• L’attentat, Yves Boisset, 1972

     L’attentat, Yves Boisset, 1972

    Le film est inspiré de l’affaire Ben Barka, cette affaire qui a failli emporter le régime gaulliste, et qui probablement entama le déclin politique du général de Gaulle. L’enlèvement eu lieu en novembre 1965. En pleine élection présidentielle qui allait voir le général de Gaulle mis en ballotage par François Mitterrand. A priori, personne ne comprenait rien à cette affaire, et d’ailleurs personne ne connaissait Ben Barka. Contrairement à une idée courante, celui-ci n’avait guère la force de mettre le régime chérifien à genoux. Il semble que la thèse selon laquelle ce crime aurait été commandité par le roi du Maroc lui-même ne soit pas juste. Mais ce qui a secoué l’opinion, et sans doute même le général de Gaulle, c’est de voir que des membres des services secrets et de la police française travaillaient non seulement pour un pays étranger, mais également avec des truands, anciens de la Carlingue, qui avaient fait mille coups tordus contre l’OAS, mais aussi pour le Maroc. Le film a été tourné en 1972, le général de Gaulle était mort, Mai 68 avait soufflé, et pourtant Boisset eu mille difficultés à le réaliser. Ces financements furent bloqués plusieurs fois, la censure le força à retourner les scènes de tortures. Il y eut de multiples pressions. On comprend que dans ces conditions, et pour pouvoir mener son projet à bout, Boisset était bien obligé de ne pas citer les personnages véritables, et de les faire apparaître sous de noms d’emprunts. De même il est daté d’après 1968. Mais tout le monde a compris à sa sortie où voulait en venir Boisset. L’imbrication des complicités dans les hautes sphères du pouvoir, la diversité des caractères donnent naturellement la trame d’un roman noir palpitant. Pour donner du corps à son sujet, Boisset s’est appuyé sur le scénario de Ben Barzam et de Basilio Franchina, avec des dialogues de Jorge Semprun. Ben Barzam, ce n’est pas n’importe qui, il a travaillé avec Joseph Losey par exemple, pour Anthony Mann. Il était également un réprouvé de la chasse aux sorcières, et il s’exila avec Joseph Losey d’ailleurs. On dit que pour ce film il aurait travaillé avec Jean-Pierre Bastid. Quand on connait un peu l’affaire, on comprend qu’il était difficile d’en tirer un scénario assez clair avec un déroulement linéaire de l’histoire. Donc le scénario a fait des choix, de donner plus d’importance à des personnages qu’à d’autres. C’est la loi du genre. Le film fait tout de même deux heures. Donc le film sera construit autour de la personnalité torturée et ambiguë de François Darien – dont le modèle était Georges Figon. C’est lui qui est le fil rouge de cette histoire.   

    L’attentat, Yves Boisset, 1972 

    François Darien est arrêté dans une manifestation 

    En France une réunion de hautes personnalités met au point l’enlèvement de Sadiel, et pour cela songe à se faire aider d’un journaliste un peu décati et sans avenir. François Darien est arrêté lors d’une manifestation gauchiste, la police lui donne le choix, soit il collabore avec elle, soit on le traîne en justice pour de vieilles affaires mal éteintes. Sous le prétexte d’une émission où il pourra s’exprimer, Sadiel rencontrera un personnage important qui fera un compromis avec lui afin qu’il rentre au pays, au sein d’un gouvernement d’union nationale. Pour ce travail d’entremetteur, Darien sera grassement rémunéré. Il va donc faire le voyage jusqu’à Genève. Là il va conclure l’accord avec Sadiel qui accepte de venir à Paris. A la brasserie Lipp, Sadiel a rendez-vous avec Darien et Pierre Garcin qui, bien que producteur de télévision, est aussi une sorte de barbouze. Le piège fonctionne, des membres de la police française enlèvent Sadiel et le livrent au truand Aconetti dans la villa qu’il possède à Paris. Kassar arrive pour interroger Sadiel sur ses relations, ses alliés, ses intentions. Mais Sadiel ne dit rien. Darien qui veut savoir ce qui s’est passé arrive à la villa d’Aconetti. Il voit alors Sadiel embarqué à la cave par Kassar. Manifestement il culpabilise d’avoir trahit son ami. Dans la confusion il arrive à s’enfuir. Pourchassé, il arrive pourtant à rejoindre sa maîtresse, il prétend enregistrer sa confession au magnétophone. Il donne rendez-vous à Michael Howard qui se fait passer pour un journaliste de gauche, et il pense que celui-ci saura parfaitement utiliser sa confession pour faire éclater le scandale. Mais c’est Michael Howard qui le tue d’une balle tirée derrière la tête. Tandis qu’Howard prend la poudre d’escampette, la police passe faire le ménage et récupère la confession. 

