son couillon de mari qui doit partir sur les routes et qui ne se doute de rien. C’est une actrice qui aurait dû avoir une meilleure carrière, certes elle a joué dans Nightmare alley d’Edmund Goulding et elle y était impressionnante. Mais il semble qu’elle ait été mise un peu sur la touche suite à un accident de voiture dramatique qui entraîna la mort d’un de ses passagers, des militaires qu’elle avait pris en stop – c’est du moins la version officielle. Cet accident, probablement dû à l’alcool, entraîna une hospitalisation car elle s’était fracturé le bassin, puis un interminable procès des deux militaires survivants qui la harcelaient. Elle finit par sombrer dans l’alcoolisme, puis sa maison prit feu, et il fallut se cotiser pour lui venir en aide. Elle mourut d’un cancer à 47 ans, oubliée de tous. Notez encore la prestation de Charles Coburn dans le rôle de Quincy le malicieux policier. Et puis il y a aussi Anna May Wong dans le rôle de la chinoise Si Lun qui est aussi très excellente. 

    Impact, Arthur Lubin, 1949

    Walter a décidé d’affronter la justice 

    C‘est incontestablement un très bon film noir, dans la tradition du cycle classique, il a mis cependant du temps à arriver à ce statut. Avec peu de prétention, il parvient cependant à faire passer beaucoup de choses. Longtemps ce film circulait dans des versions médiocres, mais aujourd’hui on le trouve dans des versions DVD de bonne qualité sur le marché français. 

    Impact, Arthur Lubin, 1949 

    Irène accuse son mari d‘avoir assassiné son amant 

    Impact, Arthur Lubin, 1949 

    Su Lin ne veut pas témoigner 

    Impact, Arthur Lubin, 1949 

    L’avocat de Walter va démontrer qu’Irene a planifié la mort de Walter 



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/des-pas-dans-le-brouillard-footsteps-in-the-fog-arthur-lubin-1955-a127614208

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/l-espion-the-thief-1952-russell-rouse-a114844924

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/la-griffe-du-passe-out-of-the-past-jacques-tourneur-1947-a118298548

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