• Les bas-fonds newyorkais, Underworld USA, Samuel Fuller, 1960

     Les bas-fonds newyorkais, Underworld USA, Samuel Fuller, 1960

    Underworld USA est un film assez curieux dans la mesure où, tourné en 1960, il ressuscite les codes visuels, les éléments de l’intrigue et les caractères qui ont fait une partie du cycle du film noir dans sa définition classique. Souvent considéré comme un des premiers films néo-noirs, il est en fait plus proche dans l’esprit de He ran all the way et de l’esthétique de John Berry. Samuel Fuller qui, comme Melville d’ailleurs, n’a jamais eu de complexes à recycler les figures du film noir, copie presque séquence après séquence la fin du film avec John Garfield. Fuller disait que Underworld USA était un film mineur, un peu bâclé. Mais ce n’est pas le cas, il est beaucoup plus intéressant sous tous les points de vue que le prétentieux et bavard Crimson kimono, comme quoi un créateur n’est jamais le meilleur juge de son œuvre. 

    Les bas-fonds newyorkais, Underworld USA, Samuel Fuller, 1960 

    Tolly assiste à la punition d’un homme qui est battu à mort 

    Tolly Devlin est un adolescent paumé, un peu voyou, un peu voleur. Il a à peine quatorze ans quand il surprend avec Sandy qui est la maîtresse de son père, une bande de gangsters qui bat à mort un malheureux. Ils se cachent car ce sont des hommes dangereux, mais une fois ceux-ci partis, ils constatent que l’homme assassiné – on ne saura pas exactement pourquoi – est le propre père de Tolly. Celui-ci en fait en a reconnu un, Farran. Dès lors il refuse de collaborer avec la police et se fixe comme but de se venger. Il erre de maison de redressement en prison. Entre temps il va devenir un cambrioleur très adroit pour ouvrir les coffres-forts. Au cours d’un de ces séjours en prison, il va rencontrer Farran qui lui donnera le nom de ses complices. Mais celui-ci meurt avant même que Tolly ait pu se venger sur sa personne. A sa sortie de prison, il retrouve Sandy qui a vendu son bar à la clique de Gela, un des assassins de son père. Il va tenter de cambrioler ce bar, mais là il tombe sur Gus, un tueur de la bande à Gela qui est chargé de liquider Cuddles, une prostituée qui a été témoin d’un meurtre. Tolly sauve Cuddles et se met en ménage avec elle. Ayant découvert les petites combines de Gela qui trafique la drogue, il va se débrouiller pour se faire admettre dans la bande et remonter les échelons du crime organisé. Parallèlement, Driscoll travaille lui aussi à démanteler la bande de Connors à laquelle appartient aussi Gela et les assassins du père de Tolly. Le chef de la police qui est complètement corrompu se suicide quand l’étau se resserre après la dénonciation de Mekin, le comptable de l’organisation. Tolly accepte de collaborer avec Driscoll et se sert de lui pour monter les gangsters les uns contre les autres. Cuddles fait des projets d’avenir avec Tolly, mais celui-ci se fait un peu tirer l’oreille. La bande est presque démantelée, Tolly se rallie finalement à l’évidence d’épouser Cuddles. Mais ses projets d’une vie différentes ne verront pas le jour. 

    Les bas-fonds newyorkais, Underworld USA, Samuel Fuller, 1960 

    Sandy et Tolly découvre que l’homme assassiné est le père de Tolly 

    On est donc bien dans une trame classique, avec la fatalité à l’œuvre qui écrase les meilleures intentions du monde. Les principaux protagonistes, Tolly et Cuddles, sont complètement ambigus. Ce sont deux déclassés qui n’ont jamais eu de chance dans la vie. Sandy de même, elle n’a jamais pu avoir d’enfant, l’homme qu’elle aimait a été assassiné. Tout son amour elle l’a reporté sur Tolly. Mais l’idée de vengeance dépasse Tolly, et pris par ses sentiments il ne voit plus rien d’autre, alors même qu’il semblerait que son propre père ait été un bon à rien. Underworld USA renvoie selon Fuller au film de Joseph Von Stenberg, Underworld, qui date de 1927 et qui est considéré comme le premier film de gangster américain. Mais il n’est pas aussi audacieux qu’on le lit parfois ici ou là, c’est un sujet dans l’air du temps. En effet à la fin des années cinquante, J. Edgar Hoover qui avait freiné des quatre fers les enquêtes sur le crime organisé, à cause de ses compromissions avec la mafia, doit lâcher du lest, la justice s’est rebellée. Les enquêtes menées par les journalistes sont spectaculaires et l’Amérique découvre l’ampleur de la mafia dans la société. En 1955 déjà Phil Karlson tournait l’excellent The Phenix story qui prétendait lui aussi s’appuyait sur des enquêtes sérieuses sur le crime organisé, des enquêtes journalistiques, mais aussi des enquêtes de police[1]. Rappelons qu’en 1960, donc la même année que Underworld USA, Stuart Rosenberg tourne le très bon Murder Inc.[2]. Le film de Fuller qui s’inspire lui aussi d’enquêtes journalistiques est donc bien dans le ton de l’époque et du point de vue des films noirs sur la mafia, il n’est pas novateur. Son originalité tiendrait plutôt à l’intérêt qu’il porte aux caractères de cette histoire. 

    Les bas-fonds newyorkais, Underworld USA, Samuel Fuller, 1960 

    Cuddles fait des rêves d’avenir avec Tolly 

    Fuller prétendra dans ses mémoires s’être affronté avec J. Edgar Hoover qui ne voulait pas qu’on montre la pègre dans ses complicités avec la police[3]. Mais cela semble douteux, parce qu’à cette époque les structures du crime organisé sont déjà bien connues du grand public et les premiers procès commencent à en dévoiler l’ampleur. On note que le film de Fuller ne cite jamais la mafia et les gangsters qui sont sensés en faire partie ne porte pas particulièrement des noms italiens. Si le crime organisé apparait comme opérant sur l’ensemble du territoire, il ne nous ait présenté ici que des formes relativement artisanales du crime, c’est la grande différence d’avec le film de Rosenberg. Cependant cette approche n’est pas vraiment un handicap dans la mesure où Fuller ne cherche pas à réaliser une sorte de documentaire sur le sujet, mais plutôt le portrait d’un homme confronté à ses propres démons. C’est presque un film psychanalytique sur l’impossible travail du deuil. Du reste lorsque Cuddles proposera à Tolly de se marier et d’avoir des enfants, celui-ci lui rira au nez, non pas parce qu’elle n’est pas assez bien pour qu’il l’épouse, mais surtout parce qu’il ne croit pas en lui-même et à son avenir. 

    Les bas-fonds newyorkais, Underworld USA, Samuel Fuller, 1960 

    Tolly va aider Driscoll à piéger Connors et sa bande 

    Fuller n’est jamais à court d’idées pour ce qui concerne la mise en scène, que ce soit dans les mouvements d’appareil ou le choix des angles de prise de vue. C’est un film manifestement de studio, avec très peu de séquences tournées en extérieur – la seule semble être celle de l’assassinat de la petite fille de Mekin, qui est une copie de celle qu’on trouve dans The Phenix Story. Même si les décors sont soignés, il n’est pas possible de dire en quel lieu cela se passe. New York, Chicago ? On n’en sait rien contrairement au titre français. Il y a une grande fluidité dans la mise en scène, une profondeur de champ étonnante qui arrive à faire oublier la pauvreté des décors. La scène d’ouverture, et la scène finale sont saisissantes de ce point de vue, bien aidées par l’excellente photo de Hal Mohr, un vétéran qui avait travaillé sur plusieurs films noirs. Il y a moins de mouvements de grue que dans les autres films de Fuller, mais plutôt des longs travellings. Et, preuve sans doute que Fuller visait plutôt l’intimité d’un délinquant qu’une analyse du crime organisé, pour une fois il y a une multiplication des gros plans. Peut-être que la séquence de la mort de Tolly est un peu trop longue, mais dans l’ensemble c’est une réalisation très maîtrisée.

    Les bas-fonds newyorkais, Underworld USA, Samuel Fuller, 1960  

    Tolly a pris une balle dans le dos 

    L’interprétation est très bonne. Contrairement à ce qu’on dit, Cliff Robertson, qui joue le rôle de Tolly, était un excellent acteur, bien qu’il fut doté d’un physique trop banal pour accrocher le regard. Il est ici très bien dans le rôle de ce jeune marloupin, rusé, mais perdu, qui se raccroche à ses deux femmes et à ses idées de vengeance pour continuer d’exister. Il a tourné dans de très bons films, notamment avec Aldrich et Mankiewicz. S’il a été d’ébord connu pour avori incarné John F. Kennedy à l’écran, son chef d’œuvre restera sans doute Charly de Ralph Nelson en 1968, film qu’il produisit lui-même. Ici il semble que son modèle ait été le grand John Garfield dont il emprunte un certain nombre de tics. La très belle Dolores Dorn incarne Cuddles, elle est excellente. Elle n’a pas fait grand-chose au cinéma et l’essentiel de sa carrière s’est déroulé à la télévision, c’est sans doute dommage. Beatrice Kay est la vieille Sandy avec talent. A la fois maternelle et solitaire, sans doute alcoolique aussi, elle est avant tout humaine. Pour les amateurs de Fuller, ils retrouveront Paul Dubov complètement transformé dans le rôle de Gela. Mais c’est un film où tous les acteurs sont bons. Richard Rust dans le rôle de Gus le tueur glacé préfigure ceux de The killers dans la version de 1964 de Don Siegel. Et Robert Emhardt dans le rôle du louche et adipeux Connors semble refaire vivre Sydney Greenstreet, une des figures fondatrices du film noir. 

    Les bas-fonds newyorkais, Underworld USA, Samuel Fuller, 1960 

    Cuddles court au secours de Tolly 

    C’est donc un film noir très convaincant, bien rythmé, dont le formalisme est toujours en phase avec le propos. Et si on ne s’arrête pas trop à la vérité de l’histoire, il y a une vérité des personnages assez évidente qui n’a pas vieilli. 

    Les bas-fonds newyorkais, Underworld USA, Samuel Fuller, 1960 

    Tolly ne peut aller bien loin

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/the-phenix-city-story-1955-phil-karlson-a114844904

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/crime-societe-anonyme-murder-inc-stuart-rosenberg-1960-a114844704

    [3] Un troisième visage, Allia, 2011.

    « Le kimono pourpre, The crimson kimono, Samuel Fuller, 1959L’antre de la folie, Behind locked doors, Oscar Boetticher, 1948 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :