• KHAOS, Panagiotis Grigoriou, Ana Dumitrescu, 2012

     

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    Panagiotis Grigoriou tient un blog Greek crisis http://greekcrisisnow.blogspot.fr/ qui est très suivi et qui fournit des analyses quasi-quotidiennes sur l’évolution de la situation économique, sociale et politique de la Grèce, malheureux pays, sorte de cobaye de l’Union européenne. On connait le contexte, consécutivement à la crise financière planétaire de 2008, la Grèce s’est retrouvée dans un état de quasi-faillite pour ce qui concerne sa dette publique.face à ce défaut de paiement, l’Union européenne, la  BCE et le FMI ont imposé un plan d’austérité draconien : c’est le plus dur qui a été mis en place en Europe. Le discours officiel était de réduire les dettes à coups d’ajustements structurels et de coupes sombres dans les dépenses publiques, en affirmant que par la suite la croissance repartirait sur des bases plus saines et que la prospérité reviendrait. La dangereuse mécanique européenne a plongé la Grèce dans la récession – une baisse du niveau de vie comprise entre 30 et 50% - et cette récession amplifie bien au contraire la dette publique au point maintenant que cette vieille canaille d’Angela Merkel envisage, d’une manière imprécise, d’annuler tout ou partie de la dette de la Grèce.

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    Le film ne traite pas vraiment des raisons profondes de cette évolution catastrophique, mais plutôt des conséquences sur la population et aussi des réactions diverses et variées des Grecs eux-mêmes. C’est uns  succession d’images et d’interviews de personnes très diverses, des jeunes des vieux, des petits patrons, des ouvriers ou des enseignants. On y voit des manifestations de masse, la haine des politiciens, mais aussi des ébauches de réflexion : comment sortir de cette crise qui déchire le lien social et produit des drames en série.

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    Il n’est donc pas question ici de discuter de la qualité technique et esthétique d’un film tourné avec des moyens plutôt faibles. Mais plutôt du sentiment qu’on peut avoir après l’avoir vu. La vision que les Grecs ont de leur propre situation est très diverse. Bien sûr tous les Grecs sont en colère, les uns cependant se laissent aller à la résignation – voir la scène de tentative desuicide d’une jeune femme, ou le pessimisme des petits entrepreneurs – les autres pensent qu’il y a des voies politiques possibles en dehors de la soumission au dictat de la troïka. D’autres encore pensent à des solutions alternatives à petite échelle, comme cette agricultrice qui tente de relancer l’exploitation des glands. Quelques ouvriers continuent la lutte pour éviter la destruction des mécanismes du marché du travail qui jusqu’à présent étaient fondés sur des conventions collectives.  Seul un vieux résistant – au sentiment anti-allemand très prononcé – tente d’ébaucher une esquise de sortie de crise.

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    Il manque à cette révolte profonde, une conscience de classe, et plus encore l’imagination qui consisterait pour la Grèce à sortir de l’euro voire de l’Union européenne. Pourtant si on voulait avoir un exemple clair et concret de l’impasse dans laquelle les institutions européennes nous amènent, le cas de la Grèce est emblématique. L’Europe les conduit clairement au sous-développement et au chaos. Comme nous la confirmer

    Yannis Youlountas qui animait le débat d’après projection, les Grecs dans leur ensemble ne souhaite pas quitter le navire, mais attendent que d’autres pays les rejoignent dans la misère – consécutivement aux plans d’austérité mis en place dans tous les pays du Sud de l’Europe, y compris la France – pensant qu’ainsi l’Union européenne sera bien obligée de changer. C’est une illusion, car la rigidité des traités et surtout les intérêts divergents des pays européens a vérouillé toute possibilité d’évolution. Dans un article récent de Patrick Artus, publié sur le site de Natixis, celui-ci montre pourtant que si l’euro disparaissait pour de bon, et qu’on revienne aux monnaies nationales, ce ne serait pas une catastrophe, mais bien au contraire une vraie sortie de crise. La drachme grecque serait dévaluée de 40%, le franc Français de 2%, et le deutschmark serait à l’inverse réévalué de 18%. La conséquence de ce retour aux monnaies nationales serait immédiatement un recul des déficits commerciaux extérieurs de la France et de la Grèce et une baisse concomittante des excédents commerciaux allemands. Autrement dit la dévalution pour les pays endettés équivaudrait à des gains de compétitivité rapides, donnant à l’horizon d’un an ou deux une bouffée d’oxigène aux pays qui souffrent d’un chômage explosif. Car l’euro, loin de conduire à l’harmonisation des pays membres de la zone a conduit au contraire à un élargissement des divergences entre les pays, ce qui est normal puisque le mot d’ordre de l’Union européenne, le principe sur lequel elle est fondée, est la concurrence entre les Etats nationaux. L’intérêt de l’Allemagne n’est pas du tout la mort de l’euro, car c’est le mécanisme qui lui permet de prélever un impôt sur le reste de l’Europe – sur les autres marchés, elle est en recul – et donc d’assurer un niveau de vie décent à sa cohorte de retraités.

    L’autre sentiment qui ressort de Khaos, c’est le développement d’un sentiment anti-allemand très profond en Grèce. Ce qui explique d’ailleurs que les touristes allemands évitent maintenant de se rendre dans ce pays. Contrairement à ce que les eurocrates racontent, l’Union européenne n’est pas un facteur de pais, mais au contraire un facteur de guerre. Jamais la haine de l’Allemand n’a été aussi forte depuis 1945. Mais également de nombreux pays sont en train de plonger dans la violence. La Grèce est en première ligne. Cette violence se manifeste par l’assaut général qu’il y a eu il y a quelques mois contre les banques, dans la chasse aux immigrés, mais encore dans la montée du mouvement néo-nazi Aube dorée. Avoir donné le prix Nobel de la paix  à l’Union européenne à l’automne dernier serait risible si cela n’était la marque d’une indifférence coupâble.

    Yannis Youlountas qui animait le débat donnait des précisions sur la situation explosive de la Grèce depuis le tournage du film qui a eu lieu au printemps dernier. Il contestait, à juste titre, les récents articles qui tendaient à vouloir démontrer qu’aujourd’hui la situation en Grèce commence à donner des signes d’amélioration. Mais surtout il mettait en garde les Français qui avaient l’illusion de croire que le modèle français était indestructible face aus tendances sadiques des burreaucrates européens. Les récentes décisions d’Hollande et de son premier ministre, lui donnent raison. Si Hollande avait le choix de devenir Roosevelt et de réformer en profondeur dans le sens des intérêts du peuple l’économie, il a préféré devenir un autre Papandréou. La seule question qui vaille aujourd’hui est de savoir comment on peut agir politiquement en dehors des dogmes de l’économie de marché que la contre-révolution conservatrice a déversés sur nos consciences.

     

    [1] Sachant le prix que les Grecs ont payé durant l’occupation allemande, on pourra trouver curieux qu’il y ait encore un seul grec pour se réclamer d’une telle idéologie, mais la nature humaine est ainsi faite qu’elle ne répond pas à des critères simples de rationalité.

    « La rapace, Decoy, Jack Bernhard, 1946La chute d’un caïd, The rise and the fall of Legs Diamond, Budd Boetticher, 1960 »
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