• Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

     Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

    C’est un des premiers poliziotteschi importants dans la carrière de Fernando Di Leo, tant sur le plan du sujet que sur celui de la réalisation. Le titre italien est plus explicite que le titre français puisqu’il veut dire le flic est un pourri. Di Leo racontait que les policiers italiens lui en avaient beaucoup voulu d’utiliser un tel titre, il aurait même reçu des menaces. Les policiers étaient dans la tourmente non seulement pour leur incapacité à enrayer la violence ordinaire, la violence de rue, mais aussi le terrorisme d’extrême-droite qui ravageait la péninsule. 1974 sera une année éprouvante pour l’Italie. Pour autant Di Leo raconte une histoire et ne veut pas produire de message politique. Il serait difficile d’ailleurs à la vue de ce film de dire si le réalisateur est de droite ou de gauche. C’est un film sur la corruption, mais cette fois, la corruption du policier n’est pas contrebalancée par un autre flic qui la dénonce, comme souvent dans d’autres poliziotteschi, c’est exactement le contraire. Le scénario rappelle celui de l’excellent Rogue cop de Roy Roland[1]. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974 

    Le sinistre Pascal va punir des trafiquants qui ont essayé de le doubler 

    Pascal est mafieux particulièrement brutal, il vit du racket et punit ceux qui refusent de passer sous ses fourches caudines. Le commissaire Domenico Malacarne lui est un policier efficace. Avec ses adjoints, il va intervenir sur un hold-up sanglant qui a lieu dans une bijouterie du centre de Milan. Cette affaire est un succès et il est félicité par son supérieur, les journalistes s’intéressent à lui comme à un nouvel héros, son père qui travaille chez les carabiniers, est fier de lui. Il vit en concubinage avec Sandra qui tient une galerie de peinture très chic que le commissaire lui a payée. Mais il est également l’indicateur de Pascal a qui il rend des services contre de l’argent. il refuse cependant de travailler pour Pascal dans les affaires de drogue et de trafic d’armes. La situation va changer quand un vieux napolitain porte plainte auprès des carabiniers pour une voiture mal garée qui est immatriculée en Suisse. C’est le propre père de Domenico qui se charge de la plainte, mais comme le vieil Esposito est un peu dérangé, il n’y prête pas attention. Mais l’enregistrement de cette plainte gêne Pascal qui demande à Domenico de la récupérer. Les choses vont dégénérer quand le père de Domenico comprend que son fils est un vendu. Il va cependant accéder à sa demande et lui donner la plainte demandée. Mais la bande de Pascal ne se contente pas de cela, elle va d’abord assassiner le pauvre Esposito et son chat, puis le père de Domenico et enfin sa maitresse Sandra. La coupe est pleine, et le commissaire va passer un marché avec Mazzanti qui en a marre de la brutalité de Pascal qu’il juge contreproductive. Domenico va abattre Pascal, mais son second, Pietro Garrito va le tuer pour le compte de Mazzanti, et on croit comprendre qu’il va prendre la place de son chef auprès du gang. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

    Le commissaire Malacarne fait preuve d’un grand courage pour coincer les auteurs d’un hold-up 

    C’est un film noir, très noir, désespérant pour le spectateur qui n’a aucune figure positive à qui se raccrocher. Le commissaire Malacarne, dont le nom signifie « mauvaise viande » ou « viande avariée », est par son attitude, son discours l’incarnation du pessimisme dans lequel l’Italie toute entière était plongée à cette époque. Le commissaire est l’Italie, pays décadent et corrompu. Il est en même temps la démission de l’Etat et ce ne sont pas les palinodies de la questure qui peuvent masquer ce délabrement. Malacarne incarne l’ambiguïté qui le fait être dur avec les malfrats de seconde catégorie et mou avec les grands mafieux. Certes il a des velléités de rébellion, mais celles-ci sont rapidement étouffées parce qu’il préfère une vie confortable qui lui permette de dépenser l’argent sale qu’on lui a redonner. En vérité il souffre d’être au bas de l’échelle. Pascal lui fera remarquer qu’il peut lui donner tout l’argent qu’il demande, sous-entendant par là que ce ne sont que des miettes d’un trafic généralisé et plus important. Malacarne est donc un menteur, non seulement il ment à la société qui le paye pour la protéger contre les criminels, mais il ment à son père qui est fier de lui, et il se ment à lui-même. C’est sans doute ce qui ressort de la dispute qu’il a avec son père quand il reproche à celui-ci de n’avoir pas profité du système mieux que ça, se contentant d’un avancement de gagne-petit au service des carabiniers. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

    Le chef de la police de Milan donne une conférence de presse pour magnifier ses résultats 

