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La dernière rafale, The street with no name, William Keighley, 1948
C’est un film noir emblématique, un classique qui va être marquant de deux points de vue, d’abord, il oriente le film noir vers la forme semi-documentaire qui au premier abord tente de mettre en lumière la puissance de la police ou du FBI. On va donc présenter cette histoire comme étant inspirée de la réalité des dossiers que traite le FBI. Le second point est qu’il s’agit d’une histoire d’infiltré. Cela commence à être à la mode, le film d’Anthony Mann, T-men, développera ce thème. Ce thème de l’infiltré qu’on retrouve tout au long de l’histoire du film noir, jusqu’au film de Scorsese, The departed[1], renvoie à l’ambiguïté native du film noir. En effet l’infiltré finit évidemment par avoir forcément une identité indéterminée, mais il a également le devoir de trahir, de mentir pour devenir un délateur. Pour toutes ces raisons, l’infiltré suscite en général à la fois de la sympathie parce qu’il lui faut tout de même du courage pour risquer ainsi sa vie, mais aussi du dégoût parce qu’il suscite l’amitié et la trahit. Il est possible que cela soit aussi en rapport dans un premier temps avec l’époque, puisqu’à la fin des années quarante, le FBI, avec l’HUAC, va se lancer dans une chasse aux sorcières désignant les « communistes » ou leurs compagnons de route qu’il faut bien dénoncer pour le bien de l’Amérique, comme des criminels dont le but est de ruiner le pays. Cependant le contexte de la fin des années quarante ne suffit pas à expliquer l’importance de ce thème. En effet, l’incursion de Keighley dans le monde des infiltrés n’est pas la première avec The street with no name. En 1935, il avait signé Special agent avec George Brent et Bette Davis, il s’agissait d’un journaliste qui se faisait auxilliaire de police pour infiltré une organisation criminelle spécialisée dans le racket. Nous sommes au début de la carrière de Richard Widmark, alors habitué à des rôles de criminel, cruel et sadique, et les scénaristes, Samuel G. Engel et Harry Kleiner ont déjà à cette époque travaillé dans le registre du film noir, ce qui convient très bien à Keighley.
Le détective Briggs tente de comprendre les liens entre les deux meurtres
Dans la ville de Center City, la bande d’Alec Stiles sème la terreur. Dans un premier temps ils dévalisent une boite de nuit, mais ils tuent une femme qui se trouvait au milieu. Puis ils attaquent une banque et là encore commettent un meurtre. Le FBI se charge de l’affaire. Le détective Briggs fait analyser les balles et découvre qu’elles proviennent de la même arme. Au court de l’enquête ils arrêtent un nommé Danker qui aurait oublié sur place un document qui dévoile son identité. Mais en réalité Danker a un alibi, il n’était pas en ville à ce moment-là. Danker cependant semble savoir qui est derrière tout ça, mais il refuse de parler. Libéré sous caution, on le retrouve peu après assassiné. Briggs décide d’infiltrer le gang et pour cela il va faire appel à Gene Cordell qui pour l’occasion prend l’identité de George Manly. Rapidement il va faire la connaissance d’Alec Stiles, se faire apprécier de lui et devenir un membre de son gang. Mais les preuves manquent pour l’accuser. L’occasion de faire un flagrant délit va cependant se présenter. En effet, Stiles envisage d’attaquer une banque, Gene va prévenir le FBI par l’intermédiaire de Gordon qui le couvre. Mais Stiles a des relations dans la police, un autre infiltré si on veut, et celui-ci va le prévenir qu’il risque de se faire piéger. Stiles annule l’attaque de la banque. Le FBI comprend que leur plan a été déjoué. Stiles va voir le commissaire Demory, son indicateur, qui lui apprend qu’il y a une taupe dans sa bande. Contrarié, Galerene va chercher à récupérer une preuve des crimes de Stiles. Il se rend à son arsenal, tire une balle qu’il récupère. Stiles arrive sur ces entrefaites et comprend ce qui se passe, mais il ne sait pas qui est evnu mettre le nez dans ses affaires. La balle réucpérés par Gene apporte la preuve qu’il faut, à celle-ci vient s’ajouter bientôt la preuve que que Stiles a rencontré Demory. Celui-ci va à l’aide des empreintes de Gene démontrer à Stiles qu’il est un infiltré. Dès lors Stiles va tenter de se débarrasser de Gene en le faisant assassiner par les policiers de Demory, en simulant un faux cambriolage dans une usine. Mais Gordon a suivi le mouvement et va alerter le FBI. Ce sera Stiles qui sera abattu en lieu et place de Gene, et Demory sera arrêté.
