• La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

     La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Deuxième long métrage de Philippe Fourastié, La bande à Bonnot s’empare d’un sujet dans l’air du temps, d’autant que le film tourné en 1967 ne sortira qu’en 1968 au moment des événements qu’on sait qui ont remis en lumière un courant de pensée politique anarchiste. Evidemment le film a été très critiqué parce que Bonnot et sa bande appartenait à ce courant particulier de l’anarchie qui pronait l’action violente et la reprise individuelle. Daniel Guérin qui à l’époque passait pour le pape de l’anarchie détestait l’idée même de présenter Bonnot et ses copains comme des anarchistes. En vérité derrière cette diatribe, il y avait le fait que lui-même était pour une politique anarchiste quasiment non violente qui passerait par la grève, le syndicalisme et le mouvement de masse. Pour ceux qui voulaient que l’anarchie soit un mouvement politique comme un autre, respectable, c’était dérangeant que des anarchistes prônent l’action violente. C’est un vieux débat politique qui renvoie au fait que, au moment de la mort de Bonnot, en 1912, l’anarchie est déjà un mouvement politique complètement dépassé, les révolutionnaires se tournant de plus en plus vers les syndicats et vers les partis socialistes qui veulent gouverner. Mai 68 cependant en proposera une nouvelle jeunesse. Mais si ce film a une forte raisonnance avec les événements politiques en cours, il faut le resituer dans un courant plus large qui fait qu’à la fin des années soixante, le cinéma va mettre en scène des bandits qui semblent être la subversion fatale du capitalisme, par exemple les films de Paul Newman qui sont d’énormes succès Cool Hand Luke[1] ou Butch Cassidy and the Sundance Kid de George Roy Hill en 1969 ou encore Bonnie and Clyde d’Arthur Penn en 1967. Si dans le cinéma américain il y a toujours eu une tendance anarchisante qui aime à donner une allure politique aux exploits des bandits, en France c’est beaucoup plus rare, on est plus timide. Mais juste un peu avant La bande à Bonnot sort Le voleur, avec une distribution prestigieuse avec Jean-Paul Belmondo en tête. Adapté de l’ouvrage de Georges Darien, c’est sans doute le meilleur film de Louis Malle. Le film aura un bon succès. L’ambiance est un peu la même dans les deux films. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Raymond la Science tente de soulever les ouvriers 

    Callemin, dit Raymond-la-science, et quelques amis qui logent tous dans une sorte de phalanstère anarchiste, où se mêlent des illégalistes et des pacifistes, veut passer à l’action. Mais les rapports qu’ils ont avec les ouvriers les déçoivent. Ils se mettent à voler, c’est la reprise individuelle. Un jour alors qu’ils veulent voler une mallette, ils tombent sur Jules Bonnot qui évidemment ne se laisse pas faire, mais qui va les entraîner dans une série d’attaques de banques et d’encaisseurs. Bonnot est un bon mécanicien, et pour commettre leurs forfaits, la bande va utiliser une automobile volée, ce qui leur permet d’être plus rapide que la police qui a toujours un temps de retard sur eux. Mais les hold-ups, les premiers commis en se servant d’une voiture pour s’enfuir sont aussi sanglants. Ce qui va mettre la police en ébulition. Tandis qu’ils sont pourchassés en France, ils se rendent à Bruxelles pour tenter de négocier des titres qu’ils ont volés. Ils n’arrivent pas à faire affaire. On leur donne un rendez-vous dans un cinéma, mais ils ont été vendus, la police les cerne, ils n’arrivent à s’en sortir que de justesse. Ouvrant le feu sur les policiers, ils arrivent jusqu’à la gare où ils prennent un train pour Paris. Callemin en jouant avec son revolver va se blesser accidentellement. Ils doivent se séparer.  

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Chez Kilbatchiche on discute des moyens d’action 

    La police les recherche de plus en plus activement. Pour les coincer, ils vont mettre en prison Kilbatchiche et quelques anarchistes. Pendant ce temps Bonnot et sa bande vont continuer leurs exactions, ils volent une nouvelle voiture pour réaliser le hold-up audacieux et sanglant de la Société Générale. Le sous-chef de la Sureté, Louis Jouin, multiplie les assauts. Il va faire craquer une jeune femme qui vit dans le phalanstère et qui va les donner. Le premier à se faire prendre est Soudy, le jeune tuberculeux qui se soigne au bord de la mer. Puis c’est au tour de Callemin. Anna la belge qui assiste à l’arrestation va prévenir le reste de la bande. Mais c’est ensuite Carouy qui est coincé, il se suicide lorsque les policiers l’emmènent, en croquant une pastille de cyanure. Bonnot et Garnier se sont réfugiés à Choisy-le-Roy, chez un garagiste anarchiste. Le procès des anarchistes qui se sont fait coincer va commencer. Callemin et Soudy assument leurs actes, mais ils dédouanent Dieudonné. Les deux premiers seront guillotinés, tandis que Diedonné fera de longues années au bagne de Cayenne. La police pendant ce temps à repérer Bonnot et Garnier. Ils sont cernés par la police. Mais ils se barricadent et vont livrer une bataille féroce contre la police. L’armée est appelée en renfort, la maison est mitraillée. Bonnot abattra même Jouin avant d’être tué de six balles dans le corps. Garnier sera aussi tué en tentant de s’échapper par les toits. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Bonnot va rencontrer Callemin d’une étrange manière 

    Certes l’histoire est simplifiée, mais il n’y a pas de trop grosses erreurs. Par exemple Carouy ne s’est pas suicidé au moment de son arrestation, mais en prison. La culpabilité de Soudy est aujourd’hui encore discutée. Pécherot dans L’homme à la carabine, laissait entendre qu’il n’avait pas de sans sur les mains[2]. Plus gênant, il y a des anachronismes, Callemin et Bonnot chantant La jeune garde, chanson socialiste, donc non revendiquée par les anarchistes qui trouvent les socialistes trop mous, mais surtout cette chanson est devenue populaire, après la mort des membres de la bande à Bonnot. La reconstitution se voulant fidèle, elle va se heurter aux problèmes généraux qu’on rencontre à ce sujet. Le plus problématique, ce sera les vêtements, en effet, ceux des comédiens sont taillés dans des tissus modernes qui ont un apprêt qui n’a rien à voir avec les vêtements mous et toujours un peu froissés de l’époque. Pour les coiffures, c’est un peu pareil. Pour le reste, les lieux sont bien choisis, et les voitures sont d’époque, les décors sont minutieusement utilisés. Malgré les difficultés, la reconstitution est assez réussie. Il y a bien le parfum d’une époque. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967 

    Le premier hold-up en voiture est sanglant 

    Contrairement à ce qu’ont prétendu certains anarchistes comme Daniel Guérin, on ne ressent pas du tout d'un mépris pour cette bande qui semble d’abord se souder autour d’une exaspération commune. De même Jouin n’est pas caricaturé. En vérité il l’est beaucoup plus dans la série que Canal + a produite, Paris 1900. Je me demande d’ailleurs si l’idée de faire de Jouin le héros d’une série n’est pas venue d’un visionage de La bande à Bonnot. Bien que ce soit un film d’action, c’est une réflexion sur la question des moyens de la révolution sociale. Doit on attendre que les ouvriers aient acquis la conscience de leur force pour agir ? Ou au contraire doit-on agir pour démontrer que le système est vulnérable et donc l’exemplarité de l’action pourrait alors ouvrir la voie à des tem :ps nouveaux ? Ce débat était assez fréquent vers la fin des années soixante. Aujourd’hui il est remplacé par la question du terrorisme. Cependant, derrière l’illégalité de la reprise individuelle, on trouve l’idée de financer la propagande, il y a également le refus de travailler, non pas par fainéantise, mais parce qu’on refuse de se faire exploiter. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Bonnot et ses amis sont à Bruxelles pour écouler des titres 

    Mais au-delà de cette rhétorique qui guide l’action, il y a une tentative pour décrire un milieu. Kilbatchiche, ce n’est pas dit dans le film, est connu sous le nom de Victor Serge pour les nombreux ouvrages qu’il a écrits. En effet après avoir fait quelques années de prison, consécutivement au procès de la bande à Bonnot, il partit en Russie pour y faire la Révolution de 1917. Lui aussi était passé à l’action d’une autre manière. Bien qu’il se dise alors communiste, il aura les pires ennuis avec le parti  bolchevik, et c’est sur cette expérience qu’il écrivit longuement. Les longues années de prison de Kilbatchiche, le jugement de Dieudonné, s’inscrivaient aussi dans une répression féroce des illégalistes. Qu’ils s’appellent Bonnot, Jacob ou avant eux Ravachol, la presse bourgeoise s’efforçait de les présenter comme de simples bandits cruels, doués pour le mal. Fourastié évidemment tente d’éviter cette caricature. Pour cela il montre assez longuement le rôle que jouent les femmes dans cette aventure, que ce soit Rirette Maîtrejean, Marie la belge ou encore la Vénus rouge qui les trahira. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Ils ont été donnés à la police 

