• Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966

    Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966  

    Bernard Borderie qui était lui-même le fils d’un producteur à succès, Raymond Borderie, a commencé à avoir du succès avec La môme vert-de-gris, avec Eddie Constantine, le premier Lemmy Caution, avec qui il tournera plusieurs films, puis ensuite il mis en scène les aventures du Gorille, un agent de services secrets français, incarné par Lino Ventura qui vit grâce à Le gorille vous salue bien, sa carrière en tant que premier rôle décoller. Il avait donc une expérience à la limite du film noir. Il avait aussi cherché sa voie du côté des films de cape et d’épée, Pardaillan, Les trois mousquetaires, etc. En 1964 il se lança avec un très grand succès dans l’adaptation des romans d’Anne et Serge Golon, la série des Angélique. En 1966 il adapta donc un roman d’Auguste le Breton, Brigade anti-gangs. Auguste Le Breton qui aimait bien dans la vie courante jouer les voyous, à cause de ses amitiés avec de grosses pointures du milieu, avait en quelque sorte changé de camp en abandonnant la chronique des bandits pour celle des poulets. Cette reconversion au service de la loi contre des voyous manifestement dégénérés eut un énorme succès. Il créa donc une série Bontemps et la brigade anti-gangs qui eut une trentaine de romans. Pour ma part je préfère ses chroniques voyoutes où il se laisse aller à manier une langue argotique, bien mieux que les Simonin ou les Audiard. Pour l’année 1966, tandis que Denys de la Patellière montait Du rififi à Paname   avec Jean Gabin, et en attendant que Verneuil mette en route Le clan des Siciliens avec le succès qu’on sait, Bernard Borderie travaillait sur Brigade anti gangs. Il choisit Robert Hossein comme tête d’affiche, ce dernier étant au zénith de sa popularité en France, en Italie, mais aussi dans le reste de l’Europe. Comme on le voit, l’œuvre d’Auguste le Breton a fourni de nombreux sujets de films noirs, Du rififi chez les hommes avec Robert Hossein dans un petit rôle de drogué[1], Du rififi chez les femmes toujours avec Robert Hossein, mais cette fois en tête d’affiche[2]. Parmi les belles adaptations de le Breton, on peut ajouter Rafles sur la ville de Pierre Chenal, avec Charles Vanel et Michel Piccoli[3]. Tous ces films, avec Brigade anti gangs que je préfère aux grosses productions comme Le clan des Siciliens ou Du rififi à Paname.   

    Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966 

    Le commissaire Le Goff est à la tête de la brigade anti-gangs et essaie de coincer l’homme du vendredi qu’il soupçonne d’être Roger Sartet qui camoufle ses activités délictueuses derrière son activité de patron de restaurant. Sartet est sous surveillance. Les anti-gangs ont eu vent d’un hold-up qui doit avoir lieu, mais malgré leur surveillance, il ne se passe rien. La semaine suivante, toujours un vendredi, alors que Sartet est en train de pêcher à la mouche dans le midi, Le Goff apprend qu’il revient directement en avion. Alors qu’il jouait chez lui avec son frère, avant-centre de l’équipe de France. Il rassemble ses troupes, cependant Sartet échappe à la surveillance des policiers. Pourtant le hold-up a bien lieu, à l’endroit indiqué. Mais la bande à Sartet est très rusée, elle déjoue le piège en bloquant les bagnoles des flics et en ouvrant le feu. Un des hommes de Le Goff est mortellement blessé, tandis qu’un membre de la bande a été touché à la jambe. La bande se sépare, Sartet et son complice comprenant qu’’ils allaient avoir les flics sur les reins, cachent leur butin et les armes dans une valise qu’ils planquent dans un chantier au milieu d’un monticule de béton. Sartet voit que son ami est blessé, mais pas grièvement. Ils rejoignent le restaurant de Sartet où des jeunes désœuvrés, un peu voyous tentent de s’amuser avec la fille de Sartet, Angèle. Mais les flics sont là, et ils embarquent Sartet et « Paletot-de-cuir » pour les interroger à la PJ. Cependant Sartet a le temps de signaler à sa fille où il a caché sa valise et lui demande de la récupérer. Les interrogent longuement les deux voyous, mais n’obtiennent rien d’eux, sauf qu’à un moment on se rend compte que Paletot-de-cuir est blessé. Voyant que la blessure est issue d’un coup de feu, ils se font plus pressant, mais Paletot-de-cuir ne dit rien. Trois-pommes qui est aussi l’amant d’Angèle l’aide à récupérer la valise. Voyant tout cet argent et les armes, il s’imagine aller délivrer Sartet en attaquant la PJ ! Et c’est ce qu’il fait avec ses copains en leur donnant à chacun de l’argent. Ils arrivent dans les étages et vont semer la confusion, Paletot-de-cuir prend une arme et tire, Sartet tente aussi de s’enfuir, mais Le Goff le rattrape dans les escaliers. Cette tentative ayant lamentablement échoué, Platetot-de-cuir est mort, les jeunes voyous imaginent de prendre en otage le frère de Le Goff. C’est ce qu’ils font après que Jobic ait assurer la victoire contre la Norvège en marquant un but. Ils vont proposer à la police d’échanger Sartet contre Jobic. Contre l’avis du commissaire, le directeur de la police prend pourtant la décision de libérer Sartet. Celui-ci est pris en filature par la police mais parvient à s’échapper en se déguisant en curé, avec une soutane que Louis XIV, un de la bande à Trois-pommes lui a donné. Sartet parvient à rejoindre le repère de Louis XIV où Jobic était détenu. Mais entretemps, Le Goff a mis la main sur Beau-Môme à cause de ses dépenses, les flics le bousculent un peu et il se met à table. Alors que Sartet ne veut plus libérer Jobic, la police arrive et cerne la maison. Sartet sort en menaçant de tuer Jobic. Le Goff hésite, mais sous les injonctions de son frère il avance tout de même. Sartet va peut-être tirer, mais Trois-pommes qui est sorti l’assommé et s’enfuit. Mais l’endroit est cerné, et un policier trop zélé le mitraille. 

    Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966

    Le Goff comprend que la bande n’interviendra pas 

    L’auteur du livre ayant participé à l’écriture du scénario, il est difficile de dire qu’il s’est trahi. Histoire parfaitement linéaire et sans surprise. Lorsque Auguste Le Breton s’était lancé dans ce qui allait devenir une série, on parlait beaucoup des antigangs comme d’une nouvelle sorte de police d’intervention rapide, travaillant en flagrant délit. Je crois que Bernard Borderie voulait se lancer dans un film noir à l’américaine, avec une sorte de vérité un peu documentaire. L’ensemble est présenté comme un affrontement sans merci entre une bande de malfaiteurs rusés et des policiers tout à fait besogneux. Thème éculé s’il en est, mais l’originalité provient plutôt d’un autre thème, celui de la jeunesse perdue. Si Sartet est un gangster à l’ancienne, avec sa cruauté et ses amitiés, il est confronté par la force des choses à la jeunesse de la fin des années soixante. Cette jeunesse qui zone non loin du restaurant de Sartet, n’a pas de vraies ambitions, sauf pour Trois-pommes de redevenir un jour un chanteur de rock à succès. Au fond, même si elle a pour philosophie de ne jamais travailler, elle se contente de peu, écoute de la mauvaise musique et monte des coups foireux. Cette jeunesse est ambiguë, elle professe aussi bien son admiration pour le truand chevronné qu’est Sartet, mais aussi pour le footballeur professionnel. Maladroite dans ses élans, c’est par sa faute que le drame survient, on peut se demander ce qui se serait passé si la bande n’était pas intervenue pour délivrer Sartet contre qui les preuves étaient des plus maigres. C’est donc le compulsif Trois-pommes qui est à l’origine du drame. Rocker à la retraite, semi-clochard, c’est le raté parfait. Dans l’esprit d’Auguste Le Breton, il y a toujours de la tendresse quelque part quand il aborde la jeunesse délinquante, il en venait, même s’il sait leurs limites sur le plan moral. Ce sont des victimes de la société, des enfants abandonnés trop tôt à eux-mêmes. 

    Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966

    Il demande au directeur de pouvoir encore travailler sur la piste Sartet 

    Le portrait de Sartet comme celui de ces jeunes gens paumés est plutôt réussi, par contre, le scénario a bien du mal à humaniser et faire vivre les policiers, ils apparaissent assez ternes, trop mécaniques par contraste. Sartet est un truand arrivé qui a de l’argent, qui fréquente la haute société, préfet et chefs d’entreprise, mais c’est plus fort que lui, il lui faut faire des mauvais coups, parce que c’est sa vie ! Evidemment, ce n’est pas un film où les femmes ont un rôle important. Elles sont toutes en retrait dans cet affrontement à mort. La femme de Sartet est surprise d’apprendre que son mari est un voyou – ce qui est un peu invraisemblable tout de même. Sa fille est un peu plus impliquée, bien qu’elle laisse finalement l’initiative à cet imbécile de Trois-pommes qui mets la main sur le magot et qui ne fait que des conneries. Du côté des flics ce n’est pas mieux Le Goff habite chez sa mère avec son frère et sa femme qui lorgne en permanence le footballeur, mais elle ne fait rien de répréhensible et garde la maison en attendant que son mari revienne de ses longues journées de traque et daigne la regarder. Elle est sous la garde en quelque sorte de la mère. Vous me direz que nous somme en 1966, mais cependant la libération des mœurs était déjà bien avancée, Brigitte Bardot était passée par là. On peut aussi critiquer le fait que les jeunes voyous sont un peu caricaturés. 

    Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966

    Larmeno se fait descendre 

    Bien qu’elle contienne un certain nombre de bonnes choses, la réalisation est assez moyenne. Le hold-up et la mort de Larmeno sont très bien menées. La scène finalement est aussi assez émouvante. Mais entre les deux ça se traine un peu. Le rythme n’est pas très bon et surtout nous voyons des policiers qui ne savent pas trop quoi faire. Les scènes où on voit Le Goff et son frère jouer au football dans un jardinet très étroit ne sont pas bonnes. Du reste la fausse représentation du match de foot – un match qui a bien eu lieu d’ailleurs et avec le même score – est extrêmement poussive. Mais ça c’est toujours très difficile, sauf à avoir d’énormes moyens, sinon il faut se contenter de plans resserrés. La photo est bonne et met très bien en valeur un choix judicieux des décors naturels. Ceux-ci mettent en scène l’opposition entre des réfractaires au travail et à la modernité et ceux qui veulent les y soumettre. On voit donc un Paris en train de changer de visage et de passer à la bétonneuse des pans entiers de la vieille cité, comme un regret. La scène où Sartet cache la valise pleine de pognon dans un monticule de béton, est assez édifiante, et montre qu’il n’a aucune chance de la retrouver, ce n’est pas seulement des billets qui sont enfouis sous le béton, c’est l’âme même de la truanderie et sa poésie. Le Breton aimait bien ces contrastes entre richesse et pauvreté, comme un prolongement de l’opposition entre les vieux et les plus jeunes, ça lui parlait sans doute de sa propre existence. Dans les scènes d’action, il y a de jolis mouvements de caméra, par exemple les poursuites en voitures, ou encore la mort de Larmeno qui se fais tuer en pleine course. Mais Borderie a plus de difficulté à filmer les espaces étroits de la PJ, et les interrogatoires sont laborieux. 

    Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966 

    Sartet et paletot de cuir s’en vont en camion pour éviter les barrages 

    Il y a aussi des idées intéressantes dans la manière dont sont filmés les escaliers du Quai des orfèvres lors de l’attaque de la PJ. Parmi les autres scènes bien mises en valeur, il y a la transformation de Sartet en curé en plein milieu de La Samaritaine, grâce à Louis XIV, alors qu’il est surveillé de tous les côtés par la police. Il se change dans les toilettes et repart avec un autre curé ! Notez que le rusé truand s’appelle Sartet, comme dans Le clan des siciliens. Si le premier, est incarné par Raymond Pellegrin, le second a le visage d’Alain Delon. Mais ce sont les mêmes personnages dans l’esprit de Le Breton. D’ailleurs dans Le clan des Siciliens, on retrouve Le Goff, mais cette fois incarné par Lino Ventura, mais toujours à traquer Sartet qui s’évade d’une façon spectaculaire ! Parmi les défauts dans la mise en scène elle-même il y a cette incessante manie de Le Goff d’allumer des cigarettes. Certes à cette époque les flics fumaient et fumaient beaucoup. Mais là c’est un peu trop, on l’impression que le caractère de Le Goff se résume à cela. 

    Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966

    Sartet est arrêté 

    Ce n’est pas un film à très gros budget, mais ce n’est pas un film fauché non plus. Du côté de la distribution, c’est intéressant. Robert Hossein dans le rôle de Le Goff est à contre-emploi, lui qui a tant et tant joué les voyous. Ici il parait curieusement éteint, sans qu’on sache ce qui cloche dans son jeu. Engoncé dans un imperméable mastic, il n’arrive pas à dégager un minimum d’humanité. Derrière il y a le toujours excellent Raymond Pellegrin dans le rôle de Sartet. On ne le dit pas assez, c’est un acteur très fin, très subtil dans son jeu, mais trop souvent cantonné dans les années soixante à des rôles toujours un peu similaires. Il retrouvera encore Robert Hossein un peu plus tard dans l’excellent film du regretté Jean Larriaga La part des lions[4]. Notez que la même année il jouera un autre truand, Paul Ricci, dans le superbe film de Melville, Le deuxième souffle d’après le roman de José Giovanni[5]. Les autres rôles sont un peu étroits. Gabriele Tinti joue Jobic, le frère de Le Goff, sans trop d’entrain, et en souriant niaisement. Il y a Michel Galabru dans le rôle de Larmeno, mais il n’a pas trop de temps pour faire valoir son talent, il meurt dès le début du film. Robert Dalban dans le rôle de Paletot-de-cuir est très bon, mais cet acteur est toujours très bon quel que soit le rôle qu’on lui donne. On retrouve Philippe Lemaire, un habitué du cinéma de Bernard Borderie, dans le rôle de Rondier, un des inspecteurs de Le Goff. Il a une bonne scène vers la fin quand il met des tartes dans la gueule de Beau Môme pour le faire parler. Pierre Clémenti qu’on présentait comme le jeune premier moderne, affichant un physique différent, en fait des tonnes dans le rôle de Trois-pommes. 

    Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966 

    Le Goff interroge Sartet longuement, espérant le faire craquer 

    Si le sujet est intéressant, il aurait pu être une sorte de poliziottesco parisien avant l’heure, la réalisation reste trop timide. Ça manque de cruauté, on aurait pu approfondir un peu plus la relation entre le frère de Le Goff et la femme de ce dernier, tracer un portrait un peu moins niais des jeunes de la périphérie par exemple. Mais même comme ça le film se voit. Le film fit, à sa sortie, des scores honorables en France, en Italie et en Allemagne, suffisamment pour rapporter de l’argent, la critique l’a boudé évidemment. Mais il a depuis un moment disparu des circuits, et on n’en trouve plus que des copies assez pourries sur les réseaux – ça se voit avec mes captures d’écran. Je crois qu’il serait intéressant de le ressortir dans une copie propre, ne serait-ce que pour l’ambiance d’époque de ce film. 

    Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966

    Trois-pommes est époustouflé par découverte de la valise de Sartet 

    Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966 

    Sartet s’est déguisé en curé pour passer inaperçu 

    Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966

    Sartet ne veut pas libérer Jobic



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/du-rififi-chez-les-hommes-jules-dassin-1955-a176847784

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/du-rififi-chez-les-femmes-alex-joffe-1959-a114845080

    [3]

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/la-part-des-lions-jean-larriaga-1971-a114844706

    [5] http://alexandreclement.eklablog.com/le-deuxieme-souffle-jean-pierre-melville-1966-a187330850

    « Lionel Guerdoux & Philippe Aurousseau, Talents du maître Dard, Editions de l’Oncle Archibald, 2021Le criminel mystérieux, Guilty bystander, Joseph Lerner, 1950 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :