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L’antre de la folie, Behind locked doors, Oscar Boetticher, 1948
C’est un petit film B, signé Oscar Boetticher. Celui-ci est surtout connu pour ses westerns, mais il a signé également quelques films noirs plus ou moins intéressants[1]. Celui-ci serait probablement tombé dans l’oubli si en réalité il n’était précurseur de Shock corridor de Samuel Fuller. Ce n’est donc pas un des films majeurs de Boetticher. Il faut croire que la psychiatrie et les cliniques avaient connu un développement très important pour que les Américains se saisissent de ce thème. Notez que les prémisses de Shock corridor sont d’après Fuller lui-même datées de la fin des années quarante, à cette époque il se proposait d’écrire un scénario pour Fritz Lang lui-même. Périodiquement c’est un sujet qui revient à la mode comme si les Américains dont l’idéal de liberté est toujours mis en avant, trouvaient là de nouvelles raisons de méfiance.
Kathy suit Madge qu’elle soupçonne d’être en relation avec le juge Drake
Ross Stewart est un détective fauché qui a même du mal à payer le peintre qui grave son nom sur la porte de son bureau. Un jour il reçoit une proposition d’une journaliste : celle-ci suppose que le corrompu juge Drake qui est recherché par la police s’est réfugié dans la clinique du docteur Porter. Elle voudrait donc que Ross se fasse passer pour fou afin de vérifier ses intuitions. Elle l’appâte en lui promettant de partager avec lui la prime de 10 000 $ qui est attachée à la capture du juge. En même temps elle compte en tirer aussi un article qui lui assurera la gloire. Ils vont donc se faire passer pour mari et femme. Avec l’aide d’un psychiatre complaisant, Ross va pénétrer dans la clinique. Là il va se rendre compte que les malades sont très maltraités, et que la clinique ressemble plus à une prison dont on ne peut sortir, qu’à un lieu de guérison. Bientôt Ross repère le juge qui se cache dans le quartier de sécurité. En face de la cellule du juge loge un ancien sportif, catcheur ou boxeur, qui veut en découdre avec tout le monde. Il y a deux gardiens, l’un est mauvais et sadique, Larson, l’autre au contraire aimerait venir en aide aux malades. Mais Ross va se faire repérer bêtement, il est à son tour enfermé avec The champ et reçoit une raclée qui le laisse KO. Mais Kathy soupçonne que Ross a été éliminé, été tandis qu’elle va à la clinique en se faisant passer pour Madge, Hopps a téléphoné à la police. Drake sera arrêté et Ross et Kathy pourront filer le parfait amour.
Kathy va faire une proposition au détective Ross Stewart
Le film dure à peine une heure, et le scénario est finalement assez simple. Du reste on ne sent jamais vraiment le détective en danger. L’histoire est due à Malvin Wald qui a beaucoup écrit pour le film noir, entre autres il a travaillé sur The naked city de Dassin, mais aussi avec Joseph H Lewis été Ida Lupino. Sa rapidité dans le travail d’écriture, mais aussi le fait qu’il ait été blacklisté du fait de ses opinions avancées, l’a un peu éloigné des studios. Si on regarde au-delà du simple divertissement, il ressort que l’Amérique avait un problème avec tout ce qui est psys. On trouve déjà des cliniques louches dans les romans noirs de Dashiell Hammett (The Dain Curse qui date de 1929) ou de Raymond Chandler (Farewell my lovely qui est publié en 1940). A chaque fois il s’agit d’une dépossession de personnalité par des médicaments, par une institution. Mais ici ce thème est à peine effleuré dans la première partie. Il est rapidement abandonné au profit d’une simple histoire de détective. Bien sûr on retrouvera le thème des mauvais traitements, mais seulement à travers Larson, le gardien sadique. C’est sans doute parce que le scénario est un peu trop simple que Boetticher, sans le renier, considérera son film comme mineur.
Le cruel Larson a encore battu le malheureux Jim
La réalisation est plus intéressante. Il y a une grande précision dans la construction des plans, avec une économie de cadrage remarquable. Cette sobriété permet de travailler avec des décors assez stylisés, tout en jouant sur les nuances de gris et sur les éclairages. Les mouvements de caméras sont assez rares, mais ils saisissent parfaitement le sens du déplacement des personnages, par exemple dans la scène d’ouverture qui voit Kathy suivre Madge, avec un mouvement tournant au coin de la rue. D’autres mouvements d’appareil concernent, tout en suivant la grammaire du film noir classique, les escaliers et la montée toujours problématique dans les étages. L’ensemble s’appuie sur une très belle photo de Guy Roe, qui a aussi pas mal travaillé sur des films noirs de série B, on le retrouve sur Armored car robbery d’Anthony Mann, ou Railroaded de Richard Fleischer, des films qui sortent du lot.
Le juge Drake se cache bien dans la clinique
Qui dit petit budget dit également acteurs peu connus, le plus souvent avec un manque de charisme patent. Le détective c’est Richard Carlson, le plus souvent abonné aux films de série B, il avait joué déjà un médecin retenu en otage dans un film peu connu de Douglas Sirk, Fly-by-night, en 1942. Mais ici il n’est pas question de drame profond et poignant, c’est plutôt d’une comédie qu’il s’agit, avec de l’action évidemment. Il est bien, mais sans plus. Lucille Bremer qui par ailleurs n’a pas fait grand-chose d’important comme premier rôle, est suffisamment dynamique pour qu’on croit à son ambition. C’est une sorte de Julianne Moore des années quarante, sans glamour. Par contre il y a deux seconds rôles intéressants. D’abord le sinistre, cupide et lâche docteur Porter, il a une tête de faux jeton étonnante, la tête de Thomas Browne Henry. Malheureusement pour nous, il a fait presque toute sa carrière à la télévision. Et puis il y a The champ, interprété par Tor Johnson, un ancien catcheur, spécialisé dans les rôles de monstres pour films de série B, en général des films où il n’a pas beaucoup de texte à dire. On peut y voir le précurseur de Gregorius, le catcheur de Night and the city. Je parierai que c’est dans ce films que Dassin a trouvé son inspiration.
The champ rêve d’en découdre avec n’importe qui
Ce n’est pas un grand film noir, mais sans doute peut on y trouver un intérêt historique, d’autant qu’il est tout de même assez distrayant. Et puis il y a la patte de Budd Boetticher qui en ces temps lointains signait encore Oscar Boetticher. Cela fait suffisamment de raisons pour le voir. La version DVD qu’on trouve dans la collection Serial polar est accompagnée d’une introduction de Bertrand Tavernier qui fait encore la démonstration qu’il connait bien le cinéma américain et qu’il en parle avec amour.
Kathy vient prendre des nouvelles de Ross
Ross regarde par la fenêtre et voit arriver Madge
[1] Voir par exemple The killer is loose. http://alexandreclement.eklablog.com/le-tueur-s-est-evade-the-killer-is-loose-budd-boetticher-1956-a114844612
« Les bas-fonds newyorkais, Underworld USA, Samuel Fuller, 1960Shock corridor, Samuel Fuller, 1963 »
Tags : Budd Boetticher, Film noir, Lucille Bremer, Richard Carlson, asile d'aliénés
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