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Un choix d’assassins, Philippe Fourastie, 1967
Les carrières dans le domaine artistique sont soumises à des aléas assez étranges, et particulièrement dans le cinéma. Philippe Fourastié est un réalisateur oublié. Il est vrai qu’il n’a fait que deux films et qu’une renommée s’installe dans la durée. Si Un choix d’assassins n’a pas eu de succès, La bande à Bonnot, son second film sorti en 1968, avec une distribution prestigieuse, avait connu un assez bon succès critique et le public avait suivi. Ayant des difficultés à financer ses projets, dont une vie de Saint-François d’Assise avec Léo Ferré[1] ! Philippe Fourastié se tourna vers la télévision où il mit en scène une série consacrée à Mandrin, confirmant ses tendances anarchistes puisqu’il faisait de Mandrin un héros de la cause du peuple, série qui avait été très bien reçue d’ailleurs. En dehors des difficultés à monter les projets qui l’intéressait, il fut la victime d’une maladie qui l’emporta vers la quarantaine, c’est-à-dire sans avoir pu donner le meilleur de lui-même. Il avait appris le métier sur le tas, devenant l’assistant réalisateur de Pierre Schoendoerffer sur La 317ème section puis sur Objectif 500 millions. Il travailla aussi pour Godard et pour Robert Enrico, pour Jacques Rivette sur La religieuse. Ce qui donne une idée de l’univers sur lequel il s’est construit, en marge de la Nouvelle Vague. Un choix d’assassins sera d’ailleurs produit par Georges de Beauregard, producteur qui a lancé Godard et quelques autres. Pour son premier film il choisit d’adapter un roman de la série noire, A choice of assassins. William P. McGivern en était l’auteur. C’est un auteur de romans noirs de première catégorie, adapté avec succès par des réalisateurs comme Robert Wise pour Odds against Tommorow[2], ou Fritz Lang pour The Big Heat[3]. D’autres films moins connus adaptés de ses romans valent vraiment le détour, Shield for murder d’Edmond O’Brien[4], ou encore l’excellent Rogue Cop de Roy Rowland[5]. J’ai déjà parlé de tous ces films qui sont tous très bons. Ils dessinent un univers particulièrement désespéré. L’ouvrage qui a servi de base au scénario situe l’action en Espagne, ce qui est plutôt rare pour William P. McGivern, et c’est ce qui facilite la transposition au Maroc. Cependant une dimension a disparu par rapport au livre, c’est la politique. L’ouvrage de McGivern parle de l’Espagne franquiste, et donc le commissaire passe plus de temps à faire semblant de surveiller les populations plutôt qu’à enquêter sur quoi que ce soit.
Stéphane est un dessinateur de bandes dessinées – il fait Lucky Luke – mais sa femme et sa fille sont mortes dans un accident d’automobile au Maroc. Désespéré, il noie son chagrin dans l’alcool. Sur la voie de la clochardisation accélérée, il commence par rencontrer une petite fille, Jennifer, sur la plage de Tanger. Mais dans un bar il va faire la connaissance d’un trafiquant, chef de bande, Domenico. Celui-ci lui paie un verre en échange d’un meurtre qu’il doit commettre. Entre deux saouleries, il va se rapprocher de Tani, une jeune femme qui travaille en réalité pour la police. Cependant la mère de Jennifer, s’est acoquinée avec un autre trafiquant d’armes, Tonio, qui se trouve en rivalité avec Domenico. Celui-ci en vérité travaille pour celui qui chapeaute les livraisons d’armes, très riche, Quesada. Domenico va demandé finalement à Stéphane de tuer le commissaire. Stéphane apprend que la mère de Jennifer a été assassinée comme son compagnon Tonio par la bande de Domenico. Mais Stéphane va au contraire tuer finalement Domenico, se libérant ainsi de sa tutelle, alors même que les trafiquants s’apprêtent à décharger les armes. Il partira ensuite avec la petite Jennifer à Lausanne et reprendra sans doute son travail de dessinateur de Lucky Luke.
