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La jeunesse du massacre, I ragazzi del massacro, Fernando di Leo, 1969
Si Fernando Di Leo est assurément un des piliers du poliziottesco, ce n’est pas ce film qui va assurer sa renommée, du moins sur le plan esthétique. Nous sommes en 1969, l’époque est très agitée, surtout en Italie où les luttes sociales souvent violentes ont pris le relais de la France. C’est l’époque du Mai rampant italien. Cette jeunesse qui explose littéralement remet en question toutes les institutions. C’est d’ailleurs à cette époque que le romancier Giorgio Scerbanenco – de son vrai nom Vladimir Scerbanenko – va connaitre un grand succès, en Italie, mais aussi en France où on commence à le traduire. Ses livres sont publiés dans des collections populaire de gialli qui en Italie désigne le roman policier au sens le plus large, et qui ne doit pas être confondu avec le giallo, genre cinématographique qui en procède mais qui ne l’englobe pas tout à fait. Les gialli, les romans, peuvent donner naissance en Italie au cinéma aussi bien à des gialli ou a des poliziotteschi, comme deux branches du film néo-noir. Les romans de Scerbanenco sont caractérisés par une grande violence, mais aussi par un style très sec, chirurgical si on peut dire. Comme si l’auteur prenait sa distance d’avec l’histoire qu’il raconte. I ragazzi di massacro est uin roman qui met en scène le policier Duca Lamberti, personnage récurrent créé par Scerbanenco. Yves Boisset adaptera un autre épisode de cette saga sous le titre Cran d’arrêt[1]. Fernando Di Leo portera plusieurs romans de Scerbanenco à l’écran. Celui-ci est sa première incursion dans cet univers. A cette époque Fernando di Leo n’a pas encore fait grand-chose comme réalisateur. C’est pratiquement son premier film. Mais il était déjà connu comme scénariste, il a fait beaucoup de western spaghetti, notamment Per un pugno di dollari et Per qualche dollaro in piu de Sergio Leone, films pour lesquels il n’était pas toujours crédité au générique. Ces westerns se caractérisaient avant tout par une violence brute très différente des westerns américains. Di Leo s’était également exercé sur le thème du gangstérisme avec Gangsters ’70 de Mino Gerrini, toujours en tant que scénariste. Il a appris le métier de réalisateur aussi en tant qu’assistant réalisateur aux côtés de Sergio Leone et de Duccio Tessari[2]. Il a donc participé à cette renaissance du cinéma de genre qui utilise des images érotiques et beaucoup de violence, comme si les deux étaient une seule et même chose. Ce film a petit budget était produit par la société, Daunia, créée par di Leo pour avoir les mains libres. Il était donc un auteur complet, contrôlant la production de A jusqu’à Z.
Dans une école du soir, censée récupérer des délinquants mineurs pour les remettre dans le droit chemin, une institutrice va être violée puis assassinée. La police va enquêter. Si très vite on sait bien que c’est l’ensemble de la classe qui est coupable, les raisons de cet acte de barbarie ne sont pas très claires. Duca Lamberti va interroger brutalement les élèves, mais personne de veut parler. Dans cette enquête il va être accompagné par l’assistante sociale, Livia Ussaro. Ses interrogatoires l’amènent toutefois à comprendre que ces jeunes étaient aussi dirigés par une personne qui conduisait une Porsche et qui les initiait au trafic de drogue et de cigarettes entre l’Italie et la Suisse. Un des élèves, homosexuel, qui ne pouvait pas avoir participé à ce crime se suicide. Après avoir enquêter auprès des parents des élèves, Lamberti va reprendre les interrogatoires et isoler Carolino Marassi qui lui parait le plus intéressant, mais aussi celui qui serait le plus susceptible de parler. Avec Livi il l’amène chez lui, le lave, le nourrit, le promène dans Milan pour lui montrer le bon côté de la vie. Mais Carolino ne veut toujours rien dire. Un jour, alors que Lamberti lui demande d’aller acheter des cigarettes, Carolino s’enfuit. Il est pris en filature par la police. Mais la personne chez qui il se réfugie, a compris qu’il était suivi. Ils se débrouilles pour s’échapper et rejoindre une maison de campagne. La police investit l’immeuble, mais ne trouve rien. Lamberti trouve alors où est retenu. La personne qui a enlevé Carolino va essayer de le tuer, on suppose pour l’empêcher de parler. Une bataille s’ensuit Carolino est blessé d’un coup de couteau, mais il assome son agresseur et arrive à prendre la fuite et à piloter la Porsche pour retrouver Lamberti. Tandis qu’on soigne Carolino, Lamberti part retrouver le chef de bande sur les indications de Carolino. Il va l’arrêter, et après une bataille furieuse, il tente de l’étrangler, mais la police arrive pour l’en empêcher. Carolino s’en sortira, et Lamberti filera le parfait amour avec Livia.