    Les rapports avec son père sont tellement tendus et faux, qu’on peut se demander si le film ne va pas tourner à la critique de la famille italienne, ou du moins à celle de son délabrement. Ici le film hésite, comme Domenico qui se rend compte que de s’emporter contre son père ne l’aidera en rien. Mais on peut aussi voir dans cette façon de brûler ses vaisseaux une forme de suicide. Les mafieux ont pris le pouvoir. Eux ont au moins la cohérence de leur projet et poursuivent leur but sans dévier de leur ligne de conduite. ce sont des hommes cruels décrits comme si seule la soif de pouvoir comptait. Ils sont d’ailleurs également travaillés par des divisions, Mazzanti et Pascal défendent deux lignes opposées, l’un est calme et précis, n’use de la violence qu’en dernier recours, et l’autre ne vit que comme s’il ne pouvait pas continuer ses affaires sans recours à la force. C’est une opposition entre la vieille mafia et la nouvelle. Ce sera curieusement le plus vieux qui représentera le renouveau. Notez qu’à cette époque on est en pleine guerre de mafias en Sicile entre les Corléonais, emmenés par le brutal Toto Riina et les Palermitains. Mais dans ce dernier cas ce seront les premiers qui l’emporteront.  

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

    Malacarne ne veut pas que Pascal et Mazzanti lui dictent leur loi 

    Bien qu’il ne s’attarde pas sur les mafieux, c’est aussi un film de mafia, branche prolifique et fondatrice du poliziottesco. La mafia est le décor dans lequel se débat Domenico. Elle n’est pas le sujet en lui-même. Pour cela Roberto Curti parle, à propos de ce film, de la fin des films de mafia[2]. L’opposition entre le Sud violent et mafieux et le Nord cultivé, riche et industrieux est balayée d’ailleurs par le personnage d’Esposito le vieux Napolitain égaré dans une société qu’il ne comprend pas. Il est certainement un peu dérangé, mais c’est un homme doux qui ne s’occupe que de son chat et qui ne ferait pas de mal à une mouche. Il sera d’ailleurs une victime du désordre milanais. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974 

    Le commissaire va voir Esposito 

    La réalisation est excellente, avec des scènes spectaculaires, notamment au début avec le règlement de comptes menée par Pascal et l’attaque de la bijouterie qui tourne au massacre des truands par Malacarne et son équipe. C’est très violent, et des scènes violentes, avec des poursuites automobiles longues et haletantes, il va y en avoir tout le long. Mais il y a aussi de la subtilité dans la conduite du récit. En effet au début on pense à un poliziottesco ordinaire, avec un flic courageux qui chasse le criminel envers et contre tout, puis on croit qu’il s’agit d’une sorte d’infiltré qui va user de son talent en faisant semblant d’être corrompu pour mieux piéger les truands, et puis enfin on se rend compte qu’il s’agit bien d’un pourri. Cette gradation est intéressante. Et puis la deuxième partie sera consacrée à la chute de Domenico, plus il cherche à se sortir de ce piège, et plus il s’enfonce. Les décors milanais sont bien utilisés, le montage est très serré et le rythme soutenu. Les cascades automobiles sont réglées par Rémy Julienne qui à cette époque ne faisait plus que ça en Italie ! La photo donne une allure quasi-documentaire à l’ensemble. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

    La dispute entre le père et le fils est sanglante 

    Luc Merenda tourne ici pour la première fois dans un film de Fernando Di Leo, il va récidiver. Ici il est Domenico, un flic à qui on donnerait le bon Dieu sans confession à cause de son allure de jeune premier lisse et propre. Il est plus crédible dans les scènes d’action d’ailleurs que dans les oppositions à son père ou à sa maitresse. Derrière il y a le toujours excellent Raymond Pellegrin dans le rôle du cruel Pascal. Cette fois il est affublé d’un nœud papillon, mais il trimballe toujours la même détermination. Ricard Conte est Mazzanti. A cette époque il était déjà très malade et ça se voit. Il est un peu absent tout de même. Et puis il y a le très bon Vittorio Caprioli qui fait son numéro dans le rôle d’Esposito le vieux Napolitain un peu bizarre. Il est très bon, né lui-même à Naples, il joue de l’accent napolitain en expert avec une verve bienvenue. Les femmes sont un peu sacrifiées, Delia Boccardo qui incarne Sandra, la maîtresse de Domenico, est assez transparente. Et on comprend assez peu le rôle que tient Monica Monet en incarnant une journaliste qui semble amoureuse de Domenico. Mais elle ne fait que passer. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974

    Pascal exige le dépôt de plainte d’Esposito 

    Il y a encore des scènes avec un homosexuel, un travesti cruel, qui semblent être la démonstration pour Fernando Di Leo de la décadence de l’Italie. La musique est assez stridente, mais dans l’ensemble c’est un très bon poliziottesco, très enlevé qui a bien passé les années. On est dans le meilleur de ce que fera le réalisateur dans le genre. Le film fut un très bon succès public, ce qui encouragera Galliano Juso le producteur à continuer avec Di Leo. 

    Salut les pourris, Il polizioto e’marcio, Fernando Di Leo, 1974 

    Malacarne a tué Pascal 



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/sur-la-trace-du-crime-rogue-cop-roy-roland-1954-a114844802

    [2] Roberto Curti, Italia odia. Il cinema poliziesco italiano, Lindau, 2006.

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