Stéphane fait la connaissance de Jennifer sur la plage
L’intention de Philippe Fourastié semble d’avoir voulu dépasser le cadre codifié du film noir. Deux éléments vont dans ce sens, d’abord le personnage de Jennifer, une petite fille qui représente à la fois l’innocence et la conscience, deux choses qui ne sont pas l’apanage de Stéphane, dessinateur désespéré et alcoolique. Ensuite, il y a cette idée d’un pacte faustien avec Domenico. Le désespoir ayant amené Stéphane au-delà de la morale et de la crainte de mourir, il est prêt à faire n’importe quoi pour un verre d’alcool. Ce choix suicidaire va pourtant être remis en question par une somme de hasards qui le transformeront sans qu’il le veuille vraiment. Autrement dit il va renaitre. Et principalement à cause des femmes si on peut dire, d’abord de Tina avec qui il redécouvre une vie amoureuse, et ensuite de Jennifer dont il accepte d’endosser la paternité. En Jennifer Stéphane se reconnait, elle est réveuse et réinvente une vie qui ne la satisfait pas. Jetant son dévolu sur le dessinateur, elle en fait son père d’élection et en cela elle lui offre une renaissance. Tous les deux vont évoluer dans un univers où le rêve et le cauchemar font bon ménage. Ils traversent les drames qui se jouent autour d’eux, comme si cela ne les concernait pas. C’est cette forme d’en dehors qui rend l’histoire intéressante, l’intrigue policière étant réduite à sa plus simple expression.
Il n’arrivera pas à prendre le train
Fourastié a choisi de tourner au Maroc, et plus particulièrement à Tanger. C’est une ville présentée longtemps dans l’imaginaire français comme la ville de tous les trafics. C’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui, puisque c’est une des plaques tournantes du commerce de la drogue, haschich et même cocaïne. Mais ce fut longtemps celui du trafic de cigarettes et d’armes bien entendu. C’est cependant qu’une sorte de décor à peine esquissé pour décrire le désarroi de Stéphane. Du reste les trafiquants de la bande de Domenico sont particulièrement grotesques. Ce sont des sortes de Pieds Nickelés. Certes, ils tuent aussi et c’est bien dommage parce que sans cela ils seraient plutôt sympathiques. On a l’impression qu’ils jouent aux gendarmes et aux voleurs et que rien d’autre n’a vraiment d’importance. Cependant Fourastié a un peu de mal à trouver la bonne distance. Cela fait penser un peu à La course du lièvre à travers les champs, cette promiscuité entre Stéphane qui se fait piéger par ses paris idiots et une bande de gangsters qui suit de objectifs de grandeurs qu’elle a du mal à atteindre. Mais Fourastié n’est pas René Clément, et son scénario est bien moins travaillé. Il hésite tout le long entre une voie rêveuse et fantaisiste et une sorte de naturalisme polardeux un peu fané.
Le commissaire lui annonce la mort de sa femme et de sa fille
Je l’ai dit en commençant, cela fait plus penser à David Goodis qu’à William P. McGivern, parce qu’en général ce dernier s’il se place sous le signe de la fatalité, ses héros recèlent tout de même une certaine dose d’optimisme, même s’ils se dirigent vers l’abime. Cependant Fourastié ne va pas jusqu’au bout de son propos. En effet le film part sur l’idée d’un homme suicidaire qui se moque bien de mourir et qui trouve assez drôle de jouer avec le feu. Mais bientôt on bifurque sur l’idée d’une quête de rachat. La deuxième partie c’est la longue marche vers la rédemption. Si au début il se moque de la petite Jennifer, celle-ci va le remettre dans les pas d’une morale tout à fait ordinaire. On passe du noir au rose en quelque sorte ! Pouvait-il faire autre chose dans un premier film manifestement fauché ? Ce déséquilibre fait que dans un premier temps on a un film noir, et dans un second une simple enquête policière.
Dans un bar, Stéphane fait un étrange marché
Ces hésitations vont marquer la mise en scène. On pourrait dire que la première partie n’est pas assez cauchemardesque et que dans la seconde la dynamique de l’action est négligée. Par exemple lorsque Domenico et son gang vont récupérer les armes sur la plage, il n’y a aucune tension, ça se déroule en deux temps, trois mouvements, alors qu’il y avait tout à fait matière à soutenir l’attention du spectateur en dramatisant l’urgence du débarquement en même temps que les menaces qui vont peser sur Domenico. Il hésite donc entre un ton Nouvelle Vague adapté au budget, et une forme plus traditionnelle du thriller ou du film noir. Certains personnages sont à peine esquissés, c’est le cas de Tina, on ne comprend comment avec cet immense chagrin que Stéphane dit trimballer, il tombe si facilement amoureux, et à l’inverse on ne voit pas très ce qui attire Tina chez Stéphane. Est-ce sa faiblesse ? Est-ce seulement de l’opportunisme ? Fourastié fait comme si Stéphane n’était pas amoureux de cette femme, comme si elle n’avait pas d’importance, mais c’est contradictoire avec l’œuvre de rédemption qu’il poursuit, et aussi le fait qu’il va être motivé pour tuer Domenico.
Stéphane défie Scarlati
En tournant dans des décors naturels, avec une caméra très mobile, souvent portée à l’épaule, Fourastié tente de donner du corps à l’intrigue avec cet exotisme ensoleillé. Mais c’est assez maladroit, et on n’arrive pas à sentir vraiment qu’il fait si chaud au Maroc ! La photo ne rend pas bien compte de cette particularité, sans doute cela vient aussi de la volonté de filmer avec des plans plutôt resserrés. Le film manque d’ampleur visuelle. Elle est signée Alain Levent qu’on a connu mieux inspiré. La fête n’est pas très mal filmée, il y a de bons mouvements, mais elle reste sombre, et manque d’éclairage. Fourastié s’essaie à des figures traditionnelles du film noir américain. C’est typique des scènes autour du billard, avec les éclairages par en dessus, mais également avec cette scène très rajoutée de Stéphane courant après le train qu’il va manquer, comme s’il ne pouvait s’enfuir !
Tani veut que Stéphane lui donne des renseignements
La distribution est évidemment faible. Le budget est très étroit, et c’est une coproduction franco-italienne, donc on n’aura pas du premier choix. Bernard Noël incarne Stéphane. Il passe totalement à côté du sujet, se contentant de réciter son texte comme on le lui a appris au théâtre d’où il venait, certes il avait une bonne diction et une belle voix, mais au cinéma cela ne suffit pas. C’était un acteur qui avait fait aussi beaucoup de télévision, célèbre pour son interprétation de Vidocq sans la série éponyme. Corinne Armand porte le rôle difficile de la petite Jennifer. Pourtant déjà habituée des plateaux cinématographiques, elle a du mal avec son corps et manque de naturel dans ses déplacements. Mais je suppose que ses tâches de rousseur étaient jugées suffisamment photogéniques. Les personnages féminins sont très sacrifiés. Duda Cavalcanti n’a fait que passer au cinéma. Elle était dotée d’un bon physique, mais c’est tout. Elle incarne mornement Tina, celle qui renseigne la police et qui semble être amoureuse de Stéphane. Manuela Oppen a un tout petit rôle, celui de la mère de Jennifer.
Domenico veut que Stéphane tue Paco
Les seconds rôles masculins sont mieux dotés. Guido Alberti est plutôt bon dans le rôle du cruel Domenico, il était plus souvent habitué à des rôles de lâches ou de traitre. Il est solide. Comme Robert Dalban qui incarne ici le commissaire avec aisance. Son rôle est des plus courts, mais on ne voit que lui. Mario David, un ancien du Grand Guignol, qui jouait toujours les hommes de main, est Scarlati. Il passe. Marcel Lupovici plus habitué au théâtre qu’au cinéma, est très bon dans le rôle de Quesada. Ce qui nous fait regretter qu’on ne l’ait pas utilisé plus abondamment dans les films noirs français.
Après la mort de Catherine, Stéphane doit s’occuper de Jennifer
Globalement c’est un film raté, certes c’est un premier film et malheureusement Philippe Fourastié n’aura plus beaucoup d’occasion de briller. Il va pourtant y arriver en se lançant dans un projet plus ambitieux, mieux doté, et surtout en disposant d’un panel de vedettes de qualité. Il va démontrer qu’il a su tirer les leçons de ce premier échec.
Quesada propose un autre échange avec Stéphane
A sa sortie, le film est complètement passé inaperçu, mais Gaumont l’a récemment réédité en DVD, en 2016, dans une copie de très mauvaise qualité. Mais bon c’est tout ce qu’on a, et puis nous devons bien continuer à explorer le film noir dans sa dimension française.
Stéphane va tuer Domenico
Stéphane a tiré un carré d’as
[1] Le scénario aurait été écrit avec Maurice Frot, un écrivain anarchiste qui avait connu un bon succès critique avec Le Roi des rats, publié chez Gallimard en 1965.
[2] http://alexandreclement.eklablog.com/odds-against-tommorow-le-coup-de-l-escalier-robert-wise-1959-a114844916
[3] http://alexandreclement.eklablog.com/reglement-de-comptes-the-big-heat-frtiz-lang-1953-a119389638
[4] http://alexandreclement.eklablog.com/le-bouclier-du-crime-shield-for-murder-edmond-o-brien-howard-w-koch-19-a131740442
[5] http://alexandreclement.eklablog.com/sur-la-trace-du-crime-rogue-cop-roy-roland-1954-a114844802
Tags : Philipe Fourastié, William P. McGivern, film noir, Bernard Noël, Duda Cavalcanti, Maroc
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