• La maison de bambou, House of bamboo, Samuel Fuller, 1955

    La maison de bambou, House of bamboo, Samuel Fuller, 1955 

    C’est certainement un des meilleurs films de Samuel Fuller, en tous les cas une réalisation parfaitement maîtrisé. Mais ce film tient aussi une place à part dans le développement des thématiques du film noir. Nous sommes en effet à la fin du cycle du « film noir classique ». En transformant l’esthétique du film noir, Fuller ouvre une nouvelle voie, celle du néo-noir. Trois éléments nouveaux vont réorienter le noir : l’exotisme de la situation, le Japon est filmé d’une manière qui se veut très réaliste, ensuite l’usage des extérieurs par contraste avec la claustrophobie des films enfermés dans la nuit de la ville tentaculaire, et enfin l’usage du cinémascope et de la couleur. Ce déplacement des fondamentaux esthétique du film noir classique est décisive, alors que la thématique elle-même est déjà ancienne 

    La maison de bambou, House of bamboo, Samuel Fuller, 1955 

    Eddie Spanier s’essaye au racket des maisons de jeu 

    Un ancien GI a été abattu lors d’une attaque à main armée. La police nippone et la police militaire américaine apprennent rapidement que celui-ci s’était marié avec la belle Mariko. Ce mariage pour des raisons de convenance avait été gardé secret. Comme les policiers soupçonnent le gang de ne pas en être à son premier méfait, ils vont introduire en son sein un soldat américain qui se fait passé pour un ami de l’homme abattu, Eddie Spanier. Il prétend sortir de prison. Arrivé au Japon, il se met en relation avec Mariko qui est très effrayée, il va racketter des maisons de jeu. Ce qui va l’amener à tomber sur la bande de Sandy Dawson. Ce sont tous d’anciens militaires. Dawson va cependant apprécier Spanier et lui proposer de l’intégrer dans sa bande de malfaiteurs. Bientôt Eddie qui fait semblant d’être en ménage avec Mariko va participer à des hold-up. Mais au sein de la bande les relations évoluent, et Dawson se prend d’amitié pour Spanier, au détriment de son second, Griff, qui va prendre très mal son déclassement. Entre temps Spanier avoue à Mariko qu’il travaille pour la police et il la charge d’être sa messagère. En effet la bande projette d’attaquer maintenant un fourgon blindé qui transporte beaucoup d’argent en plein Tokyo. Cependant, la police qui se trouve sur les lieux est repérée, Dawson annule le coup. Croyant que Griff l’a trahi par dépit, il le tue. Mais bientôt il apprend la vérité et monte un piège compliqué dont le but est de faire tuer Spanier par la police japonaise. Le piège échoue et Spanier va régler son compte à Dawson sur une roue géante. 

    La maison de bambou, House of bamboo, Samuel Fuller, 1955 

    Dawson donne une leçon à Spanier 

    C’est un scénario assez complexe parce que par-dessus la trame policière viennent se greffer des éléments moins habituels : les relations de Dawson avec Spanier sont très troubles, et jusqu’au bout celui-ci en amoureux déçu ne voudra pas croire qu’il a été trahi. D’ailleurs Dawson n’a pas de relation féminine, il invite lui-même Spanier sous son propre toit, manière pour lui de se l’approprier. La jalousie de Griff est également du même ordre : dans cette bande virile règne une atmosphère d’homosexualité latente. L’autre point est que dans la relation Dawson-Spanier, c’est le policier américain qui a le mauvais rôle. Certes, Dawson est un gangster cruel, mais il a un certain sens de l’honneur et c’est Spanier qui apparait comme étant sans morale. Non seulement il ment sur tout, dissimulant sa vraie identité et son véritable nom, mais il le dénonce, refusant d’un même mouvement les marques d’amitié de son chef. L’autre axe du scénario est la relation compliquée entre les Etats-Unis et le Japon. Le film est tourné en 1955, à cette époque le souvenir d’Hiroshima est encore très présent. Fuller met en scène un policier américain qui en quelque sorte va réparer cet outrage en tombant amoureux d’une belle et douce japonaise. Spanier est opposé à Dawson qui pille le Japon. Il y a là aussi un message anti-raciste qu’on retrouvera plus tard chez Fuller dans The Crimsom kimono, mais qui s’appuie aussi sur la fascination pour une culture très différente de l’américanisation rampante. Fuller multipliera les plans qui affirment cette différence, insistant sur l’habillement, l’alimentation, le mobilier. Evidemment soixante-ans après le Japon a été rattrapé par cette américanisation, même si ce pays conserve des formes de vie sociale et économique qui restent encore différentes. On a accusé à la sortie de ce film Fuller de traiter le Japon d’une manière arrogante, seulement à travers une forme d’exotisme mal venu. C’est assez difficile à dire d’autant que le réalisateur multiplie les attentions pour flatter l’amour propre des Japonais. En tous les cas il y a une vraie admiration qui est mise en scène ici. Quand à la fin Spanier redevient militaire et amène avec lui Mariko, on comprend que le Japon a pardonné ses crimes à l’Amérique. Samuel Fuller voyait son film comme une étape dans la réconciliation entre les deux pays. Dans ses mémoires, il décrit d’ailleurs l’hostilité des Japonais à l’endroit de l’Amérique[1]. On peut rapprocher cette thématique des relations entre le vainqueur et le vaincu, de Verbotten qu’il tournera quelques années après et qui met en scène les difficiles rapports entre l’armée d’occupation américaine et les Allemands vaincus qui les haïssent et les tiennent pour responsables de leur misère, avec la même histoire d'amour à la clé.