Les témoins vont reconnaître Danker lors d’une séance de retapissage
Si ce film est emblématique, c’est parce que sa grammaire cinématographique est en adéquation avec l’histoire et démontre que l’esthétique du film noir transcende le propos. Bien que Keighley soit sous-estimé, il démontre ici qu’il atteint une grande maitrise dans la conduite du récit. La banalité de l’intrigue est en effet masquée par l’ambiguïté du comportement des personnages. Au lieu de regarder cette affaire du point de vue d’une enquête du FBI, ce qui serait sans intérêt, il va s’intéressé aux deux personnages principaux, Gene et Stiles. Il s’efforcer de conserver une sorte de symétrie. Les deux camps possèdent des atouts cachés, des infiltrés, ils utilisent les mêmes armes. Il y a une scène étonnante quand Stiles prépare l’attaque de la banque : les deux bandes travaillent sur plan, puis elles vont chacune à leur arsenal pour s’équiper, puis chacune va recevoir des informations de leur taupe. Dès lors il n’y a plus de différence de comportement, on a beau essayer de se souvenir que le FBI défend le bien et le gang de Stiles le mal, celui qui gagne sera le plus malin, et il ne gagne que pour ça, et non par sa force morale. Shivvy suit Gene quand il prend le ferry, comme Gordon suit Shivvy et Matty quand ils se rendent à l’usine.
Gene va rencontrer Alec Stiles
L’autre point important est l’attirance qu’Alec et Gene éprouvent l’un pour l’autre. On n’ira pas jusqu’à révéler une tendance homosexuelle, encore que l’absence de femme pose problème, mais il y a à tout le moins une admiration réciproque, Stiles est content d’avoir recruté un malin comme Gene, et Gene est fier d’appartenir à la bande de Stiles. Du reste Stiles donne une raclée à sa femme quand il comprend qu’il a été trahi, comme s’il préférait fermer les yeux sur les agissements de Gene qu’il se refuse à soupçonner. Il sera totalement enragé d’ailleurs quand il apprendra que Gene l’a trahi. C’est une sorte d’adultère. S’il ressent cette trahison si fortement c’est parce que Gene était un peu à part par rapport aux autres membres du gang. Tout cela fait que l’enquête proprement dite passe au second plan. Elle existe bien sûr, mais elle survole la réalité de ce monde souterrain qui est représenté par l’affrontement indirect entre Gene et Stiles. On aura beau nous montrer les techniciens du FBI faire un travail admirable pour ajouter des preuves scientifiques, ce n’est pas vraiment cela qui nous intéresse. C’est ce qui est fait dans The FBI story par exemple de Mervyn LeRoy, une daube de première tournée en 1959 avec le mollasson James Stewart.
Shivvy a pris Gene en filature
De ces principes découlent les formes de la mise en scène, donner autant de place à Stiles qu’à Gene est un trait de génie qui permet de dépasser l’inintéressante apologie du FBI. Cette symétrie maintenue tout le long du film va permettre de poser la question de l’identité des deux frères ennemis. Gene est il George Manly ? Et Stiles, ne collabore-t-il pas avec au moins une partie de la police ? L’histoire va donc user des ténèbres. C’est très sombre et Keighley utilise très bien les décors, il masque d’ailleurs le fait que de nombreuses scènes soient tournées en studio en ne présentant pas la ville d’une manière lisse et bien ordonnée, mais en mettant en œuvre la crasse, les papiers sales, un gymnase où on boxe et qui sent la transpiration et la misère. Il ets bien aidé par l’excellente photo de Joseph McDonald quia vait déjà fait The dark corner avec Mark Stevens, et quelques autres films noirs comme Roger Touhy, gangster de Robert Florey. Il photographia d’ailleurs le remake de The street of no name, House of bamboo, réalisé par Samuel Fuller mais dépaysé au Japon. Les décors de l’usine, les entrepôts délabré où se trouve l’arsenal du gang sont magnifiquement filmés dans leur immobilité et leur solitude. L’ensemble est enlevé et le rythme est bon, saisissant parfaitement la densité du scénario. Parmi les scènes mémorables, il y a cette façon de filmer le mouvement dans la salle de boxe, puis de passer à la chorégraphie d’un match de boxe. La réalisation peut être considérée comme un modèle pour le film noir. On appréciera l’opposition entre le gangster vêtu de manière impeccable et le policier accoutré comme un vagabond. Ce qui renforce l’idée générale selon laquelle l’habit ne fait pas le moine. La mobilité de la caméra permet d’accroître la tension, par exemple quand Stiles attend impatiemment l’arrivée de Gene, on sent sa fébrilité comme s’il espérait un miracle de cette arrivée. On sera étonné tout de même de voir Gene et Stiles partager la même chambre, même s’il s’agit de lits jumeaux !
La bande va monter un hold-up
L’interprétation est excellente. Le duo Richard Widmark-Mark Stevens fonctionne très bien. Richard Widmark dans le rôle de Stiles s’il est cruel et un peu extravagant n’atteint pas l’hystérie de Tommy Udo dans Kiss of death d’Henry Hathaway. Mark Stevens dans le rôle du flic infiltré est un peu plus discret mais tout aussi. A côté de ce duo on va reconnaître de très bons seconds rôles. D’abord John McIntire dans le rôle de Gordon qui assure la couverture de Gene d’une manière presque paternelle. Je ne l’ai jamais vu mauvais. Ensuite, il y a l’excellent Joseph Pevney dans le rôle de Matty qui n’aura fait qu’une très courte carrière d’acteur, avant de passer à la réalisation. Puis Ed Begley dans le rôle du chef de la police et Lloyd Noland dans celui du détective Briggs. L’absence de femmes est assez curieux, les truands préférant manifestement dans ce film plutôt jouer aux cartes que se préoccuper du beau sexe. Seule Barbara Lawrence dans le rôle de la femme de Stiles apportera une touche de féminité à l’ensemble. Au départ il était prévu de donner une fiancée à Gene, mais bien que les scènes aient été tournées avec la belle Joan Chandler, elles ne furent pas retenues au montage, sans doute pour resserrer l’aspect dramatique du récit.
Le chef de la police veut faire un flagrant délit
C’est un très bon film noir. Scorsese, grand cinéphile s’il en est, s’en inspirera sans le dire pour au moins deux films, The goodfellas où on verra Robert De Niro faire la morale à un gangster qui a offert un manteau de fourrure volé, comme Richard Widmark le fera avec Joseph Pevney ; et puis bien sûr pour The departed. Ce qui suffit me semble-t-il à en définir l’importance. Le film a une bonne réputation à juste titre, mais rarement on met en avant ses qualités cinématographiques. Par ailleurs il n’existe pas de version Blu ray de ce film qu’il nous faut considérer comme un classique du genre.
Stiles donne une rouste à sa gonzesse car il croit qu’elle a parlé
Stiles a repérer du mouvement autour de son arsenal
Stiles va voir le commissaire Demory
Gene est amené dans une usine pour réaliser un cambriolage
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/les-infiltres-the-departed-martin-scorsese-2006-a165079930
Tags : William Keighley, Mark Stevens, Richard Widmark, Ed Begley, film noir, infiltré
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