• Folle à tuer, Yves Boisset, 1975

     Folle à tuer, Yves Boisset, 1975

    A cette époque Jean-Pierre Manchette était devenu un peu le héros du néo-polar, bien que lui-même récuse ce terme. Ô dingos, ô châteaux avait obtenu en 1973 le Grand Prix de Littérature Policière. Manchette avait principalement la qualité de théoriser justement le néo-polar.  Et le roman noir en général. Et donc quand on le lisait on n’avait plus du tout le sentiment de commettre un péché contre la culture, mais au contraire d’en devancer l’évolution nécessaire. En quelques années tout le monde se mit à faire du Manchette, et même Alain Delon, réputé homme de droite qui adaptait avec succès des romans dits gauchistes. C’est d’ailleurs Delon qui a le plus adapté Manchette[1]. Car en effet, même si on ne peut pas taxer Delon d’artiste révolutionnaire engagé, on se rend compte avec le recul que la prose de Manchette, elle, s’adaptait à toutes les couleurs politiques, bien que l’auteur pensât alors faire une œuvre révolutionnaire. Il se disait même très proches des thèses situationnistes sans trop avoir approfondi la question cependant[2]. Chabrol aussi adaptera Manchette, médiocrement, il est vrai, avec Nada. Mais si on en reste à Manchette, je crois qu’on ne comprend pas le projet de Boisset. Or ce projet dérive du film de René Clément Le passager de la pluie, film dans lequel Marlène Jobert avait brillé et assuré son statut de vedette féminine de premier plan. Ce rapprochement sera renforcé, au-delà du profil de l’héroïne par l’apport de Sébastien Japrisot aux dialogues, c’est sans doute lui qui a amené ces références récurrentes à Lewis Carroll. Film a gros budget, très soigné, il en rajoute aussi avec les références sur la folie, mais également sur la faiblesse supposée des femmes. C’était l’époque post-soixante-huitarde où on considérait que la folie n’était pas forcément une perte de sens, mais la quête d’un autre sens, voire une ouverture vers une autre normalité si on peut dire. C’est un thriller qui, malgré ses incursions vers des formes théoriques modernes, est d’abord un film d’action. Et il semble bien que ce soit cela qui ait le plus déterminé Boisset à l’entreprendre. On peinera à trouver dans Folle à tuer un message politique particulier, sauf à dire comme Godard que tout est politique bien sûr. 

