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Phenomena, Dario Argento, 1985
Ce n’est que trois ans plus tard après le succès mitigé de Tenebre qu’Argento va arriver à concevoir et tourner un nouveau long métrage. Le scénario écrit avec Franco Ferrini, une sorte de spécialiste du cinéma de genre avec qui il retravaillera assez souvent dans les années qui suivent, opte ouvertement pour le fantastique horrifique, sans doute parce que cela est apprécié sur le grand marché américain. Pour beaucoup de critiques cependant, c’est à partir de ce film que s’est amorcé le déclin de Dario Argento. Il est vrai qu’ici il recycle de nombreux thèmes qu’il avait déjà utilisés, comme cette communauté de jeunes filles qui cultivent des moqueries souterraines, avec en arrière plan les premiers émois amoureux mais aussi la férule de directrices plutôt dures. Pour ce film Dario Argento est aussi le seul producteur, c’est dire à quel point il en est responsable.
Le bus part sans elle
Une jeune fille rate le car qui amène un groupe de touristes danoises. Isolée dans la montagne, elle tente de trouver de l’aide. S’approchant d’une maison où elle pénètre, elle va être sauvagement assassinée et décapitée. La police enquête sur cette mort peu banale et un savant entomologiste, McGregor, cloué dans un fauteuil à roulettes leur permet de dater la mort de cette jeune fille à cause de la prolifération des vers. Jennifer Corvino arrive en Suisse pour rejoindre un pensionnat très réputé. Elle se lie d’amitié avec une jeune collégienne qui fume, Sophie. Une nuit Jennifer a une crise de somnambulisme, elle assiste à un meurtre, mais par la suite, elle se réveille au milieu de la route où deux jeunes gens semblent vouloir abuser d’elle. Mais elle s’échappe et va rencontrer un singe qui la guide vers le professeur McGregor avec qui elle sympathise et avec qui elle partage son amour des insectes. Mais un peu plus tard, c’est son amie Sophie qui, allant voir un jeune garçon dans le parce, est assassinée. McGregor pense qu’elle peut retrouver la maison où a été assassinée la jeune Vera Brandt. Il lui conseille de suivre les mouvements d’une mouche qu’il appelle le grand sarcophage. Elle va y arriver, mais elle tombe sur l’agent immobilier qui refuse de lui donner des informations. Elle s’en va, mais un policier vient à son tour interroger l’agent immobilier. Ils vont être tous les deux sauvagement agressés.
John McGregor aide la police à dater l’heure de la mort
Rentrée au pensionnat, Jennifer est considérée comme une folle et les docteurs l’examinent. Elle arrive cependant à s’enfuir. Mais c’est McGregor qui est à son tour assassiné. Jennifer tente de joindre l’avocat de son père, Morris Shapiro, pour qu’il l’aide à fuir le pensionnat et rentrer aux Etats-Unis. C’est pourtant Fraü Bruckner qu’il a contactée et qui est censée l’aider. Mais celle-ci l’agresse et l’enferme dans une pièce tandis que l’inspecteur Geiger arrive. La confrontation entre Geiger et Brückner tourne au vinaigre, l’inspecteur est capturé. Cependant Jennifer en suivant le fil du téléphone pour appeler au secours, va descendre dans le labyrinthe de la maison de Brückner où tous les miroirs sont recouverts. Elle arrive à la cave où elle découvre une fosse remplie de cadavres en putréfaction, mais elle est confrontée au fils de Brückner qui est en réalité un monstre. Jennifer arrive à s’enfuir en prenant un bateau, mais le petit monstre la rattrape. Une bagarre furieuse s’ensuit. Le lac prend feu ! Le monstre est mort. Jennifer arrive à rejoindre la berge où l’attend Brückner qui a décapité Shapiro et qui s’apprête à faire de même avec elle. Mais le singe intervient et la tue à coups de rasoir.
