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Les tribulations des biopics au cinéma
Pour moi le biopic est la calamité de la production cinématographique, il est le plus souvent inutile et ennuyeux. Le terme biopic est un anglicisme assez laid qui correspond bien à ce que finalement on voit sur l’écran. C’est l’adaptation de la vie d’un individu connu pour le faire revivre à l’écran. Les critiques sur le Napoléon de Ridley Scott ont ravivé le débat sur les biopics. Ce film qui a coûté très cher – on parle d’un budget de 200 millions de dollars – n’est que la 180ème apparition de Napoléon à l’écran. L’idée générale est de s’assurer que la renommée du personnage et l’énormité du budget suffiront pour assurer le succès commercial. Le film a été très critiqué. D’abord pour ses inexactitudes historiques factuelles. Ce n’est pas parce qu’on filme un personnage que manifestement on déteste pour mentir sur les faits. Des historiens ont relevé des « erreurs » toutes les cinq minutes durant lesquelles se déroule le film. Ce premier problème est différent d’une simplification outrancière, il est une reconstruction selon la fantaisie du scénariste. Le second problème est que Ridley Scott qui n’a dans sa vie fait que deux films – Blade Runner et Thelma & Louise – a cherché à se donner une allure d’intellectuel alors qu’il n’est au mieux qu’un bon technicien de l’image. Pour cela il a essayé de trouver les motivations de Napoléon dans la psychologie du personnage ! Là ça se gâte clairement, c’est-à-dire qu’il va inventer ce dont il ne sait rien, il imagine. En réalité, ce piège se referme sur Ridley Scott qui en inventant de toute pièces un portrait psychologique du « grand homme » n’arrive à prouver que sa détestation de celui-ci. Est-ce un motif suffisant pour faire un film ? Ridley Scott est britannique, ou anglais comme vous voulez, les Anglais ont toujours eu deux détestations, la France et la Russie, et donc son but est de rabaisser son sujet pour démontrer qu’au fond celui-ci n’était qu’un médiocre dictateur guidé uniquement par ses sentiments amoureux et une sexualité mal outillée. Entendons-nous bien, je ne suis pas pour Napoléon, et son projet européen – on dirait européiste aujourd’hui – ne me concerne pas. Mais Napoléon ce n’est pas qu’un militaire, ce fut aussi un réformateur de première importance dont le travail a essaimé en Europe et dans le monde entier. Je rappelle que le père de Marx, un Rhénan, souhaitait que la France annexe la Rhénanie qui était hostile à la brutalité des Prussiens. Au passage on a droit au jérémiades habituelles sur cette pauvre Reine décapitée, et la cruauté des sauvages révolutionnaires. Pour Ridley Scott la Révolution de 1789 c’est que du pipi de chat. Bien que la polémique et une campagne publicitaire de très grande ampleur, lui aient permis de connaitre un bon démarrage, le bouche-à-oreille n’a pas fonctionné, ou plutôt il a fonctionné à l’envers : ceux qui l’ont vu ont découragé les autres potentiels spectateurs d’y aller s’emmerder. En seconde semaine l’audience avait chuté de plus de 50% ! Ce qui est une preuve suffisante de l’ennui que ce film procurer mais aussi du fait que les Français ne sont pas dupes des fantaisies historiques malveillantes.
Napoléon à Iéna
Ridley Scott dont la culture historique comme celle de son scénariste semble tenir sur le dos d’un timbre-poste, aurait dû, avant de se lancer dans cette entreprise stupide – essayer de comprendre ce qu’écrivait Hegel à l’aube de la bataille de Iéna : « J'ai vu l'Empereur- cette âme du monde – sortir de la ville pour aller en reconnaissance ; c'est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s'étend sur le monde et le domine »[1]. L’immense philosophe avait perçu la dimension d’un personnage, comme, plus jeune, il avait compris l’importance historique de la Révolution française. Mais ne nous étendons pas sur les mérites intellectuels comparés entre Ridley Scott et G. W. F. Hegel. Le troisième reproche – qu’on retrouve dans 100% des biopics – c’est que Joachim Phoenix, abonné aux biopics, on l’avait vu dans le rôle de Johnny Cash, n’est pas du tout compatible avec le physique de Napoléon. Non seulement il est trop grand, mais il est trop vieux pour jouer le rôle d’un fringuant militaire de 26 ans, alors qu’il en avait 48 au moment du tournage. Dans le Napoléon à la sauce Ridley Scott on trouve encore Tahar Rahim aux yeux noirs pour interpréter Joachim Murat, le maréchal d’Empire aux yeux clairs. Et on pourrait continuer comme ça longtemps en repassant toute la distribution.