    Folle à tuer, Yves Boisset, 1975 

    Une femme est propulsée par un tueur à gages du haut d’Hôtel Negresco à Nice et s’écrase sur le sol. Julie Bellanger est une jeune femme craintive qui va quitter la clinique où elle était soignée pour rejoindre en tant que gouvernant la maison Mostri où elle sera en charge de la surveillance et de l’éducation du petit Thomas. Celui-ci est orphelin, ses parents sont morts tous les deux, et il est élevé par son oncle. Stéphane Mostri. Ils logent tous en haut d’une tour très moderne et très sophistiquée. Il y a là le chauffeur un peu lubrique, Georges, collant au possible. En dessous ce sont les bureaux. Julie approche difficilement Thomas qui se révèle être un gosse assez désagréable. Elle en déduit qu’il est malheureux. Stéphane Mostri devant partir pour un voyage de plusieurs jours demande à Julie d’amener Thomas au Parc de Saint-Cloud. Georges les accompagnera. Mais tandis que Thomas fait du vélo, apparait le tueur Thompson, celui-là même qui a défénestré la femme de Nice. On comprend alors que c’est la mère du petit Thomas qui a fait le grand plongeon. Thompson enlève tout le monde, Julie, Thomas et Georges. Avec son acolyte Walter, ils les amènent dans une cabane isolée au milieu d’une carrière de sable. Au passage, Julie reçoit une correction à coups de pieds. Cependant, pensant s’en sortir, elle dérobe le révolver de Walter. Mais en confiant celui-ci à Georges, elle découvre qu’il est lui aussi dans la combine. Le tueur force Julie à taper sur sa machine une lettre où elle demande de l’argent en affirmant que dans le cas contraire, elle se pendra et elle pendra avec elle l’enfant. Walter récupère la lettre et prétend la porter à Mostri. Le lendemain matin, Georges commence à comprendre que la lettre est en fait une manière de mettre le meurtre de l’enfant sur le dos de Julie, et qu’il n’y aura pas de rançon à se partager. Il commence à protester, mais Thompson le tue. Pendant ce temps Julie s’est débarrasser de ses liens et a pris la fuite en amenant avec elle Thomas. La poursuite commence. L’ennui est que Mostri a reçu la lettre et croit que Julie est folle et donc qu’elle peut tuer Thomas. Le commissaire Melun le pense aussi, seul le docteur Rosenberg ne croit pas à cette possibilité. Après avoir échappée à la poursuite des deux tueurs, l’un des deux mourra dans l’explosion de la voiture qu’ils avaient réservée à Georges, Julie va prendre la route du sud. Elle trouve un automobiliste complaisant qui l’embarque. Mais ayant écouté les informations celui-ci tente de les dénoncer à la police. Julie vole la voiture et fonce toujours avec Thomas, vers le Sud où elle pense retrouver Mostri. C’est ce que pense aussi Rosenfeld qui nous dit qu’elle finira par atterrir là. Cependant la Thébaïde est cernée par la police. Il faut donc contourner l’entrée principale. Thompson arrive sur ces entrefaites. Il veut se faire payer pour son travail par Mostri. Il  brule les billets de banque, du moins la partie qui avait été coupée. Les flics l’attendant, il se fait descendre par la police. Mais le commissaire Melun qui est particulièrement borné pense que Julie est sans doute complice de Thompson ! Il veut l’arrêter, malgré la défense de Rosenfeld. Mostri récupère le petit Thomas et l’enferme. Thomas qui ne supporte pas d’être séparé de Julie prend un tisonnier, pour briser le carreau. Il trouve alors les résidus qu’il porte à la police. ce qui permet l’arrestation du sinistre Mostri. 

    Folle à tuer, Yves Boisset, 1975

    Une femme est défénestrée de l’Hôtel Negresco 

    Le scénario est cousu de fil blanc puisqu’en effet, on comprend dès le début du film que c’est bien Stéphane Mostri l’instigateur de toute cette tuerie. Mais vous me direz que les romans ou les scénarios de Manchette sont toujours cousus de fil blanc. Donc on ne s’attardera pas à relever les invraisemblances. On y passerait la nuit. Les flics son trop cons pour être « vrais », le coupable est trop vite connu, etc. Et malgré cela il y a tout de même quelque chose qui ressort d’intéressant dans l’étude des caractères. C’est l’histoire d’une thérapie de choc pour une jeune femme craintive. Cependant, Julie se retrouve rapidement au pied du mur avec la responsabilité d’un jeune enfant – lui aussi plutôt mal dans sa peau – dès lors le scénario ne peut prendre que trois directions : soit Julie se transforme en furie qui règle ses comptes, et son passé du même coup, soit quelques forces extérieures la prennent en pitié et la sauvent de la mort, mais son personnage reste faible, soit encore on choisit la dernière voie, celle d’une impasse face aux puissants qui gouvernent le monde. Ce dernier point ouvre la porte à une réflexion amère. Boisset qui signe le scénario ne choisit aucune de ses trois solutions. Il décide de livrer Julie et Thomas, deux innocents, au hasard. A mon sens cela trouble le spectateur. Comme dans Le passager de la pluie l’héroïne a été violée, mais ici dans le film de René Clément, elle se venge, et c’est même la recherche de cette vengeance qui en fait le moteur de l’intrigue. Ici, elle refuse cette solution, et voudrait bien finalement que le problème qu’elle a avec les hommes soit rangé dans le passé, n’entrave pas son avenir. Or dès qu’elle met le nez dehors elle est livrée aux prédateurs, à commencer par l’ignoble et grossier Georges qui semble sorti d’un roman du XIXème siècle, façon Octave Mirbeau. 