    L’attentat, Yves Boisset, 1972 

    Il s’installe dans son bureau 

    Au premier abord c’est donc un film militant qui s’attaque aux compromissions de la raison d’Etat avec des assassins aux ambitions louches, avec une incursion du côté des luttes anti-impérialistes. Ce point est évoqué à la fois par Sadiel qui parle des anciens colons qui ont inculqué la mauvaise manière de penser à Kassar et ses sbires. Ce dernier aspect est maintenant complètement passé de mode. Mais évidemment les magouilles des polices d’Etat qui travaillent plus pour leur propre compte que pour la société qui pourtant les nourrit, c’est toujours et peut être plus que jamais d’actualité. Cet aspect de la vie moderne qui a nourri et entretenu la formation d’uns paranoïa de masse aux Etats-Unis ressemble un peu à une forme de gouvernement, il a été aussi le support de très nombreux films américains à succès qui sur le plan de l’analyse des formes complotistes gisant au cœur du système du pouvoir, étaient en avance sur nous. On remarquera que cette forme complotiste de lecture des formes du pouvoir se portent aussi bien à droite – voir les films anticommunistes américains par exemple – qu’à gauche qui dénoncent les trop larges prérogatives de l’Etat par rapport au droit. Le film de Boisset qui peut paraitre très banal aujourd’hui a eu beaucoup de difficulté à se faire parce qu’en France il était un peu tabou de mettre en question l’honnêteté de l’Etat et de ses serviteurs. Les scandales allaient ensuite se multiplier surtout après la disparition du général de Gaulle et la mise en place d’un « progressisme » libéral pompidolien qui voulait faciliter les affaires suivant le modèle aujourd’hui suivi par Macron du ruissellement et qui a bien du plomb dans l’aile. Mais à mon sens tout cela resterait banal si on n’avait pas justement travaillé le portrait de Français Darien, le malheureux héros de cette histoire. C’est un homme déséquilibré, tourmenté, qui voudrait réussir quelque chose, mais qui n’est que faiblesse et qui doit sa satisfaire de la trahison de celui qui le considérait comme son ami, un frère d’armes. L’ambiguïté de Darien ne s’arrête pas là, elle le poursuit, quand, s’enfuyant, il croit qu’il va pouvoir continuer à jouer sur les deux tableaux, faire chanter le pouvoir avec sa confession et délivrer Sadiel. On le sent passer par des états contradictoires, il se voit en héros, terrassant le pouvoir à ses trousses, et en même temps comme victime, il se vit comme celui qui n’a pas eu de chance, dont le talent n’est pas reconnu. 

    L’attentat, Yves Boisset, 1972 

    A Genève il revoit Sadiel

    C’est donc d’abord le portrait d’un homme faible qui vit aux crochets de sa maitresse qui tente de sortir de cette image, pour cela il se mettra à porter un révolver, tentant de s’émanciper de la tutelle de celle-ci. S’il est choisi par les hommes de l’ombre pour exécuter cette mission c’est parce qu’il est connu comme un homme facile à manipuler. Mais il n’est pas le seul personnage ambigu dans cette histoire. Et là c’est beaucoup plus intéressant : Boisset nous montre que pour les missions les plus sordides on trouve toujours des hommes sans scrupules – policiers, truands, politiciens, prêts à les commettre. Non seulement ils sont corrompus, mais ils demandent à l’être, pour peu qu’on les couvre d’une vague nécessitée. Et on se dit que le monde ne changera jamais vraiment tant qu’on trouvera des individus de ce type en quantité suffisante pour troubler une vraie démocratie. Le film s’arrête sur le triomphe du « système ». En réalité cette victoire ne fut que passagère et contribua à miner durablement le « gaullisme » et plus encore le « pompidolisme ». C’est ce qu’on pourrait reprocher bien amicalement à Yves Boisset de s’être laissé emporter par son amertume. Contrairement à une lecture hâtive de ce film, ce n’est pas une histoire manichéenne entre d’un côté les bons – la gauche et le clan Sadiel – et de l’autre les mauvais – les gaullistes et les services secrets d’un pays étranger qui n’est jamais cité et qu’on identifie comme étant le Maroc. Déjà François Darien, menteur patenté et mythomane n’est pas clairement mauvais. Il a la nostalgie du camp du bien auquel il aurait pu appartenir. Mais il n’a pas la force de le rejoindre, par exemple en dénonçant le complot en amont, ou en prenant le large quand il en est encore temps. Sa maitresse est une gauchiste ordinaire qui derrière sa volonté de faire le bien cherche à étendre son pouvoir sur François. Sadiel lui-même n’est pas toujours très clair, et on comprend qu’il poursuit son combat parce que c’est ce qui a construit sa renommée. Mais il est prêt à rentrer au pays, prêt à négocier un compromis, y compris avec le sombre Kassar dont pourtant il se méfie. Ce n’est pas un hasard si son personnage est bâti autour de la photo qu’il a pris dans sa jeunesse avec Kassar. Ils sont les deux faces de la même pièce dans la quête du pouvoir. Dès lors se pose la question de savoir ce qu’aurait fait Sadiel s’il avait été à la place de Kassar. Les policiers ne forment pas un bloc unifié, il y a ceux qui aiment magouiller, et puis ceux qui comme le commissaire Rouannat ne veulent pas qu’on se serve d’eux comme paillasson. 

    L’attentat, Yves Boisset, 1972 

    La police française enlève Sadiel 

    Sur le plan stylistique Boisset a misé sur une manière fluide de filmer à même les lieux du drame, le boulevard Saint-Germain, Lipp, etc. C’est une manière de donner une forme faussement documentaire au film. Il y a beaucoup de scènes de rue, avec des décors naturels bien choisis, bien qu’on puisse regretter que Boisset n’en donne pas un peu plus de profondeur, mais je suppose que cela tient au fait qu’il a voulu tourner à même la rue sans trop de préparation, ce qui n’est pas un reproche. On trouvera quelques très bonnes scènes de la gare de Ballancourt et du métro. La foule est très bien saisie dans son mouvement et sa densité. Le reste du temps c’est filmé dans des espaces très étroits qui rendent difficiles les mouvements d’appareil et qui donnent aux dialogues un manque de respiration. Ce côté documentaire est renforcé par une photographie aux tonalités peu tranchées, sans doute pour éviter de donner un côté glamour à l’ensemble. On comprend que le point de vue de Boisset se démarque d’une recherche esthétique, bien qu’il recycle quelques tics du film noir traditionnel. Il veut livre le document le plus brut possible, et donc il opposera simplement et sans fioriture, le calme de Genève à l’agitation parisienne, seulement en montrant un ferry qui circule sur le lac Léman. 