A vrai dire ces problèmes qu’on retrouve dans le Napoléon de Ridley Scott sont toujours un peu les mêmes pour les autres biopics. Laurent Jaoui a essayé de faire revivre Albert Camus, dans un modeste téléfilm en 2010. Évidemment Stéphane Freiss jouant Albert Camus qui avait un physique très particulier, c’est un peu incongru. Mais là encore l’idée était de faire rentrer le spectateur dans l’intimité de l’écrivain pour le rendre plus humain, et là encore on abordera le sujet à partir de ses relations féminines, passant quasiment sous silence tout ce qu’il pouvait être en sus. Comme quoi quand Ridley Scott affabule sur le rôle de Joséphine dans la détermination de Napoléon, il n’innove en rien. Beaucoup de biopics servent de support à des téléfilms parce que cela donne une apparence de pédagogie culturelle. Faciles à financer avec les télévisions, ces téléfilms sont le plus souvent le résultat d’une paresse scénaristique. Le plus souvent les biopics souffrent d’un budget tout aussi paresseux que le scénario. Ce qui n’est pas le cas bien entendu du Napoléon. Or plus on recule dans le temps et plus la reconstitution d’une époque est difficile, que ce soit pour les vêtements, les coupes de cheveux ou même les traits d’un visage.
Albert Camus, téléfilm de Laurent Jaoui, 2010
Mais pourquoi faire des biopics qui ne peuvent même pas s’apparenter de loin à de la vulgarisation historique ? Quel est le but ? Le réalisateur vous dira que longtemps il a été fasciné par son sujet. Mais cela ne serait être une justification. Presque toujours c’est la pédagogie qui prime, même chez Ridley Scott qui veut apprendre au monde entier combien Napoléon était lâche, un peu idiot et malhabile. Comme on le sait le pédagogisme n’est jamais bien loin de la propagande et pour cela il amène des simplifications abusives qui vont soutenir sa thèse. Prenons le cas de Selma, un biopic de Martin Luther King. Le but est de montrer combien ce grand homme a dû lutter pour mobiliser les foules en faveur des droits civiques. Ce film qui a été produit pour 20 millions de dollars et qui en a rapporté près de 70, a eu un excellent accueil aux Etats-Unis, essentiellement parce que personne ne voulait contester le sujet. À l’étranger le film a été assez faiblement suivi, parce que Martin Luther King est un personnage qui, quoi qu’on en pense, n’a de sens qu’aux Etats-Unis, un pays nativement malade de son mélange extravagant de races, pays dans lequel toutes les communautés ethniques se haïssent les unes, les autres. Le film fait l’impasse sur les zones d’ombre de Martin Luther King, et donc vise à lui donner une valeur iconique renforcée. Spielberg qui est lui aussi amateur de biopics – on l’a vu avec Schindler’s List et il faillit réaliser American Sniper – va produire en 2024 un autre film sur Martin Luther King. À croire que le premier n’a pas assez convaincu le peuple des bienfaits du multiculturalisme. Universal a donc acheté les droits d’un livre qui fut un grand succès de librairie – c’est une assurance – King : A Life de Jonathan Eig. Là encore il s’agira de montrer uniquement le courage et la détermination de l’homme. La réalisation de ce film à forte valeur pédagogique sera confiée à Chris Rock, un acteur comique. Ce qu’on fera du livre de Jonathan Eig n’a pas d’importance, c’est juste la caution morale.
Selma, Ava DuVernay, 2014
Le biopic n’est pas seulement paresseux dans la recherche d’un sujet pour trouver de l’argent, il est aussi très racoleur. L’idée générale est de se hisser sur les épaules d’un grand homme afin de profiter de son aura et de se donner de la visibilité. Dans le temps les biopics étaient des films édifiants. Par exemple Paul Muni qui s’était fait une spécialité de la chose, incarnera Louis Pasteur et Émile Zola dans la foulée. Et puis encore pour faire le bon poids, le président mexicain Benito Juarez. C’était pourtant un excellent acteur, mais il se laissait lui aussi aller à la facilité d’un succès concocté dans les officines de la Warner. À travers ces figures qu’incarnât pourtant magistralement Paul Muni, le cinéma déversait une idéologie pernicieuse du grand homme, dévoué, droit, qui change l’histoire et nous mène vers le bien. On n’en était pas à la déconstruction à la Ridley Scott, mais au fond c’est le même principe. Vous remarquerez que le « dictateur » c’est un produit qui se vend très bien. Le grand homme, non ou mauvais possède la capacité de dédouaner le peuple de ses responsabilités, mais il est rare qu’au cinéma on se demande pourquoi les Allemands ont suivi Hitler et pourquoi les Russes ont pleuré à la mort de Staline. On ne compte plus les films sur Hitler ou sur Staline. Les rois et la cour c’est tout de même moins vendeur, voir l’insuccès relatif du film Jeanne du Barry qui ne rentrera pas dans ses fonds et les films destinés à nous faire pleurer sur le triste sort de Marie-Antoinette, n’ont rien de mémorables. Le pédagogisme au cinéma est le revers des biopics, et c’est une autre plaie béante pour cet art.