La police découvre le cadavre de l’institutrice
L’intérêt principal de ce film est sans doute dans ce mouvement de bascule qui nous fait passer d’un traditionnel humaniser qui désigne les adolescents comme des victimes de la société vers ce qui va devenir un des axes centraux du poliziottesco, la responsabilité des individus qui cherchent trop souvent à s’abriter derrière leurs difficultés matérielles initiales pour éviter toute responsabilité. Mais ici on en est à l’ambiguïté non pas du discours de Di Leo, mais des personnages. Bien entendu, tous ces adolescents sont issus de familles et de milieux en difficulté, mais finalement ils sont bien responsables, à l’instar de Carolino qui retourne bêtement vers le chef de gang qui va tenter de le tuer pour l’empêcher de parler. De même c’est sans doute là que le discours du policier au cinéma va changer de ton et se durcir en préférant avoir de l’empathie pour les victimes que pour leurs bourreaux. Certains ont rapproché le comportement de Lamberti de celui d’Harry Callahan dans le film de Don Siegel, Dirty Harry. Ce rapprochement n’est pas très pertinent, d’abord parce que Lamberti ne tue personne, il n’a même jamais de révolver, et s’il bouscule un peu les jeunes voyous, il agit plus par ruse que par l’exercice de la violence. Du reste le film de Don Siegel a été tourné en 1971, soit deux ans après, et probablement que Don Siegel et ses scénaristes, ne connaissaient pas le film de Di Leo. Le message qui est porté ici est représenté par l’alliance de l’assistante sociale et du policier, comme si cela était une nécessité que de ne pas les opposer et de les obliger à s’entendre. Mais il est vrai que ces deux films marquent une rupture avec l’humanisme traditionnel du cinéma.
Duca Lamberti doit faire équipe avec l’assistante sociale
Comment expliquer cette rupture qui se trouve clairement aux origines du poliziottesco ? D’abord d’un point de vue sociologique, c’est la conséquence de la montée en puissance de la classe moyenne qui forcément ne se reconnait pas dans les problèmes des classes inférieures, et don a tendance à les minimiser. Ensuite, la fin des années soixante est marquée par l’émergence d’une violence apparemment incontrôlée et qui déborde les partis et les syndicats et qui ne semble pas avoir de cause. Enfin les démocraties occidentales vieillissent et s’opposent à la jeunesse turbulente. Le phénomène est sans doute plus marqué en Italie où il s’ajoute au délabrement de la situation politique. Les jeunes sont presque tous mauvais, les acteurs choisis ont des têtes de demeurés, des mal finis, ils sont tellement laids qu’on ne peut pas les plaindre. Je me demande si cette tendance n’est pas la même qui va se trouver dans ces films comme The exorcist de William Friedkin et qui présentent l’enfant comme une malédiction.
Duca Lamberti brutalise les jeunes délinquants
Le film aborde aussi d’autres questions. Par exemple on est assez surpris de l’importance qui va être accordée sans le dire à l’homosexualité. Le jeune Grassi se défenestrera quand son homosexualité est révélée et qu’il n’ose pas affronter la meute. Cette pulsion homosexuelle s’étend aussi comme une maladie du côté de Lamberti qui admire la corps nu de Carolino, alors qu’il y a la belle assistante sociale qui manifestement en pince pour lui. Mais il y a aussi le chef du gang dont on ne saura rien, qui est un travesti. Dans ce chaos les repères ont disparu. En adoptant provisoirement Carolino, Livia et Duca tente de reconstruire une famille normale, mais sans grand espoir. C’est un leurre en fait qui sert les intérêts du commissaire qui veut obstinément savoir qui a tué la pauvre institutrice.
Le chef de la police conseille à Duca de ne pas poursuivre son enquête
Sur le plan formel, ce n’est pas terrible, convenons-en. C’est même mauvais. Pour partie parce que les moyens financiers sont très faibles. La première partie est presque du théâtre filmé. Les policiers opposés aux jeunes qu’ils interrogent dans un lieu aussi austère que clos. La seconde partie est plus dynamique, enfin on verra quelques plans de Milan, et un peu de campagne. Le film est extrêmement bavard et répétitif dans sa structure. Di Leo multiplie les très gros plans, champ-contrechamp parce que c’est plus facile et ça économise les déplacements de caméras. Ça manque beaucoup de grâce. Comme en plus s’est doublé, on a parfois l’impression d’une désynchronisation entre les acteurs et leurs dialogues.
Duca a rassemblé les jeunes pour les faire parler
Les acteurs sont tous très mauvais. Pier Paolo Capponi qui reviendra souvent dans la filmographie de Di Leo, incarne Duca Lamberti. Très souvent il est à contretemps, hésitant entre la colère démonstrative et l’abattement. Nieves Navarro, actrice espagnole spécialisée dans les films de rien, entre autre « le film cochon », ici affublée du pseudonyme de Susan Scott, incarne Livia, l’assistante sociale. Elle est assez décorative, mais elle ne serait pas là, le film avancerait sans elle, contrairement au roman qui lui donnait une bien plus grande importance. Di Leo multiplie les plans fixes de son visage, alors même qu’elle ne parle pas du tout et qu’elle ne fait qu’écouter d’une oreille distraite son partenaire masculin. Elle est comme un ectoplasme. Les policiers récitent leur texte bien gentiment, sans trop bouger pour ne pas effrayer sans doute le caméraman ! Je ne dis rien des jeunes délinquants dont la laideur frise le grotesque et devient bien trop caricatural. Ils pleurnichent assez mal, transpirent à grosses gouttes, mais sans doute n’ont-ils pas compris la signification du film auquel ils ont contribué.
A Milan, Carolino semble adopté par Lamberti et Livia
Carolino est victime d’un coup de couteau
La police est parvenue à empêcher Duca de tuer
« Malec l’insaisissable, The goat, Buster Keaton, 1921Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974 »
Tags : Fernando Di Leo, Pier Paolo Capponi, Susan Scott, poliziottesco, film noir, jeunesse
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