• Les clandestines, Raoul André, 1955

     Les clandestines, Raoul André, 1955 

    Raoul André reprend à peu près le même thème que dans Marchandes d’illusion et il réembauche la même équipe. C’est Raymond Caillava qui écrit le scénario dont il tirera un roman, Roger Fellous qui sera derrière la caméra et les acteurs seront un peu les mêmes, on retrouve Philippe Lemaire, Nicole Courcel, Paul Demange ou encore Yoko Tani. La société de production est aussi la même.  C’est encore une histoire qui met en scène la fascination qu’on peut avoir pour le putanat, qu’il soit haut de gamme ou qu’il flirte avec le caniveau. Les deux films sortent l’un derrière l’autre, d’une manière assez rapprochée. La musique de Daniel Lesur est d’ailleurs tout aussi mauvaise que celle de Marchandes d’illusion. Il y a comme une volonté d’amortir les coûts. Le propos va se déplacer du trottoir vers les réseaux de call-girls dont les journaux commencent à parler comme d’un immense scandale. 

    Les clandestines, Raoul André, 1955 

    Pierre est accueilli par son avocat à sa sortie de prison 

    Le Prince Louis d’Osterkoff, dit P.L., drague dans les magasins de haute couture où des bourgeois viennent admirer les nouveaux modèles. Mais ce n’est pas un métier facile, et Véronique qui pour un rendez-vous avec le Prince emprunte une robe à son employeur va se faire renvoyer. Pierre vient de sortir de prison, soutenu par son avocat, il va tâcher de se remettre dans le droit chemin, mais avant cela, il veut rendre visite à son grand-père qui habite au-dessus d’une librairie pour bibliophiles tenue par madame Baduel. Pierre est décontenancé quand il voit que l’appartement de son grand-père est occupé par une jeune chinoise un peu dévêtue. Il cherche à retrouver son grand-père, mais il apprend qu’il s’est suicidé. Il va chercher à savoir pourquoi, il sera plus ou moins bien aidé dans sa quête par un couple de bistrotiers qui officient en face de la librairie. De son côté Véronique aux abois va finir par écouter Eliane, son amie, qui lui dit que call-girl c’est un métier assez tranquille qui peut rapporter de l’argent. Véronique a aussi un gosse en nourrice quelque part, et ça coûte cher. Mais elle est tout de même assez rétive. L’appartement qu’occupait le grand-père de Pierre sert en fait à des amours clandestines. La propre femme de l’avocat de Pierre y retrouve son amant. Et Pierre va tomber nez à nez avec elle ! Le vieux et riche Girault qui rêve d’entretenir Véronique va cependant y renoncer d’une manière assez élégante lorsqu’il comprend que cela serait forcer ses sentiments. Pierre cependant fait peur à madame Baduel par son obstination à découvrir les raisons du suicide. Le Prince envoie son chauffeur qui est aussi son homme de main pour régler discrètement son compte. Mais Pierre sait se défendre et malgré sa blessure s’en tire grâce à la complicité de Véronique. Dès lors une liaison commence entre les deux jeunes gens. Pierre retourne dans l’appartement pour essayer de trouver des preuves, et il en trouve, d’abord le fameux album de call-girls, mais aussi de l’héroïne et de la morphine qui laissent entendre que le réseau couvre aussi un trafic de drogue. Il est surpris dans sa besogne par madame Baduel qui, armée d’un revolver, téléphone au Prince qui n’est qu’un vulgaire maquereau. Ils comprennent qu’ils sont grillés et vont s’enfuir. Quand Eliane apprend leur fuite, elle téléphone à la police afin que celle-ci les intercepte à l’aéroport. Tout est bien qui finit bien, Pierre taira les écarts de conduite de la femme de son avocat et on suppose qu’il filera le parfait amour avec Véronique après avoir retrouvé le chemin de la vertu. 

    Les clandestines, Raoul André, 1955

    Eliane tente de convaincre Véronique que call-girl est aussi un métier 

    Le thème général pourrait être qu’au fond les apparences sont trompeuses et que les plus honnêtes ne se trouvent pas forcément du côté de l’argent et de la bourgeoisie. On peut sortir de prison et être finalement plus honnête qu’un faux Prince ou qu’une libraire pour snobs égarés. Je ferais remarquer que cette idée selon laquelle un commerce d’ouvrages pour bibliophiles cache un réseau prostitutionnel a été emprunté à The big sleep de Raymond Chandler et probablement au film qu’en a tiré Howard Hawks. C’est une manière indirecte de donner un coup de griffe à la littérature bourgeoise et à ses prétentions à donner des leçons de morale. Les prostituées ont des excuses, elles sont victimes de la dureté des temps et de la rigueur de leurs employeurs. Si Véronique est tentée par la prostitution, c’est parce qu’elle a des dettes et qu’elle ne sait pas comment s’en sortir. Pierre qui sort de prison a été lui aussi victime des circonstances de la vie. En haut de la pyramide des responsabilités, il y a l’argent et les clients qui se servent de leur position pour abuser. De ce point de vue, madame Baduel et le Prince s’ils ne sont pas innocents semblent aux aussi avoir des excuses, ils exploitent les riches barbons.