Les gens du spectacle sont aussi une réserve prodigieuse de sujets faciles qui assureront un public minimum à l’entreprise. Elvis Presley, Marilyn Monroe, Charles Chaplin, Buster Keaton, tous ont eu droit à plusieurs biopics. Le plus souvent ce sont des nullités infâmes, sans contenu. Là où on descend encore plus bas c’est quand des réputés « grands » réalisateurs se mêlent de faire de la propagande pour leur personnage. Ça vire à la vie des saints ! Ainsi voit-on Clint Eastwood réaliser une hagiographie de l’ignoble J. Edgard Hoover, chef inamovible du FBI pendant de longues années, en oubliant volontairement qu’il était à la fois homosexuel et totalement corrompu par la mafia qu’il évitait de traquer, mettant en avant la peur des communistes pour renforcer le pouvoir d’un capitalisme débridé. Le pire est sans doute que Leonardo Di Caprio se soit prêté à cette fantaisie proprement réactionnaire en incarnant un petit homme bedonnant d’un mètre soixante à la figure de bouledogue, lui qui fait un mètre quatre-vingt-trois et qui possède un physique de jeune premier ! Le film n’évoque même pas ce qui est pourtant connu de tous : il possédait des dossiers sur tous les politiciens qu’ils soient démocrates ou républicains d’ailleurs, ce qui lui permettait de les faire chanter et de garder le contrôle du FBI. Le film eut bien du mal à couvrir ses frais.
J. Edgar, Clint Eastwood, 2011
Martin Scorsese qui tourna, sans grand succès une vie de Jésus sous le titre de The Last Temptation of Christ en 1988, se livra à une autre vie des Saints en mettant en scène toujours avec Léonardo Di Caprio, The Aviator en 2004. Il s’agissait de la vie d’Howard Hugues qui n’était pas seulement fou, mais qui était également un comploteur de première, se débrouillant pour piller les fonds de l’État fédéral pour produire un avion qui ne marcherait jamais ! Des biographes très sérieux d’Howard Hugues considèrent d’ailleurs qu’il prit une part active dans le complot menant à l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Ne comptez pas sur cette bluette pour que Martin Scorsese qui ne pouvait pas ignorer ces faits, vous apprenne quelque chose, il ne sait rien, il ne dit rien. Là encore Leonardo Di Caprio prêta sa haute taille et son physique de jeune premier pour incarner le gringalet Howard Hugues qui se lavait une fois tous les quinze jours. L’intention était de construire la légende, de s’y tenir et de l’amplifier, bref de tromper le client. Martin Scorsese a toujours eu un rapport à la vérité historique des plus aléatoire. Dans le médiocre The Irishman, il prenait pour argent comptant les fables de Frank Sheeran qui prétendait avoir assassiné Jimmy Hoffa. Tout le monde sait que c’est faux, mais encore une fois Martin Scorsese veut ignorer ce que tout le monde sait. Mais alors pourquoi prétendre filmer une histoire vraie, alors que le scénario relève de l’imagination ? Là encore le choix de Robert De Niro, relativement petit de taille, pour incarner le grand et massif Frank Sheeran peut étonner. Mais pourquoi diable les grands acteurs s’obstinent-ils à incarner de tels fantômes ? Probablement, au-delà du cachet important qu’ils touchent, ils pensent qu’ils auront beaucoup de succès, mais également ils veulent démontrer leur capacité à se transformer. Soyons juste avec De Niro et Scorsese, Raging Bull qui narrait la vie de bâton de chaise de Jack LaMotta est une vraie réussite. L’Amérique aime les légendes fondées sur des mensonges, je ne vous parle même pas du général Custer qui longtemps apparut d’abord aux yeux du public américain comme un homme de bien, un patriote amoureux de son pays et en défendant la sécurité contre les sauvages, puis au fil du temps comme ce que l’Amérique avait produit de plus détestable et de plus fou.