    L’attentat, Yves Boisset, 1972 

    François est parvenu à échapper à ses poursuivants 

    Bien que le budget ne soit pas énorme, Boisset à réussi à réunir une distribution prestigieuse. En effet en donnant peu de jours de tournages à chacune de ses stars, il peut se permettre de les avoir tous. Et je crois qu’ils ont tous participé volontiers à cette entreprise, y voyant plus un nécessaire engagement qu’une manière de gagner de l’argent. Le principal acteur, c’est Jean-Louis Trintignant. A cette époque il tournait beaucoup et après avoir fait une belle carrière en Italie, s’était tourné en France vers des films néo-noir. Dans lesquels on le voyait beaucoup courir. Il court en effet dans Sans mobile apparent, de Philippe Labro, il court encore plus dans La course du lièvre à travers les champs, de René Clément, et il accélère encore dans L’attentat. C’était l’homme qui court. Acteur de petite taille avec un physique peu glamour et une voix de fausset, il était tout de même arrivé à s’imposer dans le cinéma français. Il excelle surtout dans les rôles de déséquilibrés, comme dans Flic story. Jouant ici un héros lâche, mythomane et menteur, il est très bon, et arrive à nous faire ressentir ses propres hésitations, sa honte à trahir Sadiel. Vient ensuite Gian Maria Volontè dans le rôle de Sadiel. Lui aussi est un acteur engagé très à gauche, et il ne se retrouve pas là par hasard, même si on le voit assez peu. Sa présence est importante et donne du corps à l’ensemble, mais c’est un acteur de premier plan je l’ai déjà signalé plusieurs fois, de partout où on l’a vu, chez Rosi, chez Pietri, il a laissé sa marque, à mon sens un des plus grands acteurs italiens. Il parait qu’il avait un caractère très difficile. Il y a Michel Piccoli dans le rôle de l’inquiétant Kassar, impeccable. Michel Bouquet qu’on a déjà vu chez Boisset, Le condé, joue le rôle du crapuleux avocat Lempereur, soit Lemarchand, belle composition, cynique et froide, confiante dans la force de ceux qui tiennent les manettes. Jean Seberg est la maitresse de Darien, elle n’apporte pas grand-chose à vrai dire. Plus intéressant sont les policiers, Jean Bouise qui tente de mettre la main sur Darien, et ses secrets, et François Perrier dans le rôle du flic intègre. Ils sont tous les deux très bons, mais ce n’est pas une nouveauté que de le dire. Enfin Boisset retrouve Bruno Cremer qu’il a dirigé déjà dans Cran d’arrêt, dans le petit rôle de l’avocat Vigneau. L’excellent Roy Schreider et Philippe Noiret y font aussi une belle apparition. Quand on voit la richesse de l’interprétation que pouvait réunir Boisset au début des années soixante-dix, on mesure mieux le grand vide du cinéma français d’aujourd’hui qui non seulement n’a pas d’audace politique, mais encore moins les acteurs pour le supporter ! 

    L’attentat, Yves Boisset, 1972 

    Les policiers font le ménage et volent la bande magnétique de François

    Le film a été un très bon succès commercial malgré les menaces qui ont pesé sur les distributeurs. La critique toujours en retard d’une bataille l’a classé dans les films gauchistes et manichéens. Mais en le revoyant on comprend mieux pourquoi le public a adhéré alors que manifestement il n’y a aucun personnage vraiment positif. Curieusement ce film est difficile à trouver sur le marché, à l’heure où j’écris ces lignes seule une version allemande en DVD de très mauvaise qualité est disponible. Selon moi le film mériterait une nouvelle édition en Blu ray. Car il a très bien passé le temps et déborde le simple rôle de témoignage politique qu’on veut lui voir jouer.

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  • Commentaires

    1
    Luc
    Vendredi 8 Mai 2020 à 10:46

    Bonjour,

    Il faut peut-être préciser que le DVD allemand permet de visionner le film en français sans sous-titres, ce qui est déjà pas mal, même si la qualité n'est effectivement pas très bonne, mais à mon sens acceptable.

     

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