    Les clandestines, Raoul André, 1955 

    Madame Baduel, le Prince et Eliane ont un plan 

    Dans ce manège singulier, le film oppose la chambre de bonne où habite Véronique au luxueux appartement dont madame Baduel se sert pour organiser ses rendez-vous. Le clinquant du Prince qui sa balade dans une grosse voiture avec chauffeur, fait face à la simplicité de Pierre qui est mal à l’aise dans tous les lieux qui sont trop riches, y compris chez son avocat qui, on le sent, se fait plaisir en se donnant comme bonne action l’aide qu’il procure à Pierre. A côté de Pierre se trouve les bistrotiers, des gens simples et sans malice qui l’aident parce qu’ils ont compris qu’il sortait de prison et parce qu’ils méprisent les riches et les prétentieux. C’est donc l’analyse du putanat comme un ersatz de la lutte des classes. Bien entendu cela s’accompagne d’une critique de ceux et celles qui se laissent aller à la tentation de consommer des objets pour se donner l’illusion de la richesse. Cette critique s’adresse à ces jeunes femmes qui, parce qu’elles sont belles, pensent que cette beauté peut se monnayer et leur éviter de travailler. 

    Les clandestines, Raoul André, 1955 

    Véronique doit se farcir ce vieux barbon de Girault 

    L’intrigue est simple et sans problème, mais elle est filmée un peu n’importe comment et sans grâce, c’est nettement moins bon que Marchandes d’illusion. Raoul André n’était pas amateur des mouvements de caméra ni de la profondeur de champs. Ça fait un peu théâtre filmé C’est du studio avec des décors qui sentent un peu le carton-pâte. Même les scènes de bagarre sont plutôt mal filmées et on voit clairement que Philippe Lemaire est doublé par un frisé qui prend place pour faire face au chauffeur du Prince, incarné par l’ancien champion de boxe des poids moyens Laurent Dauthuille, surnommé le Tarzan de Buzenval ! La photographie est très bonne, mais la mise en scène est paresseuse, comptant sans doute sur la percussion des dialogues pour faire passer l’ensemble.  

    Les clandestines, Raoul André, 1955 

    Le chauffeur du Prince braque Pierre 

    L’interprétation est plus intéressante. D’abord Philippe Lemaire qui à cette époque était un acteur de premier plan, jeune premier canaille, abonné à des rôles de gigolos ou de petit voyou. Il a une présence évidente dans le rôle de Pierre. Ensuite Maria Mauban, autre actrice oubliée de cette époque. Elle est excellente dans le rôle de madame Baduel. Nicole Courcel qui est Véronique a franchement l’air de s’ennuyer et de ne pas croire à cette histoire, il faut dire qu’à cette époque elle n’arrêtait pas de tourner, jusqu’à six films par an ! Dominique Wilms habituée des rôles de pute et de traitresse est Eliane, elle apporte une bonne dynamique à un ensemble qui en manque beaucoup. Il y a un acteur curieux, Alex D’Arcy qui tient très mollement le rôle du Prince. Cet acteur mollasson d’origine égyptienne fera une carrière internationale et tournera beaucoup à Hollywood. André Roanne dans le rôle du vieux et riche Girault apporte une touche d’élégance et de mélancolie qui est plutôt bienvenue. J’aime bien aussi le couple de bistrotiers, Simone Berthier et Paul Demange, des vieux routiers toujours en place. Un œil exercé reconnaitra aussi Daniel Cauchy dans le rôle d’un passant qui débarque d’un taxi avec une jolie fille. Yoko Tani qui deviendra l’égérie d’Yves Ciampi fait également une courte apparition dans le rôle d’une Chinoise, ce qui est une performance pour une japonaise !! 

    Les clandestines, Raoul André, 1955 

    Véronique soigne Pierre 

    Beaucoup moins dramatique et nettement moins percutant que Marchandes d’illusion, c’est le genre de film qui a pris un sacré coup de vieux mais qui est tout de même intéressant à cause du parfum d’époque et qui nous éclaire sur l’évolution lente de l’image de la femme dans une société en voie de modernisation rapide. Les clandestines fait partie de ce cinéma de transition qui assimile rapidement les canons du film noir en lui donnant cette touche si française et si décontractée. C’est cependant un film à remettre dans son contexte historique.

    Les clandestines, Raoul André, 1955  

    Pierre cherche des preuves contre Madame Baduel 

    Les clandestines, Raoul André, 1955 

    Madame Baduel menace Pierre

    Les clandestines, Raoul André, 1955  

    Eliane a décidé de faire arrêter madame Baduel et le Prince

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