Frank Sheeran et son interprète
Le biopic c’est d’abord une manière de produire du mensonge : le premier mensonge est d’annoncer qu’il s’agit là d’une histoire vraie, le second est dans le traficotage de la réalité factuelle pour faire passer un message. Clint Eastwood, encore lui, est un spécialiste du message politique rampant. Son plus grand succès est American Sniper, il s’agit de la vie de Chris Kyle, un ancien des SEAL, champion de tir qui va s’engager dans l’armée pour aller combattre en Irak[2]. Il a bien existé. Croisé de Dieu, bagarreur et buveur, il sera assassiné dans des circonstances assez troubles à cause des relations qu’il entretenait avec des furieux d’extrême-droite et il se flattait d’avoir tué beaucoup d’Irakiens, il disait qu’il aurait aimé en tuer encore un peu plus. Mais tout cela Clint Eastwood s’en fout. Non seulement il en fera un homme de conviction qui se bat pour la patrie, mais il introduira une idée saugrenue, Kyle qui engage une lutte entre un Irakien lui aussi champion de tir. Bien entendu le prétexte foireux de rendre hommage à Chris Kyle lui permet de dire qu’il y a de bons tueurs – Chris Kyle – et des mauvais tueurs – Mustafa, un Syrien, un étranger qui n’a pas à se trouver là pour gêner les bons Américains qui tentent gentiment de mettre fin à la guerre civile entre les chiites et les sunnites et de rétablir l’ordre. Chris Kyle était également connu pour être un raciste, un vrai, un suprémaciste. Ce niveau de connerie est impardonnable, c’est bien plus que de l’affabulation, c’est de la grossière propagande américaine. Je veux bien que Clint Eastwood ne soit pas très instruit de la chose politique, mais il ne pouvait pas ignorer tous ces éléments qu’il range soigneusement sous le tapis. C’est un des films les plus honteux qui m’ait été donné de voir et classe Clint Eastwood parmi les vrais médiocres et les fausses gloires. Mais sans doute que ce film de propagande a connu un grand succès parce qu’au fond il représente une sorte de jeu vidéo assez peu sérieux. Curieusement alors que ce film a déclenché une polémique violente sur les intentions et les mensonges du réactionnaire Clint Eastwood aux Etats-Unis, en France la critique cinématographique, globalement bienpensante et progressiste, n’a pas relevé la tête, avalant les écœurantes couleuvres sans broncher !
American Sniper, Clint Eastwood, 2014
En France on est aussi plus modeste, depuis le flamboyant Napoléon d’Abel Gance en 1927 du temps du mue, et celui de Sacha Guitry en 1955 on évite d’investir trop d’argent dans le biopic historique, le Vercingétorix de Jacques Dorffman en 2001 a beaucoup fait rire, mais au fond il n’était pas plus ridicule que le film de Ridley Scott. Chez nous on se contente de biopics foireux sur des artistes parfumés, Cloclo de Florent Siri, ou encore Coco Chanel & Igor Stravinsky, réalisé en 2009 par Jan Kounen, voire pour les plus audacieux un Gainsbourg, vie héroïque de Johan Sfar en 2010. Coco Chanel a suscité cinq films, dont quatre américains, tous sont inutiles. Et encore je ne dis rien sur les films qui ont été inspirés par la vie chaotique d’Edith Piaf. Je ne sais pas lequel est le plus ridicule, Edith et Marcel tourné par Claude Lelouch en 1983, centré sur la relation entre la chanteuse et le boxeur Marcel Cerdan, ou La Môme d’Olivier Dahan qui ajoute au ridicule du scénario celui d’avoir donné le rôle de la célèbre chanteuse à Marion Cotillard. Dans cette daube apparaissait aussi le transformiste Gérard Depardieu, ce même Depardieu qui n’aura pas peur de se ridiculiser dans une énième version de Raspoutine, le moine fou, mais là il avait l’excuse d’être dans un téléfilm sans importance de Josée Dayan !
La Môme, Olivier Dahan, 2007
[1] Correspondance, Gallimard, 1962 T. l, p. 114
[2] http://alexandreclement.eklablog.com/american-sniper-clint-eastwood-2015-a114844494
Tags : Biopic, Ridley Scott, Martin Scorsese, histoire
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