• Marc Dugain, Ils vont tuer Robert Kennedy, Gallimard, 2017

      Marc Dugain, Ils vont tuer Robert Kennedy, Gallimard, 2017

    Marc Dugain est fasciné par l’Amérique, pas tant par le fait que cette société serait un modèle, ou une nation riche et dynamique, mais plutôt dans le fait que, malgré tous ses atouts, elle n’engendre finalement que le Mal. Sans doute est-ce pour cela que ce pays n’arrive pas à s’émanciper de la religion. Il y a quelques années, il avait exploré la face sombre de J. Edgar Hoover. C’était excellent parce que le chef du FBI, inamovible durant des décennies, était aussi un comploteur de première. Une crapule qui, dans une démocratie normalement constituée aurait dû finir sur la chaise électrique ou à tout le moins au bagne[1]. On le retrouvera d’ailleurs en guest star dans Ils vont tuer Robert Kennedy. C’est l’histoire d’un professeur d’université qui enquête sur l’assassinat de Robert Kennedy entre autres parce qu’il pense que cet assassinat est en rapport avec les décès prématurés et mystérieux de ses deux parents. Il va remonter en même temps le fil de ces deux affaires et tenter de prouver qu’au fond elles n’en font qu’une.  

    Marc Dugain, Ils vont tuer Robert Kennedy, Gallimard, 2017

    Il y a donc trois niveaux de lecture, d’abord le niveau de l’enquête. Dugain fait le point sur les assassinats des deux frères Kennedy, et il n’a aucun mal de montrer qu’il s’agit d’un complot, et non pas à chaque fois de tueurs isolés agissant pour leur propre compte. Que ce soit Oswald ou Sihran, ces deux illuminés n’ont pas pu être les auteurs tous seuls de ces attentats. Le second niveau est celui de la fiction : le narrateur est à la recherche de ses parents, et il imagine des connexions avec la mort de Robert Kennedy. Evidemment va se poser la question des rapports entre ce qui est vécu et ce qui est réel. N’est-il pas un peu devenu paranoïaque avec tout ce temps passé à se poser des questions qui n’ont pas vraiment de réponse. Le troisième niveau est « politique ». Au fond, sommes-nous bien sûr de vivre en démocratie ? En effet nous voyons des groupes compliqués s’agiter pour impose leurs vues : la FBI, la mafia, celle de Giancana, la CIA, et quelques milliardaires qui mettent la main à la poche pour assouvir des buts très obscurs et nuisibles à la société. C’est une critique en creux du capitalisme. Car le but de gagner autant d’argent ne peut se comprendre que si derrière il y a une envie de faire et de vivre le Mal. On sait que la société américaine est née dans la violence et que sous ses formes policées elle continue de l’être, il n’y a qu’à voir les émeutes périodiques qui éclatent à chaque fois que des noirs se font tuer par la police dans des circonstances effroyables. Le symbole de cette violence, c’est aujourd’hui Trump. La nouveauté c’est qu’il ne cherche même plus à donner le change. Il se revendique « brute épaisse », ignare et arrogant. Dugain le cite d’ailleurs pour montrer qu’au fond les Etats-Unis ne se sont jamais amendés, même si dans les années soixante on a pu penser que la dénonciation des crimes allait pousser la société à se réformer dans le sens de plus de justice et de plus d’égalité.  

    Marc Dugain, Ils vont tuer Robert Kennedy, Gallimard, 2017

    Dugain va méditer sur cet échec des années soixante, alors même que les manifestations contre la guerre du Vietnam et le développement d’une contre-culture semblaient porter l’émancipation de tout un peuple. Il avance plusieurs raisons, parmi celles-ci il y aurait eu l’introduction massive de la drogue par la CIA dans les milieux marginaux. Reprenant la vieille thèse révolutionnaire : quand les hommes se droguent, le système se renforce. Les théories du complot mènent évidemment à la paranoïa. Et les Etats-Unis, pays peu sûr de son identité, produisent des complots qui alimentent l’idée de complotisme, si bien que plus personne ne sait démêler le vrai du faux. Les frères Kennedy ont été assassinés à l’issue de complots – très semblables d’ailleurs – comme Martin Luther King. On sait que le FBI, la CIA et même Lyndon B. Johnson ont trempé là-dedans. Mais la raison de ces crimes n’est pas claire. Il semble que cette méthode directe de détruire ses ennemis politiques ait été abandonnée, à moins que de penser que dans les années soixante la situation sociale et politique était bien plus dangereuse pour l’oligarchie que celle que nous connaissons aujourd’hui.

