• Le criminel mystérieux, Guilty bystander, Joseph Lerner, 1950

     Le criminel mystérieux, Guilty bistander, Joseph Lerner, 1950

    Il y a de très nombreuses raisons de voir ce film. D’abord parce que c’est une adaptation d’un ouvrage signé Wade Miller. Celui-ci pourtant n‘existait pas, c’était un des pseudonymes de Robert Wade et de Bill Miller. Sous le nom de Whit Masterson, ils signèrent une vingtaine de romans dont au moins deux ont été portés à l’écran, A cry in the night, par Frank Tuttle[1], et Touch of evil, par Orson Welles[2]. Sous le nom de Wade Miller, ils créèrent le personnage de Max Thursday qui sera l’objet d’une longue suite. Guilty bystander est le premier épisode de cette série. Dans l’ouvrage Max Thursday est un détective totalement perturbé par la guerre à laquelle il a participé, et sa femme le quittera. Alcoolique, il devra retrouver le fils qu’il a eu avec sa femme. Dans le film c’est moins clair, C’est Max qui quitte la police et sa femme pour se faire détective dans un hôtel miteux. Mais la logique est la même. C’est un antihéros et le titre en anglais signifie qu’il est une sorte de spectateur coupable de ce qui se passe. Cette série aura six épisodes tous publiés en français, les deux premiers chez Morgan, maison aujourd’hui disparue, et les quatre autres à la Série noire. Ce sont des ouvrages très brutaux qui mettent en scènes des policiers ambigus à plus d’un titre, le plus souvent paumés, alcooliques ou corrompus. Ils sont à l’essence du roman noir, ce n’est pas du Jim Thompson, mais presque. C’est du hard boiled, et parfois cela fait penser même à du Dashiell Hammett. 

    Le criminel mystérieux, Guilty bistander, Joseph Lerner, 1950  

    Ensuite c’est un film de Joseph Lerner. Vous ne trouverez rien sur ce réalisateur. Il a très peu tourné, deux films noirs, une comédie et deux films sur D’Artagnan ! Auxquels on peut ajouter un biopic du champion de boxe Joe Louis. Ses deux films noirs, dont C-Man le classe en fait comme un disciple d’Anthony Mann. C-Man est totalement démarqué de T-Men dans le sujet, mais encore dans la manière de faire. Martin Scorsese, cinéphile avisé, avait salué l’intérêt qu’on pouvait trouver à C-Man, film difficile à trouver sur le marché, mais disponible sur You tube dans une version évidemment pas très jolie. Les deux films noirs de Lerner sont très brutaux, du moins pour l’époque, et comme on va le voir, ils sont très travaillés au niveau de la lumière. Comme on ne sait rien des raisons qui ont poussé Lerner en dehors du circuit de la réalisation, il est devenu une sorte de légende. Enfin la troisième raison de voir ce film est Zachary Scott. Acteur le plus souvent insipide au physique difficile, il est ici plutôt étonnant, vrai paumé et vrai méchant. 

    Le criminel mystérieux, Guilty bistander, Joseph Lerner, 1950

    Georgia arrive à l’hôtel 

    Georgia se rend à Brooklyn pour retrouver son mari qui l’a quitté. Il loge dans un hôtel miteux où il cuve son whisky. Elle le réveille pour lui apprendre que leur fils âge de trois ans a été enlevé. Elle suppose qu’un certain docteur Elder sait quelque chose sur cet enlèvement. Max Thursday tente de sortir tant bien que mal de son ivrognerie pour faire quelque chose. Il demande cinq dollars à Smitty sa vieille logeuse qui les lui prête volontiers, c’est elle qui l’emploie comme détective dans son hôtel. Il se retrouve chez le docteur Elder qui est aussi voisin de Gloria, mais celui-ci l’accueille avec un révolver et le met à la porte. Mais il a beaucoup bu, et après s’être fait assommer, il se retrouve au poste de police où il est connu en tant qu’ex policier. Incapable de se souvenir de quoi que ce soit, il est interrogé par le capitaine Tonetti qui lui annonce qu’Elder a été assassiné. Finalement ayant un alibi grâce à Gloria, Max est relâché, il apprend alors en fouillant le bureau d’Elder qu’un certain Varkas, trafiquant de tout et de n’importe quoi, sait certainement quelque chose à propos de Fred qui a disparu et qui aurait enlevé l’enfant. Max va donc voir Varkas sur les quais. Celui-ci est protégé par toute une bande de voyous. Max n’apprend pas grand-chose de lui, si ce n’est qu’il cherche des diamants, et qu’il a peur d’un nommé Saint-Paul. En sortantd e chez Varkas, il rencontre Angel. La jeune femme semble savoir des choses, notamment où se trouve Fred. Elle semble elle aussi avoir une partie des diamants. Angel veut bien amener Max jusqu’à Fred, mais ils sont suivis par les hommes de Varkas qui frappent Max et enlèvent Fred. Max retourne chez Varkas, mais il ne trouve que des cadavres, y compris celui de Varkas. Depuis la fenêtre il aperçoit deux personnes qui ont récupéré Fred. Il les poursuit. L’un arrive à s’enfuir en voiture, mais le second est à pied et Max le pourchasse dans le métro. Blessé à un bras, il n’arrive pas à le maitriser, mais il trouve un paquet de cigarettes endommagés comme ceux qui sortent de la machine de chez Smitty. Il pense alors retrouver son gosse chez Smitty, mais il n’y est pas. Il ne trouve que Fred qui lui dit qu’il a caché le gosse pour qu’on ne lui fasse pas de mal. En même temps il le prévient qu’Oliveira s’est caché derrière la porte et veut le tuer. Max réagit et tue Oliveira. Il comprend alors que Saint-Paul est tout simplement Smitty et qu’elle a fait enlever son gosse pour qu’il parte à sa recherche et qu’il la mette sur la piste des diamants. Max la balance aux flics et va retrouver finalement Gloria et son enfant. 