    La maison de bambou, House of bamboo, Samuel Fuller, 1955  

    Eddie participe à son premier hold-up avec Dawson 

    A travers le film et son scénario, on retrouve des traces d’une grande partie de l’histoire du film noir. Le scénario est assez proche de celui de White heat de Raoul Walsh qui date de 1949 pour le policier infiltré, voir même la jalousie et l’homosexualité – le personnage de James Cagney non seulement était très proche de sa mère, mais ressentait de l’amour pour le flic qui était en train de le piéger. Mais Fuller recycle aussi des éléments cinématographiques empruntés à The third man, par exemple cette grande roue sur laquelle va se dérouler le règlement de comptes final. Ou encore les schémas que tracent sur des tableaux les flics pour essayer de trouver une logique à l’action du gang et les mêmes schémas qui servent à la bande pour mettre en place les hold-up, ce sont des scènes qu’on a vues chez Siodmak ou chez Hathaway. Ce recyclage ne nuit pas au film, bien au contraire, il lui donne sa patine et lui permet d’atteindre un certain classicisme. 

    La maison de bambou, House of bamboo, Samuel Fuller, 1955 

    L’inspecteur Kito cherche à rencontrer Eddie dans un lieu discret 

    La réussite du film doit énormément à cette capacité à saisir l’espace japonais si spécifique. La belle photo de Joseph MacDonald qui avait déjà travaillé avec Fuller, mais qui travailla aussi avec Kazan, Ray, Dmytryk ou Huston, met en valeur un choix judicieux des décors. Trois éléments sont pris en compte, l’opposition entre un Japon pauvre et quasi rural et la modernité de Tokyo et de sa police, la multitude vue à travers les gosses qui semblent avoir pour mission de rénover le Japon en profondeur, et enfin l’architecture traditionnelle. L’écran large – c’est du Cinémascope – et la couleur qui met en valeur les rouges et les verts, donnent du caractère à l’ensemble. Les mouvements de grue sont toujours très justes et accentue la profondeur de champ. Au passage je ferais remarquer que l’attaque du train de munitions qui ouvre le film, est sans doute le modèle qui a inspiré Peckinpah pour The wild bunch. Il y a comme souvent chez Fuller une science du mouvement, elle est remarquable dans le développement du second hold-up qui se réalise avec des hommes venus par bateau, on admirera la rapidité de l’exécution et ses hommes qui courent pour s’échapper avec leur butin.

    La maison de bambou, House of bamboo, Samuel Fuller, 1955  

    Charlie croie que Mariko trompe Eddie 

    L’interprétation est très juste, dominée par Robert Stack et Robert Ryan. Le premier n’a pas eu souvent de rôles intéressants, à part chez Douglas Sirk, mais ici il montre qu’il est un très bon acteur, capable de durcir son jeu dans le rôle de Spanier. Fuller raconte qu’au départ ce devait être Gary Cooper qui soit Spanier, mais qu’il le trouvait trop star internationale.  Robert Ryan qui est sans doute l’acteur qui a le plus tourné de films noirs est ici très à son aise en chef de bande à la fois cruel et attentionné pour sa troupe. Son autorité naturelle en impose dans le rôle de Dawson, élégant et autoritaire. Shirley Yamagushi incarne Mariko. C’est une actrice peu connue en Occident, mais elle était une grande vedette au Japon mais aussi en Chine. Elle est bien, mais très discrète. On la connait en France surtout pour avoir tourné avec Kurosawa dans Scandale. Du côté américain, on retrouve Cameron Mitchell dans le rôle un brin nerveux de Griff, le compagnon délaissé de Dawson. Il est un peu grimaçant, mais c’est toujours sa manière de jouer. Et puis il y a Brad Dexter dans le rôle du capitaine Hanson. Sessue Hayakawa est l’inspecteur Hito. C’est un vieux de la vieille qui a même joué pour Marcel L’Herbier avant la guerre. On le retrouvera dans Le pont de la rivière Kwai et même avec Jerry Lewis dans Le kid en kimono, un autre hommage rendu par l’Amérique au Japon. 

    La maison de bambou, House of bamboo, Samuel Fuller, 1955 

    Dawson liquide Griff qu’il soupçonne de trahison 

    De très nombreuses séquences marquent le film et seront retenues par la suite comme exemplaires par d’autres réalisateurs. L’attaque du train sur le pont, comme je l’ai déjà signalé, mais aussi l’assassinat de Griff dans son bain qui inspirera Sergio Leone pour Le bon, la brute et le truand. Ce sont des scènes de western. La course des gangsters à l’intérieur de l’usine est filmée avec une géométrie étonnante qui donne de la vitesse à l’action. Fuller a été un des premiers réalisateurs à donner de la vérité aux scènes d’action. Mais les relations plus intimes entre Eddie et Mariko, saisies dans la simplification d’un décor apaisant et austère, sont tout autant décisives tant elles mettent l’accent sur la pudeur des deux futurs amants. Ce qui ne gâte rien, c’est aussi l’excellente musique. 

    La maison de bambou, House of bamboo, Samuel Fuller, 1955 

    Dawson monte une attaque éclair chez un marchand de perles 

    Le film a été très bien reçu par le public comme par la critique, même si quelques voix se sont élevées pour réfuter l’exotisme compatissant. Mais au fil du temps il nous apparait comme un acte fondateur pour le néo-noir. En tous les cas, au-delà d’être une étape clé dans le cinéma, c’est la démonstration du grand talent de Fuller, cinéaste majeur. 

    La maison de bambou, House of bamboo, Samuel Fuller, 1955 

    C’est sur la grande roue que les comptes se règlent

     

     


    [1] Un troisième visage, Allia, 2011.

    « De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967Le kimono pourpre, The crimson kimono, Samuel Fuller, 1959 »
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