• Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996

     Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996

    L’idée du film est partie selon Argento de la lecture du livre d’une psychologue italienne, Graziella Magherini, qui porte exactement le même titre. Ce syndrôme décrit ce qui se passe lorsqu’on est confronté à une œuvre d’art époustoufflante, qui est tellement bouleversante qu’on peut tomber et s’évanouir à sa vision. Ce syndrôme est appelé syndrome de Stendhal parce que celui-ci avait fait part d’une expérience similaire qui lui était arrivée en 1817 à la basilique de Santa Croce à Florence justement. Dario Argento aurait lui-même souffert de ce syndrome. Cette veine qui va servir à supporter un giallo, annonce que le film sera placé non seulement sous le signe de notre rapport aux œuvres d’art, mais plus encore dans une confrontation du cinéma à la peinture. Ce film est réalisé après une dizaine d’années d’échecs répétés du réalisateur, tant face à la critique, que face à son public. Argento va abandonner les extravagances horrifiques ou la fantaisie et revenir aux premières formes qui ont fait son succès. A l’origine le financement de ce film devait être principalement américain, mais cela ne put se faire, probablement parce qu’à ce moment là Argento était catalogué plutôt comme un réalisateur de films d’horreur. Mais ce film intervient dans un moment particulier où le cinéma italien va lentement mais sûrement s’effacer. Les grands réalisateurs sont tous morts, les genres populaires comme le giallo, le western spaghetti ou le polliziotesco ne font plus recette. Il reste surtout des films fabriqués non pas pour les spectateurs du samedi soir, mais pour le public des festivals qui se multiplient à travers le monde. C’est un cinéma qui se pense, qui se regarde penser, et où le plus souvent l’émotion est absente. Les télévisions naguère si friandes de films à succès n’en passent presque plus, le numérique est passé par là et on commence à voir circuler des DVD dont le coût de production est assez faible et qui permettent de réapprécier les productions du passé. Le cinéma est en train de devenir objectivement un art du passé qui s’enferme dans des musées. Or justement le musée est une dimension décisive de La sindrome di Stendhal, c’est le lieu où se noue l’intrigue. Le générique se déroule d’ailleurs sur des œuvres magnifiques du Moyen Âge jusqu’à nos jours, on y voit des Breughel, des Picasso, des Degas, une sorte de catalogue des œuvres de la peinture occidentale qu’il faut connaître. Autre innovation si on peut dire, Dario Argento revient à Ennio Morricone pour composer la musique, ce qui n’est pas plus mal ! 

    Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996

    A la Galleria dell‘e Academia, Anna doit rencontrer le violeur 

    La policière Anna Manni a été envoyée à Florence sur les traces d’un violeur et tueur en série. Elle pense le rencontrer dans la galleria dell’e Academia où les touristes venus du monde entier se pressent. Mais face à une magnifique suite de tableaux, elle s’évanouit. Désorientée, elle rentre à son hôtel, et constate qu’elle a perdu son arme de service. Peu après le violeur, qu’elle avait entrevu dans le musée arrive chez elle au prétexte de lui rendre son arme et la viole. Profondément traumatisée, elle se coupe les cheveux, tente de se réfugier dans sa famille où elle retrouve ses frères qu’elle défie en pratiquant la boxe anglaise. Un psychiatre est chargé de l’aider. Son ami Marco qui est aussi policier essaie de l’aider, mais c’est en vain. Il lui semble qu’elle peut traverser les tableaux qu’elle admire et en percer leur secret. Pendant ce temps le violeur qu’elle a identifié continue son œuvre et maintenant tue une malheureuse vendeuse qu’il a suivie dans la rue. Anna se met à la peinture et produit des œuvres très étranges. Mais son violeur revient, l’agresse, lui vole encore son arme et l’enlève. Entre temps il a assassine les policiers qui étaient censés la protéger. Dans un hangar, il la viole plusieurs fois, lui fait une profonde cicatrice sur le visage. Mais Anna va arriver à s’en défaire, va le tuer et se débarrasser de son corps en le jetant dans la rivière. Cependant la police qui a été prévenue par Anna n’arrive pas à retrouver le cadavre. 

    Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996 

    Dans son hôtel Anna se demande où elle a perdu son arme 

    Anna va se transformer une nouvelle fois. D’abord elle se met à porter une perruque blonde et longue cette fois, ce qui lui permet de masquer sa cicatrice. Puis elle va rencontrer un jeune Français, nommé Marie Beyle qui étudie l’art à Florence et dont elle va tomber amoureuse. Mais ses obsessions la reprennent et elle croit qu’Alfredo est toujours vivant et qu’il va revenir la tourmenter. Le psychiatre continue à travailler avec elle. Se croyant traquée, elle est mise sous protection policière. Marco lui-même vient chez elle. Mais elle a rendez-vous avec Marie, elle échappe à la vigilance de Marco, et le retrouve dans un musée où le jeune français travaille. Celui-ci lui demande de l’attendre dehors, ce qu’elle fait, mais Marie va être cruellement assassiné d’une balle dans la tête. Anna est persuadée que c’est la la preuve qu’Alfredo n’est pas mort. La police arrive et constate les faits, mais le psychiatre pense que ce n’est pas vraiment le profil psychologique d’Alfredo. Les choses vont cependant s’accélérer. Le psychiatre vient rendre visite à Anna pour faire le point. Pendant ce temps là, le cadavre d’Alfredo est enfin repêché. Marco pense alors qu’Anna est en danger et qu’il y a forcément un deuxième assassin en liberté qui menace Anna. Cependant quand il arrive chez elle, il constate que le docteur Cavanna a été tué. Il comprend que c’est bien Anna la coupable des meurtres qui se sont produits après la mort d’Alfredo. Il lui demande l’arme, elle l’amène au garage et lui montre le révolver dans le coffre de la voiture. Tandis qu’il veut prendre l’arme, Anna le tue en rabattant plusieurs fois le coffre sur son cou. Elle s’enfuit, mais la police va la rattraper et on comprend qu’elle va aller dans un hôpital psychiatrique. 

    Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996

    Violée sauvagement Anna est sous le choc 

    Le scénario, écrit avec Franco Ferrini, bien qu’il contienne un certain nombre d’inconséquences, comme par exemple le meurtre de Marie qu’on ne comprend pas comment Anna aurait pu le commettre, est un giallo très sophistiqué. Le thème général est celui d’une quête de l’identité. En effet Anna ne sait pas si elle veut être la victime ou la criminelle, et plus encore si elle est hétérosexuelle ou bisexuelle, voire si elle veut être un homme. Au cours du film elle se montrera au moins sous trois aspects différents, brune ; les cheveux longs et en jupe, ensuite les cheveux courts et en pantalon, allant dans la salle de boxe se mesurer à ses frères, et enfin avec une perruque blonde, sans parler qu’elle croit qu’Alfredo, le criminel, est en elle et qu’il a pris le contrôle de sa personnalité. Evidemment, le syndrome de Stendhal ne compte pas vraiment, pas plus que le livre de Graziella Magherini, il est simplement décoratif et permet de donner le véritable nom de Stendhal au malheureux amant français d’Anna – on lit parfois que le film est une adaptation du « roman », rien n’est plus erroné. Dargento a beau en lire un passage au milieu du film, il ne nous convainc pas de l’utilité de ce subterfuge pour la suite de son récit. L’ambiguïté est renforcée justement parce que cet amant se prénomme Marie, et que cela n’est pas vraiment en usage en France, ce prénom étant réservé principalement à des filles comme le fait remarquer Anna. On voit donc qu’à travers la confusion des identités on passe à une confusion des sexes. Mais comme cela se pose dans le contexte d’une opposition entre le bien et le mal, on peut se poser la question du rapport qu’il y a entre ces deux thèmes. Le sexe mâle serait-il plus criminel que le sexe féminin ? 

    Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996

    Marco tente de distraire Anna de ses tourments 

    Anna est une personnalité en réalité tourmentée bien avant qu’elle ne rencontre son violeur. En effet, elle se rend à une sorte de rendez-vous avec lui à la Galleria dell’e Academia, sans avoir cherché à se couvrir. Cette témérité peut, peut-être, être plus importante dans son évanouissement que le syndrome de Stendhal lui-même. Manifestement elle est attiré par la personnalité perverse et maniaque d’Alfredo qui en vérité apparaît comme un sombre crétin doté d’un ego surdimensionné. Même physiquement il ne ressemble à rien. Il a l’allure compassée et satisfaite d’un cadre de banque. C’est d’abord un bouffon. Anna dénigrera d’une manière ou d’une autre ses amants bien trop simples et trop modestes, Marco et Marie. Ce qui l’intéresse au fond, c’est le mal, c’est la douleur à l’état pur, c’est ce qui explique qu’elle se mutile et qu’elle aime voir le sang couler de son corps. Tout cela reste assez traditionnel du point de vue du giallo, même si le scénario est un petit peu plus complexe. L’explication ultime est la folie d’Anna, liée sans doute à un traumatisme ancien. Anna retourne dans sa famille, un père et deux frères, mais on ne saura pas ce qu’est devenue la mère. Est-ce d’être immergée dans une famille trop masculine qui l’a tant perturbée ? On n’aura pas de réponse à cette interrogation. 

    Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996 

    Anna croit qu’elle peut traverser les tableaux 

    La finesse du scénario est de confronter une histoire un peu banale de serial killer à une discussion approfondie sur l’art. L e premier niveau c’est Florence, mais Florence fréquentée par des touristes qui semblent être là par conformisme plutôt que par nécessité. Le touriste est une nouvelle fois pris pour cible par Argento. La seule concernée est bien Anna dont le but est de pénétrer les tableaux. Elle y arrive et ce faisant, elle va leur donner une nouvelle vie, au prix de sa raison et peut-être de sa vie. Cette volonté de pénétrer l’œuvre va également en montrer toute la violence latente. L’art fait aussi l’éloge des pulsions criminelles qu’il convoque. Pénétrer l’œuvre d’art c’est aussi passer dans un autre monde, thématique récurrente d’Argento avec référence à Lewis Carroll. Quand Anna traverse le tableau, elle traverse également le temps et revient complètement en arrière. Passer entre les époques ou entre les sexes, n’est-ce pas finalement la même chose ? Cependant quand elle va à Viterbe, le musée étrusque est en réhabilitation pour un temps indéterminé, signifiant qu’il faut bien se débrouiller pour survivre. C’est pourquoi Anna va se rendre à la salle de boxe qui est aussi une autre forme d’art. Ce musée étrusque est la clé de tout le film, en ce sens qu’il désigne le passé comme le début de la fondation d’une égrégore les représentations artistiques en désigne la destinée. Mais si l’art est abandonné, la civilisation l’est aussi et c’est le retour de la bête ! 

    Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996

    Le tueur en série a repéré une nouvelle proie 

    Mais la peinture rend Anna complètement malade. Elle s’emploiera à masquer les tableaux, comme Fraü Brückner masquait les miroirs, avant de s’y jeter dedans. Bien que les œuvres du passé soient immobiles, elles jugent pourtant les contemporains qui les visitent. C’est flagrant dans la séquence où on voit Marie essayer de mettre de l’ordre dans le musée où il travaille. Les statues l’observent, le jugent et finalement le condamnent pour les avoir déranger. Dès lors les rapports entre l’art et la mort deviennent évident, on l’a déjà vu chez Argento, mais ici cela prend une signification encore plus grande dans la mesure où le cinéma est en train de disparaître comme un art populaire faisant corps avec la vie sociale. Il finira au musée ou dans les festivals pour cinéphiles. La séquence d’ouverture presque prise sur le vif, tourné véritablement à l’intérieur de la Galleria dell’e Academia est excellente, comme une incursion de Dargento dans le réel, le quotidien d’une visite au musée. 

    Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996 

    Anna reçoit un coup de fil d’Alfredo 

    Sur le plan formel Argento tout en revenant à des fondamentaux, va changer une fois de plus de format et passer au 1 :1,66, se rapprochant ainsi de plus en plus du format classique. Cependant le jeu sur les couleurs est excellent, il revient au rouge profond. Par exemple quand Anna se trouve dans la chambre d’hôtel, elle ferme le rideau rouge, comme si la pièce était maintenant terminée et qu’on passe à autre chose. On retrouve la pallette de couleurs de Profondo rosso, en plus discret toutefois. Les références à d’autres cinéastes sont très nombreuses, à Hitchcock avec Marnie qui change de couleur de cheveux et qui manifestement souffre d’un trouble de la personnalité, comme elle, Anna a des difficultés à avoir des relations sexuelles qui la satisfassent. Les  rapports entre Anna et la peinture renvoient aussi à Vertigo, Madeleine restant de longues heures au musée à contempler des peintures. L’autre référence c’est Crimes of passion de Ken Russell, sorti en 1984 et qui voyait Kathleen Turner utiliser une perruque blonde pour tromper son monde et se prostituer. Quand Anna se roule dans la peinture, on pense également à Apocalypse now de Coppola sorti en 1979, et à tous ces protagonistes, notamment au capitaine Willard qui se peint le visage pour mieux approcher le mal et continuer la guerre. Il y a un peu des longueurs, notamment dans la scène de viol, mais dans l’ensemble le rythme est soutenu. Dans les séances avec le psychiatre, on a cet impression d’enfermement, renforce par des plongées assez subtiles. La scène finale qui voit la police fondre sur Anna, comme pour la violer, puis la portant comme une enfant, est tout à fait remarquable.

    Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996

    Anna a tué Alfredo et va jeter son cadavre dans la rivière

    A l’origine le film devait être produit et tourné aux USA. Et donc le rôle d’Ann devait être tenu par Bridget Fonda ou Jennifer Jason Leigh. Mais la société de production ayant fait faillite, il fallut relocaliser le film à Florence. Et selon moi c’est bien mieux ainsi car Florence c’est le Rinascimento, phénomène qui n'a pas d’équivalent en Europe et bien sûr encore moins aux Etats-Unis. Florence fait partie intégrale du scénario. La distribution est assez discutable, les moyens du film étant réduits. Cependant Asia Argento est tout à fait étonnante dans le rôle d’Anna. Tout le film est centré sur sa personnalité. Fille de Daria Nicolodi et de Dario Argento, ce qui ne doit pas être facile à porter, elle est habitée par son rôle. Actrice à la vie personnelle très tourmentée, avec des viols subis, avouant elle-même sa bisexualité, elle sait faire passer ces discordances dans la personnalité d’Anna, à la fois passive et suicidaire, rancuneuse. Sans doute est-ce le meilleur rôle qu’elle a jamais eu. Elle a critiqué l’usage de la perruque blonde que son père lui a fait porter, mais cet artifice vulgaire est pourtant cohérent avec les références hitchcockiennes utilisées par Argento. Le criminel en série est interprété par Thomas Kretschmann. C’est un acteur allemand totalement fade, sans dimension particulière. Bien trop propre sur lui, il a du mal à nous faire croire qu’il est complètement fêlé, sa prestation affaiblit complètement le propos, souriant toujours à contre-temps il est déplaisant, mais ne fait pas pour autant un « beau » criminel. Les autres acteurs ne brillent pas vraiment, mais tiennent à peu près leur place que ce soit Marco Leonardi dans le rôle de Marco, le policier, ou Julien Lambroschini dans le rôle du français Marie. Les figures paternelles du psychiatre et du supérieur d’Anna sont tout à fait solides, interprétés respectivement par Paolo Bonacelli et Luigi Diberti.  

    Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996

    Le psychiatre tente d’aider Anna 

    Comme je l’ai dit au début, Ennio Morricone fait son retour au côté d’Argento. Et c’est heureux, il y a une jolie ritournelle mélancolique et légère qui apporte beaucoup au comportement d’Anna. L’ensemble est donc achevé, bien maitrisé, et rejoint les meilleurs films d’Argento. Le film n’a pas été un succès en salles, même en Italie, mais il s’est rattrapé avec les différentes rééditions en DVD puis en Blu ray. En France il n’est jamais sorti en salles, c’est dire qu’à cette époque la cote d’Argento n’était pas au plus haut. D’ailleurs on ne peut pas dire que la France soit un bon pays pour Argento, même si ces derniers temps cela semble s’améliorer un petit peu. Il n’existe même pas une version Blu ray de ce film dans notre pays, alors qu’à mon sens ce film  mérite une vraie réhabilitation. 

    Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996

    En cherchant des œuvres d’art Anna va rencontrer un jeune français 

    Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996

    Anna est inquiète 

    Le syndrome de Stendhal, La sindrome di Stendhal, Dario Argento, 1996

    La police a attrapé Anna

      

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