• Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961

     Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961

    Sans doute un des meilleurs films de Robert Hossein. C’est une sorte de western-noir, très inspiré dans sa mise en scène et l’utilisation des espaces du cinéma d’Emilio Fernandez, y compris dans l’usage des rives de l’océan. C’est même peut-être un des premiers westerns européens, bien avant la mode des westerns-spghetti. Hossein est un auteur complet, il image des histoires, écrit des scénarios, le plus souvent sans se répéter. On peut rapprocher le film d’autres productions américaines qui prennent le Mexique pour sujet, par exemple Viva Zapata d’Elia Kazan auquel il fait aussi penser par la distance qu’il prend d’avec l’idée de révolution. Ici cependant l’action sera située dans un pays jamais nommé d’Amérique latine. Mais dans les années cinquante ces pays toujours au bord de la révolution étaient aussi à la mode dans le cinéma français, avec l’immense succès du Salaire de la peur, le film de Henri-Georges Clouzot qui avait décroché la Palme d’or à Cannes en 1953. Mais toutes ses références ne sont en réalité que des points d’appui pour une histoire originale. Le goût de la violence a été tourné en Yougoslavie dans des conditions pas toujours très faciles, le producteur Jules Borkon, toujours au bord de la faillite, tentant d’échapper à ses obligations. 

    Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961 

    Perez a attaqué le train pour enlever Maria la fille du général 

    Perez à la tête d’une colonne de révolutionnaires attaque le train qui transporte Maria Laragana, la fille d’un général. Leur idée est de l’amener au général Guzman afin que celui-ci l’échange contre des prisonniers de leur parti. Il va donc abandonner sa troupe et partir à cheval avec Chamaco et Chico pour l’accompagner avec Maria. Chamaco cependant a compris que Maria avait aussi une valeur monétaire et commence à être travaillé par l’idée de l’échanger directement contre de l’argent. En cachette de Perez il tente de convaincre Chico se son plan. Mais la petite troupe va rencontrer des difficultés. Tentant d’éviter une troupe de federales, ils perdent leur mule chargée de leurs provisions. Perez essaie de se faire passer pour un pauvre paysan, mais les federales lui confisque sa mule. Dépités, ils vont devoir se rendre dans le village de Paco qu’ils pensent être un ami sûr. Ils lui demandent une mule et des provisions. Mais des villageois ont volé leur chevaux et le lendemain ils doivent partir à pied, avec une mule cependant. Ils sont suivis pendant un petit moment par des dizaines de paysans armés de machettes qui semblent vouloir leur faire la peau. Pour éc happer à cette traque Perez va mettre le feu à leur champ de maïs. A l’étape suivant, Chamaco annonce à Chico qu’il va tuer Perez qui est parti explorer les environs. Des coups de feu éclatent, mais Perez et Chamaco reviennent ensemble avec deux chevaux : ils ont tué deux federales. Plus tard alors qu’ils sont accueillis par des sympathisants, Chico propose à Maria de l’emmener avec lui. Il n’est pas intéressé par l’argent ni par une récompense, mais seulement par la grande beauté de Maria. Elle accepte. Mais Perez et Chamaco vont déjouer le plan et en prenant un raccourci ils rattrapent facilement les fuyards. Chamaco tue Chico. Tandis qu’ils s’enfoncent plus profondément dans la révolution et ses horreurs, Marias parvient à prendre le fusil de Chamaco et menace de tuer Perez, sans toutefois avoir le courage d’aller jusqu’au bout de son geste. Mais c’est Perez qui va tuer Chamaco. Il reste seul maintenant avec Maria. Ils retrouvent peu après la maison de la famille de Perez dont le père a été tué par les federales. Il y a là sa mère Bianca et ses trois sœurs. Bianca adopte une position critique sur la révolution, renvoyant dos à dos les deux camps qui passent leur temps à entre-tuer. Elle demande à Perez de laisser partir Maria. Mais Perez reste sur ses positions. Il repart avec son otage. Ils arrivent alors dans une petite ville dévastée où les federales ont pendu les révolutionnaires le long des rues pour faire un exemple. Maria et Perez se retrouvent dans l’église où les veuves des suppliciés vont prier et brûler des cierges. Ensuite Maria et Perez vont retrouver la mère de Chico pour lui annoncer sa mort. Mais en traversant le pays Perez se rend compte que la révolution est vaincue, et donc il va laisser Maria qui s’était laissée aller à quelques gestes tendres avec lui, à retourner chez elle. Il se séparent définitivement. 

    Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961

    Après s’être fait voler sa mule et ses provisions par les federales, Perez demande de l’aide à Paco 

    Si l’action n’est ni datée, ni précisée géographiquement, c’est à la fois une facilité d’écriture qui évite la rigueur documentaire, et la volonté de styliser la situation. Même si le scénario est très typique de Robert Hosssein, ce désespoir mêlé de passion amoureuse impossible, ce film qui se vendit très bien dans toute l’Europe, donc en Italie aussi, fut précurseur. Y compris des films de Sergio Leone que Hossein connaissait très bien et avec qui il faillit travailler. C’est donc curieusement un film français qui inaugure le western-spaghetti. Certes c’est une coproduction franco-italienne, et la vedette féminine comme le second rôle sont des acteurs italiens très connus dans leur pays. Mais au-delà de cet aspect qui montre qu’Hossein aimait le cinéma de genre comme on dit, il y a cette solitude qui ronge Perez et qu’il ne peut combattre qu’en s’en tenant aux principes révolutionnaires répétés comme un catéchisme. Le film va montrer comment deux êtres que tout éloigne vont finir par se comprendre et s’aimer, même si cette passion ne pourra pas s’accomplir. Ce qui va dominer c’est donc l’amour comme promesse et non comme réalisation de soi. Le second point est que la solitude de Perez est renforcée par le fait que les « révolutionnaires » qui l’entourent n’ont pas les mêmes objectifs que lui. Chamaco pense à faire de l’argent avec l’otage et Chico rêve d’un ailleurs sans la révolution. Et puis il y a ces paysans, on comprend qu’ils ont souffert aussi de la révolution et donc qu’ils en veulent aux révolutionnaires qui indirectement ont aggravé leur sort déjà médiocre. Désabusés, ils ne croient plus qu’en eux, prêts à se refermer sur leur communauté pour la défendre. 

    Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961

    Chico a fui avec Maria, Perez va les rattraper 

    La plus grande partie du film c’est le chemin difficile que la petite troupe doit faire pour retrouver le général Guzman. C’est un chemin initiatique comme il se doit qui va insensiblement transformer les caractères, principalement celui de Perez et celui de Maria. Sans le dire ils vont se rapprocher et se comprendre. Maria va abandonner son arrogance de fille de général que la vie a comblée, et Perez va devoir se faire à la désillusion de la défaite. Ils traverseront des zones de solitudes et de désolation, mais ils rencontreront aussi la vie, ces mères brisées par la perte d’un fils ou d’un mari, des villages unis dans la pauvreté et le malheur. Le chemin que la petite troupe prend est à l’écart des grandes voies de circulation pour des raisons évidentes de discrétion. Et c’est évidemment dans cette nécessité que s’oppose aussi la nécessité de se méfier de la civilisation. Chaque fois que la petite troupe s’avance vers le reste de l’humanité, les choses se passent très mal. C’est typique quand Perez et Maria se retrouve dans cette ville vide, décorée de pendus, les rues mouillées de pluie. On comprend qu’ils ne pourront pas s’attarder, du reste les federales patrouillent en permanence à la recherche des insurgés. C’est d‘ailleurs cette opposition à la civilisation qui paradoxalement va rapprocher Perez et Maria de ce qu’ils sont réellement, en dehors de ce que les circonstances matérielles ont fait d’eux. 

    Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961 

    Maria n’ose pas tirer sur Perez 

    La mise en scène est très soignée et fourmille d’idées.  Hossein manie très bien l’ellipse, par exemple on ne verra pas l’attaque du train proprement dite, mais seulement son résultat. Certes on peut toujours dire que c’est aussi une question d’économie, mais cela s’adapte parfaitement à la manière de faire d’Hossein, d’aller à l’essentiel de la nudité des caractères. Dans ce début des années soixante, Hossein travaillait sur la question du silence, évitait ainsi les bavardages. Cette volonté l’amenait à étirer le temps et à utiliser un rythme lent dont Sergio Leone fera ensuite sa marque de fabrique pour évoquer les sentiments. Maria est quasiment muette tout le long du film. Et elle exprime se qu’elle ressent par ses attitudes du corps plutôt que du visage. C’est typique dans la scène où elle braque Perez avec un fusil, hésitant à la tuer, puis renonçant. De même pour montrer la violence de la répression gouvernementale, Hossein va présenter les rues vides, couvertes de pluie, seulement décorées par des pendus. Suit ensuite une diagonale des veuves et des femmes en noir qui suivent le chemin qui les mènent à l’église. Ces deux séquences emboîtées suffisent à nous faire comprendre la situation, à nous la faire ressentir comme une tragédie, renforçant cette vision cauchemardesque par le silence qui surplombe. 

    Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961

    Les federales ont décoré la ville avec des pendus 

    On notera des emprunts importants à d’autres cinéastes. Par exemple cette façon de filmer en plans larges et de haut qu’on retrouve chez Emilio Fernandez, tout comme l’usage de la mer et de son ressac. Ou encore lorsque Perez et Maria quittent Bianca et sa famille, on voit les deux sœurs regarder le couple qui s’en va à cheval. On dirait une scène extraite de John Ford, The searchers, sauf que cette même scène dans le film de Ford saluait un retour, alors qu’ici elle est un adieu sans doute définitif. Il y aura une scène semblable quand, après avoir compris la défaite de la révolution Perez va revenir vers la maison de Bianca, mais celle-ci a été brûle et détruite par les federales, les filles ont été assassinées. Le choix des décors est surprenant. Une des plus belles séquences est sans doute celle qui est filmée dans la nuit et qui voit Maria braquer Perez de son fusil. Il y a ici une excellente utilisation du noir et blanc qui vient bien évidemment de la fréquentation d’Hossein avec le film noir. Plus généralement l’utilisation de l’écran large 2,35 :1 est excellente et renforce paradoxalement la nudité des paysages et celle de l’âme des protagonistes, tout en évitant les gros plans, réduits ici au minimum. 

    Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961

    Les femmes portent des cierges à l’église pour leurs morts 

    Le pivot de la distribution est Robert Hossein dans le rôle de Perez. Il s’est affublé d’une moustache et de rouflaquettes qui renforcent son côté ombrageux. Il est très bon et joue avec conviction. Notez que dans son film précédent il jouait le rôle d’un Allemand et s’était teint en blond ! A ses côtés il y a Giovanna Ralli, c’était à l’époque une actrice qui perçait auprès de réalisateur talentueux, Fellini, Rossellini, Enner et j’en passe. Cette belle romaine, un peu oubliée en Franc, dont le côté plantureux rappelait un peu Sophia Loren, couvre ici sa beauté sculpturale. Elle montre plutôt son visage que ses charmes. La sobriété de son jeu convient parfaitement au rôle. Sans doute a-t-elle accepté de tourner dans ce film pour échapper à la tentation des réalisateurs italiens de toujours filmer ses seins et ses cuisses. Il y a ensuite Mario Adorf, acteur italo-allemand, qui a tout fait dans le cinéma, il tournait encore récemment dans un film sur Karl Marx. Mais principalement son physique l’amenait à des rôles de brutes. Malgré son front bas, c’est un acteur très subtil. Il le montre encore ici dans le rôle de Chamaco, le fourbe, toujours prêt à trahir, mais freiné par sa propre indétermination. Si Madeleine Robinson se fait remarquer par son long monologue sur la révolution dans le rôle de Bianca, les autres acteurs sont plutôt assez ternes. L’acteur allemand, Hans Neubert, est complètement plat et vide dans le rôle de Chico. On ne s’étonne pas qu’il n’ait pas fait carrière. 

    Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961

    Perez a retrouvé sa famille

    C’est incontestablement une réussite, et le film sera un succès public en France, en Italie, en Allemagne. Pour une fois les critiques français désarçonnés par les audaces d’Hossein le laisseront un peu tranquille. C’est un film à la limite de plusieurs genres et c’est bien ce qui en fait son originalité. Les années ont passé, et longtemps ce film ne pouvait être vu. Gaumont l’a ressorti dans une copie qui n’est pas très bonne. C’est dommage. Le film mériterait une version Blu ray car la photo de Jacques Robin est excellente. Il faut ajouter la musique. Comme pour tous les films de Robert Hossein réalisateur, elle est signée de son père. C’est une musique lancinante dont le côté répétitif ajoute à l’aspect neurasthénique du propos. Cette musique eut d’ailleurs beaucoup de succès sous la forme d’un disque 45 tours. J’en donne un extrait à la fin de ce billet. Il est assez curieux que ce musicien n’ait pas trouvé plus souvent l’occasion d’exprimer son talent à l’écran. Son inventivité en faisant selon moi l’équivalent d’un Ennio Morricone ou d’un Nino Rota. Le film qui se voit très bien encore aujourd’hui a donc une importance à la fois historique et du point de vue de la carrière de Robert Hossein comme réalisateur. Il va continuer par la suite à aller encore plus loin dans le sens de l’épure. 

    Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961 

    Perez abandonne sa famille pour amener Maria à Guzman 

    Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961

    Maria s’est rapprochée de Perez 

    Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961

    Perez découvre que sa famille a été massacrée

     

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