Une jeune fille est en danger
Le scénario est plein de lacunes, et cela provient d’une hésitation entre le giallo, la dernière partie du film, le film d’horreur, les cadavres en décomposition et le fils grotesque de Fraü Bruckner, et le film fantastique, le somnambulisme de Jennifer et sa capacité à communiquer avec les animaux. Ce manque de principe aboutit à un rythme déstructuré, mais aussi à des problèmes dans la direction des acteurs qui manifestement ne savent pas très bien ce qu’ils font. Jennifer est le centre du film, c’est autour d’elle que tout s’organise. Elle apparaît comme une sorte de jeune fille nihiliste qui ne croit en rien en la bonté de l’être humain, et au contraire, ce sont les animaux avec qui elle communique plus facilement, à l’exception bien sûr de McGregor, mais lui, il est cloué dans son fauteuil à roulettes, il est donc à part. Mieux vaut la compagnie des bêtes que celle des humains ! Telle pourrait être la morale de cette fable. Le singe apparaît comme un être supérieur par l’amitié qu’il manifeste aussi bien à McGregor qu’à Jennifer. Il est vrai qu’à cette époque le singe est plus qu’un élément cinématographique, c’est une question. On le retrouve dans Planet of the apes de Franklin Schaffner en 1968, dans King Kong de John Guillermin en 1976, Cia maschio de Marco Ferreri en 1978, ou encore dans Any Which Way You Can de Buddy Van Horn, un énorme succès de Clint Eastwood en 1980, et il ya aura encore Gorillas in the mist, de Michael Apted en 1988. C’est comme si on voulait signaler que l’être humain avait fait son temps et qu’il allait falloir le remplacer par le règne animal. On s’est assez peu penché sur cette fantaisie qui interroge la place de l’homme et de la nature. Cette dévalorisation de l’homme en tant que créature supérieure est au fond le contrepied d’une lecture religieuse de la création.
Jennifer est en état de somnambulisme
Dans cet univers Jennifer, la jeune et rêveuse pensionnaire ne peut être que solitaire, et c’est à travers sa solitude qu’elle s’ouvre des horizons nouveaux en communiquant avec des animaux. Cependant McGregor a tout prendre n’est pas seulement un bon grand-père, c’est aussi un manipulateur qui fait agir Jennifer dans le sens qu’il désire. Le côté mielleux de Donald Pleasance qui interprète McGregor, un habitué des rôles de tordus, renforce cette hypothèse. Du reste dans le film noir du cycle classique, le fauteuil à roulettes annonce pour le moins les ambiguïtés de son propriétaire. C’est sans doute là l’aspect le plus intéressant de cette histoire. Jennifer c’est Alice au pays des horreurs. Elle en a le comportement, mais au lieu de se lier d’amitié avec un lapin, elle le fait avec un singe et avec des insectes. On remarque que la criminelle, Fraü Brückner agit concrètement comme le demande la Reine dans le livre de Lewis Carroll, elle veut décapiter tout le monde et envoyer leurs restes pourrir en enfer. Le parallèle est encore plus frappant quand Jennifer suit le fil du téléphone et s’enfonce dans un trou qui ne semble pas avoir de fond ! Ce passage d’un monde à l’autre, s’il signifie une fuite devant le réel, montre aussi que des mondes différents cohabitent, l’un en surface, et l’autre, plus secret, dans les profondeurs de la conscience.
Jennifer et John McGregor parlent des insectes
Ce film est une éloge de la différence. Jennifer est différente, et à ce titre elle est incomprise, on la tourmente, on la taxe de folle, on menace de l’interner. Le drame de Fraü Brückner est qu’elle n’a pas admis la différence de son fils et que c’est cela, bien plus que sa laideur physique qui en a fait un monstre. Le personnage de Fraü Brückner est malheureusement insuffisamment développé. Par exemple cette femme que la vie a martyrisée cache tout ce qu’elle est, elle fait en sorte d’être le plus terne possible dans ses apparences, mais cet aspect n’est pas suffisant pour en faire une criminelle qu’on plaint pour son malheur. Il y avait là quelque chose d’intéressant qui n’a pas été exploité dans le scénario. Après tout elle aussi n’est pas très conformiste, et sa différence aurait pu lui permettre de mieux comprendre Jennifer. Elle aurait pu ainsi voir Jennifer comme l’envoyée qui est destinée à remettre de l’ordre dans le chaos.