    Le criminel mystérieux, Guilty bistander, Joseph Lerner, 1950

    Gloria demande à Smitty le numéro de la chambre de Max 

    L‘intrigue est relativement simple, mais efficace, il y a assez d’incertitude pour qu’on se demande pourquoi ce gosse a été enlevé. Mais elle est relevée par le comportement des personnages. Max est un raté, si dans le roman c’est la guerre qui lui a massacré le cerveau et conduit à la boisson, ici c’est une bavure policière qui l’a mis KO. Ayant démissionné de la police, il s’est séparé aussi de sa femme et de son fils pour aller se terrer dans un hôtel minable de Brooklyn. Il est devenu une sorte d’épave et c’est pourquoi Smitty croit qu’il sera facile à manipuler. Mais elle se trompe parce que cet alcoolique de Max va ne réalité retrouver sa dignité. Ce n’est pas une affaire de rédemption, principe auquel il ne semble pas vraiment croire, qu’une affaire de dignité. Est-il encore un homme ? Il en doute, il a les mains qui tremblent et n’est plus capable de tenir une arme à feu. Il devient complètement enragé, non pas parce que sa quête est difficile, mais parce qu’il se regarde tel qu’il est, une épave et qu’il n’aime pas ça du tout. Il va donc naviguer entre ivrognerie et quête de la sobriété. Et on comprend que c’est très difficile. 

    Le criminel mystérieux, Guilty bistander, Joseph Lerner, 1950

    Max regarde avec regret Gloria repartir 

    Si on sent bien que Max a encore des sentiments pour Gloria et l’enfant, il ne s’agit pas vraiment ici de reconstitué une famille détruite par l’alcoolisme. C’est d’être à la hauteur de la tâche qu’on s’est donnée. De fait les rapports entre Gloria et Max deviennent très ambigus. On verra Max embrasser Gloria tendrement tandis qu’elle dort, mais on verra aussi Gloria soigner Max, extraire une balle de son bras et enfin lui dire qu’elle s’en fout vraiment qu’il soit alcoolique ! C’est assez étrange parce qu’elle ne le traite pas comme un malade qui a besoin de soins et d’appui. Elle refuse de s’apitoyer sur lui, ce qui amène justement max à refuser cette posture. C’est là que ceux qui côtoient Max avec leur sollicitude hypocrite ne comprennent pas vraiment ce qui se passe. Smitty croira le dominer en lui proposant à boire, Elder aussi. Max a perdu le respect de lui-même et des policiers avec qui il travaillait jadis. Cela donne lieu à des scènes plutôt pénibles où Max est humilié de manière permanente. 

    Le criminel mystérieux, Guilty bistander, Joseph Lerner, 1950 

    A la morgue Tonetti lui montre le cadavre d’Elder 

    Dans ce film noir, dur, les femmes ont un rôle très important. C’est d’ailleurs une légende que de croire que le film noir serait porteur d’un discours masculiniste. Bien sûr, il y a d’abord la vieille Smitty qui veut prendre sa revanche sur la vie et ne supporte pas qu’elle soit devenu laide et malportante. Elle veut se venger. C’est une femme forte qui ne s’en laisse pas compter, elle mène son monde à la baguette, jusqu’au taciturne Max en passant par le brutal Oliveira. Ensuite il y a Gloria évidemment qui doit se débrouiller toute seule parce que son couillon de mari est parti en sucette. Elle travaille, s’occupe de son fils, assure, pendant que Max s’épanche sur ses remords. Le titre Guilty Bystander signifie le spectateur coupable, autrement dit il renvoie à la passivité. Max va avoir bien du mal à retrouver sa virilité. C’est un homme diminué, et le simple fait qu’il ait un bras blessé, mort, qui ne lui sert à rien, est l'indice de son impuissance. Il a beau jouer les séducteurs avec Angel, il est symboliquement castré. Il va mettre beaucoup de temps et beaucoup d’énergie à retrouver son statut. Smitty qui se moque de lui, lui enverra un révolver déchargé, incapable de tirer un seul coup ! Quand il se bat dans le métro avec Oliveira, il ne va pas arriver à prendre le révolver. Doit on voir dans l’alcoolisme les premiers signes de l’impuissance ? 

    Le criminel mystérieux, Guilty bistander, Joseph Lerner, 1950

    Max se rend chez Varkas sur les quais 

    Max, son fils et son ex-femme, se trouvent coincés entre deux bandes rivales qui n’ont comme but dans la vie que la cupidité, Varkas et Smitty sont de misérables individus qui n’ont que l’argent pour corriger l’inconscience de la nature qui les a faits malheureusement ce qu’ils sont. Et puis il y a la police qui, comme d’habitude, ne comprend pas grand-chose. Max s’en sort cependant, essentiellement parce qu’il est dur au mal et accepte de souffrir dans sa chair, de prendre des coups. C’est parce qu’il accepte cela qu’il peut affronter les deux bandes rivales. Il a une tendance masochiste assez évidente. 

    Le criminel mystérieux, Guilty bistander, Joseph Lerner, 1950

    Chez Varkas Max flirte avec la belle Angel 

    La mise en scène est excellente. Et c’est une heureuse surprise. C’est très violent, tourmenté, mais aussi subjectif. Max ne sait pas ce qu’il poursuit et ça le rend enragé. Il y a aussi des scènes en décors naturels qui sont très intéressantes, au début, le pont de Brooklyn qui barre l’horizon et qui explique qu’on rentre dans une zone d’ombre, une sorte de cour des Miracles et de fait on n’est pas déçu. Les ombres menaçantes surgissent de tous les côtés. Ensuite il y a les docks et ce pont basculant qui permet de rallier les locaux de Varkas. C’est pris dans une perspective allongée qui ne fait aucun mystère de la misère et de la pauvreté. La ville, ici New York, est bien un piège qui détruit ses enfants. Les dernières images sont celles de la banlieue où il semble que le couple qui a retrouvé son enfant a réussi à échapper aux miasmes de la ville, c’est une des rares scènes de jour. Les scènes d’actions sont fortes, avec comme clou, cette longue poursuite dans le métro qui n’en finit pas et où Max s’épuise sans succès. Les coups font mal, on le comprend. Il y a aussi de beaux mouvements de caméra qui renforce cette violence, le tout étant rehaussé par la superbe photo de Russel Harlan[3] qui, s’il n’a pas fait beaucoup de films noirs a fait tout de même Gun crazy  de Joseph H. Lewis et Riot in cell block eleven de Don Siegel[4]. La visite des entrepôts de Varkas est pleine d’ombres et donc de danger, avec un monte-charge qui permet des possibilités de fuite. 

    Le criminel mystérieux, Guilty bistander, Joseph Lerner, 1950 

    Max retourne chez Varkas

    Abonné aux rôles d’antipathiques et de malhonnêtes, Zacharie Scott trouve ici sans doute son meilleur rôle avec Max Thursday. Il avait déjà formé un couple étrange et criminel avec Faye Emerson dans Danger signal de Robert Florey, un film qui avait été un succès commercial important et qui aujourd’hui est très difficile à trouver dans une copie propre. Ici il n’est pas un psychopathe, bien au contraire, mais un ivrogne compatissant à la recherche de lui-même et de son fils. Il domine le film avec sa silhouette dégingandée, un corps pas si facile que ça à employer. Faye Emerson dans le rôle de Gloria est excellente aussi, bien que son rôle soit plus étroit. Il y a beaucoup d’énergie dans la direction des acteurs qui semblent tous plus enragés les uns que les autres. On retrouve des figures connues, comme Sam Levene qu’on avait remarqué dans le rôle du policier à la retraite dans The killers de Robert Siodmak et qui ici incarne un autre policier, Tonetti. Si la plupart des seconds rôles sont bons, il faut donner tout de même une prime à l’excellente Mary Boland qui joue Smitty. Ce » sera ici son dernier film dans sa très longue carrière, mais elle passe facilement d’un état de désespoir rentré à une arrogance sans borne, à l’étalage de sa méchanceté avec une grande facilité. 

    Le criminel mystérieux, Guilty bistander, Joseph Lerner, 1950

    Max poursuit son agresseur dans le métro 

    Très bon film noir avec beaucoup d’intensité, un peu méconnu tout de même, ce n’est pas un film à gros budget, mais ce n’est pas un film fauché non plus. Produit par la firme indépendante d’Edmund Dorfmann, Laurel films, il y a une liberté de ton qu’on ne trouvait pas chez les majors, en ce sens il se rapproche des séries B. Le film a reçu des critiques positives à sa sortie, mais il demanderait une réhabilitation et surtout une meilleur copie que celles qu’on peut trouver ici ou là. 

    Le criminel mystérieux, Guilty bistander, Joseph Lerner, 1950

    Max est cette fois confronté à Smitty



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/a-cry-in-the-night-frank-tuttle-1956-a131693342

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/la-soif-du-mal-the-touch-of-evil-orson-welles-1958-a125351608

    [3] La photo est signée Gerald Hirschfeld, mais c’est bien Russel Harlan qui s’y est collé.

    [4] Il a travaillé sur quelques grosses productions comme Lust for life de Vicente Minnelli, ou avec Howard Hawks et Billy Wilder. Il est un peu étonnant de le retrouver sur cette production manifestement à petit budget.

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