• De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967

    De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967

    Le film de Richard Brooks s’inscrit dans une longue lignée de réalisations qui partent d’un fait divers réel, un peu scabreux, mais commis par des gens finalement insignifiants. L’idée est de décomposer le crime comme à la fois un produit de la société dans ses évolutions malsaines, mais aussi d‘explorer la face obscure de l’humanité. Le film est tiré du roman de Truman Capote. Encore qu’on ne sait pas très bien si le mot de roman convient à cet ouvrage. En effet, Capote a enquêté pendant plusieurs années sur les crimes et les criminels qui les ont commis en 1959, allant jusqu’à les rencontrer, et même à les accompagner lors de leur exécution. Cet ouvrage, publié en 1965, rencontra un immense succès non seulement aux Etats-Unis, mais aussi dans le monde entier et amena la gloire et la fortune à Truman Capote. On a beaucoup loué le style de l’ouvrage, la minutie dans la description de la psychologie des criminels, mais en réalité une partie du succès de cet ouvrage repose sur l’opposition entre Truman Capote, intellectuel newyorkais – bien qu’il soit né à la Nouvelle Orléans – et l’Amérique profonde et peu moderne du Kansas.  

    De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967

    Dick Hickock et Perry Smith sont deux petits délinquants, plutôt paumés. Le second vient juste de sortir de prison, il doit rejoindre le premier pour un coup qui est sensé être aussi simple que rémunérateur et qui lmeur permettra de partir pour le Mexique. En vérité ce coup leur a été donné par un autre prisonnier. Il s’agit de s’introduire chez un homme riche qui devrait avoir de l’argent dans un coffre fort. Mais en fait cette information est mauvaise : Clutter ne conserve pas de liquide chez lui. Ils vont avoir fait 650 kilomètres pour se rendre compte de leur naïveté. De dépit, Perry et Dick vont assassiner toute la famille, soit quatre personnes, puis ils vont fuir les lieux du crime et s’en aller commettre d’autres petits larcins ailleurs. La police pendant ce temps-là s’active, elle relève les empreintes de pied des deux criminels, puis elle promet une récompense de 1000 $ pour des renseignements sur le crime. C’est l’ancien compagnon de cellule de Dick qui va les vendre pour empocher la prime. Mais Dick et Perry qui se baladent un peu partout, de Kansas city à Las Vegas en passant par le Mexique ne sont pas faciles à repérer. Ils vont l’être pourtant, aussi bien à cause des chèques sans provision qu’ils ont tirés sur le véritable compte de Dick, que parce qu’ils ont volé une voiture qui va être rapidement repérée. Ils vont être arrêter et tout le travail des policiers va consister ensuite à leur faire avour leurs crimes et leur motivation. Jugés une première fois et condamné à mort, ils seront rejugés en appel et leur peine sera confirmée, ils seront pendus. 

    De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967 

    Dick Hickock est venu chercher Perry Smith qui sort de prison 

    C’est sans doute un des meilleurs films de Richard Brooks qui compte quelques chefs d’œuvre à son actif dans un peu tous les genres, et donc aussi dans le film noir, même si la fin de sa carrière a été un peu pénible. Parmi ceux-ci on mettra un peu à part Elmer Gantry qui fut un de ses hrands succès. Ancien journaliste, il fut aussi, avant de passer à la réalisation, scénariste. Il avait travaillé sur le scénario de Cobra woman et The killers de Richard Siodmak, mais aussi sur Brute Force de Jules Dassin ou encore Key Largo de John Huston et Mistery street de John Sturges. Cinéaste indépendant, il fut aussi son propre producteur. C’était un cinéaste très engagé, mettant l’accent sur l’indépendance de la presse ou le problème racial qui rongeait et qui ronge toujours l’Amérique. C’est ce que nous voyons ici encore. En effet, In cold blood ce n’est pas seulement une réflexion sur le crime et ses raisons, c’est également un plaidoyer contre la peine de mort. Le film ayant été tourné en 1967, on voit que les Etats-Unis n’ont pas évolué d’un pouce sur la question. Mais Brooks ne cherche pas pour autant des excuses au comportement des deux protagonistes de cette sordide affaire. Il se place à un autre niveau, il décortique toutes les raisons qui ont fait de ces deux paumés des criminels. Il y a d’abord le fait que ces deux jeunes délinquants qui ont passé pas mal de temps en prison n’ont pas les moyens de se réinsérer. Ils viennent tous les deux d’un milieu très pauvre, en voie de destruction, rejeté à la marge d’une société qui avance. Or la société de consommation les pousse naturellement vers les moyens les plus immédiats de se procurer de l’argent. Ils sont également en rupture de famille, soit parce qu’ils ont été maltraités dans leur enfance, soit parce que la famille qu’ils avaient créée s’est dissoute, c’est le cas de Hickock dont la femme est partie en embarquant ses enfants. L’intimité des relations entre Dick et Perry fait inévitablement penser à une relation homosexuelle contrarié, ce qui est souligné par l’absence d’attirance de Perry pour les filles. Mais c’est plus suggéré qu’affirmé. Cette relation entre le crime et l’homosexualité était déjà développée et analysée dans Rope d’Hitchcock qui pour une fois avait fait preuve d’un peu d’audace. 

    De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967 

    Perry choisit de la corde en nylon 

    S’ils sont dangereux c’est aussi parce qu’ils se croient intelligents. Hickock qui est le meneur du jeu pense qu’en assassinant toute la famille il n’y aura pas de témoin pour les reconnaitre et que cela sera d’autant plus difficile pour la police de les retrouver, qu’ils viennent de très loin pour commettre ce crime. Ils se trompent, non seulement ils vont se faire vendre, mais en outre, ils se dénonceront très facilement l’un l’autre alors qu’ils s’étaient promis de ne pas parler. Bref si le crime qu’ils ont commis les dépasse et paraît monstrueux, ils restent des criminels sans envergure. Richard Brooks a tenté d’éviter tout manichéisme, ne trouvant pas d’excuse véritable à leur comportement, mais le journaliste Jensen ou même l’inspecteur Dewey sont les porte-parole d’une sombre méditation sur le crime et ses raisons. 