    Folle à tuer, Yves Boisset, 1975

    Julie qui a confiance dans le docteur Rosenfeld quitte difficilement la clinique 

    Reste évidemment le portrait d’une jeune femme faussement faible – c’est pour sa faiblesse apparente que Mostri l’avait semble-t-il choisie – mais dotée d’une grande force de caractère qui lui fait trouver des solutions… de fuite. Elle navigue dans un monde hostile, principalement masculin d’ailleurs où seules quelques rares figures peuvent la rassurer, l’enfant qu’on cherche à assassiner, ou le docteur Rosenfeld qui l’incite à sortir, à affronter la vie. La complexité du portrait de Julie n’est pas compensée par un criminel d’envergure. Stéphane Mostri est seulement un homme cupide, sans trop de caractère, et quand à la fin il tente de se faire passer pour fou, personne n’y croit. Julie est traquée et par tout le monde, les criminels comme les forces de police qui normalement devraient la défendre. C’est évidemment la vieille ficelle de thrillers américains qui permet de construire des courses poursuites qui peuvent combler toute la durée du film. Pourquoi pas ! Ça nous fait traverser des espaces, voir du pays, éprouver les nerfs de l’héroïne et du spectateur, d’autant que la fuite de Julie est entravée par l’enfant qui devient une difficulté supplémentaire. Ce couple femme-enfant, c’est le même au fond que celui du héros qui fuit tout en protégeant une femme. Dans North by Northwest, on a le même type de scènes quand Roger Thornhill escalade les rochers en aidant Eve Kendall alors qu’ils sont pourchassés par des tueurs affreux. On pourrait dire que ce sont des figures presqu’imposées. 

    Folle à tuer, Yves Boisset, 1975

    Le collant Georges tente de séduire Julie 

    Au niveau de la réalisation, c’est plus intéressant. Boisset est très bien secondé par la photo de Jean Boffetty qui trouve des angles et des solutions de continuités intéressants. Il y a comme dans de nombreux films de Boisset une jolie scène de defenestration qui ouvre le film. C’est soigné, avec les pas de Thompson qui s’embrouillent dans les dessins sophistiqués de la moquette du Negresco. C’est bien rythmé et on va à l’essentiel. On remarquera la référence à Melville, Le doulos, avec cette visite à la carrière de sable où se forment des collines qu’il faudra escalader. Ce n’est pas étonnant. Les scènes d’action sont fortes, je pense à tout ce qui se passe au milieu du petit village quand Julie tente en même temps de téléphoner à Mostri, d’échapper aux tueurs et à la police. L’échange de vêtements dans le magasin est bien synchronisé avec l’inspection tatillonne de Thompson. Je dirais la même chose pour la manière dont Julie passe sans encombre la surveillance de la police pour prendre le petit train bleu des Alpes. C’est vif et bien enlevé. Il y a au début du film toute une belle séquence qui voit Julie traverser Paris, un Paris en pleine modernisation, avec ses gratte-ciels de verre et de béton, ses voies rapides et autres bêtises. C’était d’ailleurs une angoisse réelle à cette époque de voir comment Paris au nom du progrès se défigurait. En l’opposant au calme de la clinique que Julie vient de quitter, et où elle a passé de nombreuses années, le drame ne peut qu’arriver. 

    Folle à tuer, Yves Boisset, 1975

    Le terrible Thompson enlève tout le monde 

    Yves Boisset aime les acteurs, ça se voit non seulement dans le fait qu’il les réemploie très souvent, mais aussi dans la manière de les regarder et de les filmer. Film à gros budget, coproduction franco-italienne, la distribution est excellente. D’abord il y a Marlène Jobert. Une femme de caractère, elle avait la réputation d’être difficile sur les tournages. Mais est-ce bien là un défaut, connaissant ce milieu ? Quoi qu’il en soit le film est bâti autour d’elle. Elle est évidemment très bien, mais caractère de cochon ou pas, elle est toujours très bien ! Son rôle s’inscrit tout à fait dans la lignée de Dernier domicile connu et du Passager de la pluie. C’est une production franco-italienne, et donc il fallait trouver une vedette populaire de l’autre-côté des Alpes. Le choix s’arrêta sur Thomas Milian, mais il est clair qu’on dut trouver des minutes de pellicule en plus pour justifier ce choix et ses émoluments.  Bien que son rôle soit assez étroit, il est très bien, contrairement à son ordinaire, il ne joue pas les rigolos, mais au contraire il semble un représentant des pompes funèbres, un oiseau de malheur. Le cheveu lissé, la mine renfrognée, il apparaît déterminé autant que tourmenté. Victor Lanoux est très présent dans le rôle du chauffeur de maître, fourbe, concupiscent et mauvais, mais qui hésite à aller au-delà d’un certain point. Avec un tel rôle il nécessitait de le faire disparaître avant la deuxième partie du film. Le criminel cupide, c’est Michael Lonsdale. Son rôle n’est pas assez travaillé au niveau du scénario, ses motivations sont trop simples et trop évidentes pour qu’il soit vraiment intéressant. Mais ça c’est une lacune du scénario, on ne peut l’imputer à l’acteur lui-même. Et puis il y a Jean Bouise dont ne cessera pas de vanter la présence et le talent, excellent dans le rôle paternaliste de Rosenberg, le bon docteur. 

    Folle à tuer, Yves Boisset, 1975 

    Julie doit écrire une lettre sur sa machine à écrire 

    Certes ce n’est pas un des meilleurs films de Boisset, ni même de Marlène Jobert, mais ce n’est pas un film indigne. Il mérite une réhabilitation. Il a bien passé les années, grâce à sa réalisation soignée et à ses acteurs. A sa sortie les critiques furent catastrophiques et le film fut un bide noir dans les salles. Du moins en France, je ne sais ce qu’il en fut à l’étranger, en Allemagne ou en Italie où Marlène Jobert et Thomas Milian étaient des vedettes renommées. Depuis il s’est un peu rattrapé par ses multiples passages à la télévision, car Marlène Jobert est une actrice qui est restée fort justement populaire. Et puis sont venu les ventes en K7 ou sur support numérique. C’est un film qu’on trouve aujourd’hui facilement dans le commerce avec une bonne qualité, vendu en combo avec Canicule, un autre film de Boisset dont nous reparlerons. 

    Folle à tuer, Yves Boisset, 1975

    Thompson liquide Georges 

    Folle à tuer, Yves Boisset, 1975

    Walter a sauté avec la voiture 

    Folle à tuer, Yves Boisset, 1975

    Thompson meurt à la Thébaïde



    [1] Trois hommes à abattre, Jacques Deray, 1980, Pour la peau d’un flic, Alain Delon, 1981 et Le choc, Robin Davis, 1982. Sur ces trois films Delon a participé à l’écriture du scénario.

    [2] Il aurait travaillé à un projet de film avec Vaneigem et Khayari sur un scénario consacré à la vie de Buonaventura Durruti, le héros anarchiste de la Révolution espagnole.

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  • Commentaires

    1
    Luc
    Mardi 28 Avril 2020 à 10:42

    Ce qui m'a le plus choqué dans le film, c'est de voir cabosser une SM Citroën-Maserati...cry

    2
    Mardi 28 Avril 2020 à 11:32

    En effet la SM c'était quelque chose ! On n'a jamais fait mieux ! Aujourd'hui ça vaut la peau des couilles et en plus quand tu passes à la pompe, tu te fais racketter méchamment.

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