    Mais si le contexte historique a une importance, on ne doit pas oublier que c’est un film noir. Cette histoire bien réelle est marquée par la fatalité. D’abord parce que ces anarchistes sont tous des en-dehors qui n’ont pas pu trouver leur place dans la société de leur temps. Fichés comme anarchistes, ils trouvent très difficilement du travail. La mécanique du scénario nous fait comprendre rapidement qu’il n’y a pas d’issue. Mais qu’importe. Leur but n’est pas de durer, mais de vivre l’instant. Celui qui représente le mieux cela c’est Callemin. Il n’essaie pas d’échapper à son destin, contrairement à Bonnot. Il se moque de tout, tue gratuitement, je veux dire même quand la nécessité ne l’impose pas, il tue parce que le flic n’est pas dans son camp et qu’il participe à un système. Ont-ils des plaisirs ? Certainement dans l’action. Ils ne tremblent pas. Pour le reste, on les verra bien maladroits dans un boxon de Bruxelles. Les moments de tendresse sont rares, on verra bien Callemin et Marie la belge se parler tendrement, mais ils semblent tous les deux ailleurs, plus préoccupé par leur descente aux enfers que par leur confort et même leur sécurité. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Le sous-chef de la Sureté, Jouin, tente de faire parler Kilbachiche 

    La mise en scène est plus compliquée qu’on ne pense parce qu’il faut à la fois saisir la dérive sanglante des anarchistes, et l’enquête de la police. C’est assez bien équilibré de ce point de vue. Rapidement on comprend que la machine policière est en route, et que les anarchistes n’ont aucune chance de triompher. Les scènes d’action se multiplient. Les braquages de la bande à Bonnot sont particulièrement bien filmés. Fourastié a fait des progrès depuis Un choix d’assassins. L’attaque de la rue Ordener et le moment où Bonnot fait arrêter une automobile pour la voler, puis quand les anarchistes assassinent le propriétaire du véhicule, sont deux scènes remarquables qui saisissent aussi bien la profondeur de champ que le mouvement en choisissant des angles de prises de vue légèrement plongeant. Ça donne une dimension spatiale qui se marie très bien avec les décors. J’aime beaucoup la séance de cinéma qui aurait pu être fatale à la bande. D’abord parce qu’elle représente un film dans le film, et dans cette mise en abime, il y a bien sûr une interrogation sur ce que montre réellement un film. Mais cette scène voit les policiers plutôt nombreux investir le café où le film est projeté, et là Bonnot déclenche la panique, en tirant de bas en haut, façon Horde sauvage. Le montage est très serré, ce qui accroît un peu plus la vitesse. Fourastié est resté tout de même sobre dans la mise en scène de l’assaut contre la maison de Choisy-le-Roy.  

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Ils abattent froidement un bourgeois à qui ils viennent de voler une voiture 

    L’interprétation est plutôt cossue. Bruno Cremer incarne Bonnot. Ce qui est un peu curieux, parce que Bonnot faisait à peine un mètre cinquante-neuf. Et  effet, les pauvres de ce temps là étaient plutôt petits de taille, alors que Bruno Cremer était un solide gaillard qui dépassait les un mètre quatre-vingts. Bonnot avait l’air bien plus doux que Cremer ! Un visage d’ange. Cependant, Bruno Cremer était un excellent acteur, et il le prouve encore ici. Jacques Brel est Callemin, dit Raymond-la science. C’était à l’époque une personnalité très appréciée, il venait de s’extraire du monde de la chanson où il avait triomphé, et cherchait sa voie au cinéma où, à mon sens, il n’a pas très bien réussi. Il en fait un peu trop dans l’ironie. On ne peut pas dire qu’il plombe le film, mais enfin, il n’apporte pas grand-chose. Annie Girardot incarne Marie la belge, plutôt discrètement, son rôle est d’ailleurs assez étroit. A cette époque elle était vraiment une grande vedette. Jean-Pierre Kalfon est un peu trop nonchalant dans le rôle de Garnier. Je trouve plus remarquables Armand Mestral dans le rôle de Jouin, et aussi Dominique Collignon-Maurel dans celui de Soudy.

     

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967 

    Soudy est arrêté au bord de la mer 

    Sorti au mois d’octobre 1968, il tombait bien avec toute l’agitation révolutionnaire qu’on connaissait. Joe Dassin avait eu la même année un grand succès avec une chanson sur la bande à Bonnot. Il y avait donc une certaine sympathie pour « les bandits tragiques »  Cependant, si le public fit un très bon accueil au film de Fourastie, la critique qui le trouvait un peu trop académique dans la forme le dédaigna. Fourastié retravaillait avec Alain Levent, mais cette fois la photographie est très bonne ! Dans l’ensemble c’est un film intéressant et à voir. Ce fut le dernier long métrage de Fourastié, et c’est dommage. 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967 

    Callemin est pris à son tour 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967

    Lors de son procès, Callemin ne renie rien 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967 

    La maison de Choisy-le-Roy est cernée 

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967 

    Le  vrai Jules Bonnot

    La bande à Bonnot, Philippe Fourastié, 1967 

    Le vrai Raymond Callemin


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/luke-la-main-froide-cool-hand-luke-stuart-rosenberg-1967-a130955764

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/patrick-pecherot-l-homme-a-la-carabine-gallimard-2011-a114845180

    « Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967L’empire de la nuit, Pierre Grimblat, 1962 »
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