    De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967 

    L’inspecteur Alvin Dewey reçoit une information capitale 

    La réalisation, portée par la superbe photo de Conrad Hall qui avait photographié Cool hand Luke, mais aussi Fat city ou The professionals du même Richard Brooks, est impeccable. Tourné en noir et blanc, mais en Panavision, le film est très moderne tout en restant une sorte d’hommage au film noir. Les belles séquences sont très nombreuses. Comme celles qui saisissent Dick dans son univers campagnard et décomposé. C’est l’hiver et la nature est devenue très hostile, accroissant la pression sur les plus démunis. Il a aussi le parcours de Dick et Perry au milieu de la ville en quête de quelque argent, la mise en perspective d’une urbanisation clinquante, déshumanisée et consumériste est saisissante. Mais beaucoup de scènes sont très émouvantes, une des plus belles est sans doute celle ou on voit le père de Perry tenter de se souvenir de son fils et de l’intensité des relations qu’il a pu connaitre avec lui. La sécheresse des exécutions, le caractère massif et impavide du bourreau donne également beaucoup de vérité. On peut retenir aussi l’accompagnement des deux criminels par un jeune garçon qui accompagne son grand-père en Californie. La mobilité de la caméra, la profondeur de champ, tout cela donne au film un réalisme sincère mais aussi rapproche les deux criminels du spectateur. 

    De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967 

    Dick et Perry écument la ville à coups de chèques sans provision

    La direction d’acteurs, ou l’interprétation, est à la hauteur de l’enjeu. Le film étant construit autour de l’errance des assassins, ce sont Robert Blake et Scott Wilson qui dominent. A cette époque-là ils n’étaient pas du tout connus, ce qui accentuait l’aspect anonyme et ordinaire des assassins. Ils ressemblaient assez bien aux véritables protagonistes de cette affaire. Ce film les a tellement marqués que par la suite ils allaient tous les deux retrouver des rôles de psychopathes ou de délinquants. Ils sont tous les deux excellents. Robert Blake qui interprète Perry Smith est plus taciturne et parait aussi plus dangereux malgré sa petite taille. Notez qu’au début des années 2000 Blake sera inculpé du meurtre de son épouse, il sera acquitté au pénal mais condamné au civil à verser 15 millions de dollars aux enfants de sa femme. Son crime était tout à fait digne de Perry Smith ! C’était en 1967 un vieux routier du cinéma, ayant commencé à tourner en 1939 à l’âge de cinq ans. Dans In cold blood, il est fait référence au chef d’œuvre de John Huston, The Treasure of the Sierra Madre, mais en vérité Robert Blake tournait déjà dans ce film qui date de 1948. Scott Wilson était seulement un acteur débutant. Ici il joue de la mobilité inquiétante de son visage pour faire passer les différents sentiments qui le traversent en permanence. Nul ne peut douter qu’il aime passionnément son compagnon d’infortune, mais nul ne peut douter aussi qu’il est prêt à le vendre et à le laisser tomber à la première occasion. Alvin Dewey, l’agent du FBI, est interprété par l’impavide John Forsythe, sans problème, incarnant juste la routine et l’obstination de la machine administrative. Mais sans doute ce qu’il y a de plus intéressant pour les amateurs de films noirs, c’est la façon dont Richard Brooks a réutilisé des anciens piliers de ce genre. D’abord l’excellent Paul Stewart dans le rôle du journaliste Jensen, il est un peu le porte-parole du réalisateur, la conscience morale discrète du film. Ensuite on retrouve Charles McGraw dans le rôle du père de Perry. Acteur de série B, on l’a vu dans un nombre invraisemblable de films noirs, le plus souvent dans des seconds rôles, il était déjà là sur le tournage de The killers, interprétant un des deux tueurs qui viennent abattre le Suédois. McGraw est ici sans doute dans son rôle le plus émouvant de sa carrière, même si son apparition est brève. Mais le père de Dick est également joué par une des grandes figures du film noir, Jeff Corey, lui aussi jouait dans The killers de Siodmak. L’utilisation de ces deux acteurs est plus qu’un hommage au film noir, c’est remonter aux origines d’un genre, à sa pérennité et sa permanence.   

    De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967

    Dick veut que Clutter lui dise qu’il a un coffre avec beaucoup d’argent 

    Le film n’a pas vieilli, il reste un modèle du genre. La précision de la mise en scène lui permet d’atteindre l’universalité. Il a été très bien accueilli par la critique et le public a suivi. Au fil du temps il est devenu une sorte de classique, souvent retenu dans les listes des meilleurs films noirs. La musique de Quincy Jones souligne de belle façon les intentions du réalisateur. Il y a eu un remake en 1996 de ce film sous la forme d’une minisérie télévisée, sans doute parce que Jonathan Kaplan qui l’a réalisée voulait utiliser tout le matériel énorme écrit par Capote et dans lequel Brooks avait beaucoup élagué. Je ne l’ai pas vu, mais je ne suis pas sûr qu’elle apporte quelque chose 

    De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967 

    Jensen est troublé par cet homme qui va mourir 

    De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967 

    Perry pense à ses parents 

    De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967 

    Les vrais Dick Hickock et Perry Smith 

    De sang froid, In cold blood, Richard Brooks, 1967 

    Richard Brooks, Scott Wilson et Robert Blake sur le tournage de In cold blood

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