Les médecins veulent faire interner Jennifer
Formellement, et même s’il y a quelques beaux mouvements d’appareil, même si la photo est bonne, on ne retrouve pas la patte de Dario Argento. Le travail sur les couleurs est volontairement moins important, est-ce pour donner à l’histoire une sorte de contraste entre une réalité banale et la démesure de la puissance de l’esprit de Jennifer ? Est-ce parce qu’il craint de tomber dans les artifices ? La première partie est assez molle, on a droit à un baratin fatigant de la part de McGregor sur le vent par exemple. La deuxième partie, surtout le dernier tiers, qui se rapproche un peu plus de la logique d’une enquête, avec un assassin qui poursuit Jennifer, est plus rythmée et mieux soutenue, mais la découverte de la cave avec les horreurs de la fosse remplie de cadavres en décomposition est trop grotesque pour que le spectateur ressente un malaise. Le film a été tourné pour partie en Suisse, avec l’idée de montrer que ce pays en apparence calme et prospère cache des secrets plutôt inavouables. On a beaucoup misé sur les effets spéciaux, d’abord les masques qui représentent des têtes en décomposition, ou le petit monstre lui-même, puis ensuite évidemment sur les nuées d’insectes qui viennent à la rescousse de Jennifer quand ses camarades du pensionnat l’agressent.
La luciole guide Jennifer auprès du cadavre de Sophie
Dario Argento insiste sur l’hostilité des éléments naturels, comme le vent, l’eau, le feu. Il en viendra à filmer cette incongruité qu’est un lac qui prend feu, ce qui oblige Jennifer à nager sous l’eau pour sortir du cercle de feu. Le réalisateur s’attarde longuement sur l’appareillage médical de nos sociétés, comme pour en dénoncer les excès. Il y a bien sûr le passage où Jennifer est manifestement droguée, on lui met des électrodes sur les tête, elle est reliée à des sondes. Les électrodes lui font d’ailleurs comme une couronne, histoire de démontrer qu’elle est la reine inflexible quelque part et que la médecine ne peut l’atteindre. Argento a toujours porté un regard critique sur la science et les formes modernes de la rationalité. On le voit encore quand Fraü Brückner tente de lui faire prendre des cachets. On film ces maudits cachets en gros plan pour bien en comprendre l’aspect maléfique. C’est toujours filmé en format 1 : 1,85 ce qui bride me semble-t-il Dario Argento dans sa mise en scène. Comme quoi il y a des réalisateurs qui sont attachés à un format et qui ne peuvent s’en éloigner. Ne soyons pas trop sévère cependant, il y a de très bonnes séquences comme par exemple lorsque Jennifer s’enfonce dans les sous-sols et suit une sorte de labyrinthe qui tend à la rendre encore plus prisonnière.
Les filles tourmentent Jennifer
Le film est porté par Jennifer Connelly, choisie par Argento parce qu’il l’avait vue et remarquée dans le film de Sergio Leone, Once upon a time in America. C’est un très bon choix, ne serait-ce qu’à cause de son regard curieux qu’on croit dû à une myopie. Mais toute la première partie, elle est assez terne. Elle est plus juste lorsqu’elle commence à se battre contre les démons et qu’elle cherche à se sortir du piège où elle se trouve. Elle avait à peine quinze ans ! Donald Pleasance fait du Donald Pleasance dans le rôle de McGregor. Il prend des mines entendues pour montrer combien il est supérieurement rusé par rapport à la police. La première victime, Vera Brandt est jouée par la fille aînée de Dario Argento, Fiore Argento. Daria Nicolodi dans le rôle de Fraü Brückner est plutôt discrète, le réalisateur l’affublée d’un déguisement qui la rend complètement terne. Elle ne s’anime que quand elle révèle toute la profondeur de sa méchanceté. Pour rester plus ou moins en famille, on a également Federica Mastroiani, la nièce de Marcello, dans le rôle Sophie, elle est plutôt bien.
McGregor est assassiné sous les yeux de son singe
Le film a eu un accueil médiocre et le public l’a boudé. Ce n’est pas un très bon film, l’ennui point de dans la première partie, surtout sur une durée de deux heures. Les Américains se sont moins embêtés avec la longueur, ils ont carrément enlevé 20 minutes ! La musique est mauvaise, c’est une fois de plus le groupe Goblin dont la musique a bien du mal à passer les années. Bien que le disque de la bande originale se soit très bien vendu en Italie. Malgré les velléités d’Argento, bien peu de critiques se risquent aujourd’hui à réhabiliter ce long-métrage.
Fraü Brückner a assommé Jennifer
Jennifer s’est enfuie par un trou creusé dans le plancher
Jennifer poursuit sa quête dans le labyrinthe du sous-sol
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