      Marc Dugain, Ils vont tuer Robert Kennedy, Gallimard, 2017

    En fouinant sur Internet, j’ai trouvé les thèses de Miles Mathis sur l’assassinat de John et Robert Kennedy[2]. L’idée est la suivante, l’assassinat de Dallas est une mise en scène, John Kennedy n’est pas mort. Cette mise en scène était destinée à le faire disparaitre afin qu’il puisse diriger le « gouvernement de l’ombre ». Il serait mort de maladie en 1968, puis à cette date, on aurait encore simulé l’assassinat de Robert Kennedy pour le faire disparaitre à son tour afin qu’il dirige lui aussi le « gouvernement de l’ombre ». L’auteur de cette « théorie » va jusqu’à dire que le premier fils de Joe Kennedy, Joe junior, ne serait pas mort en 1944, mais aurait disparu pour les mêmes raisons. Les thèses loufoques de Mathis ont beaucoup de succès aux Etats-Unis. C’est du « complotisme radical », la thèse développée par Dugain c’est ce qu’on appelle la théorie alternative : elle remet en question l’idée qu’Oswald a agi seul et que Sihran Sihran était lui aussi un tireur isolé. Si cette thèse est souvent taxée de complotiste, elle est pourtant la plus solide et est en train de devenir la référence de ceux qui s’intéressent à la question de ces assassinats en série. Entre les deux on trouve une nouvelle thèse, celle développée par James Files, un tueur de la mafia qui aurait fait selon lui équipe avec Oswald pour le compte de la mafia et qui serait l’auteur du coup de grâce[3].  

    Marc Dugain, Ils vont tuer Robert Kennedy, Gallimard, 2017

    La thèse de Miles Mathis est d’un complotisme absolu. Il va très loin, il affirma aussi qu’Oswald n’est pas mort tué par Ruby, mais que c’est une mise en scène pour le faire lui aussi disparaître ! C’est sans doute l’approche la plus intéressante, non pas parce qu’elle est juste, on ne peut pas croire ni au « gouvernement de l’ombre », ni à cette idée loufoque de faire disparaitre tout le monde comme ça entre 1944 et 1968, mais parce qu’elle est très imaginative. Mathis part des erreurs et des manipulations avérées des enquêtes policières et de celle de la commission Warren. Ensuite il va étudier photo après photo et chercher le détail qui montrerait des trucages : on aurait remplacé Kennedy à Dallas par un sosie, et le cadavre photographié ne serait pas celui de l’ancien président. Il se sert du trouble qui nait naturellement des mensonges déversés par tombereau sur ces affaires pour en créer encore un plus gros ! Evidemment si ce genre de thèse prospère facilement outre Atlantique, c’est parce que les Etats-Unis sont un pays non seulement très violent, mais aussi très riche où l’Etat faiblement centralisé a permis l’émergence de boutiques parallèles comme la CIA ou le FBI qui ont une relative autonomie et qui sont très riches, voire qui prospèrent en toute indépendance avec l’argent du crime. On sait que la CIA a financé une partie de ses activités avec l’argent du trafic de drogue[4]. 

    Marc Dugain, Ils vont tuer Robert Kennedy, Gallimard, 2017 

    Mais revenons au roman de Dugain. Ce long détour nous a permis de comprendre un système politique et économique qui encourage et développe la paranoïa. C’est une partie du sujet du livre : le héros se regarde en train de se laisser envahir par cette paranoïa justement. Plus il avance dans l’analyse des différents complots – celui de l’assassinat des Kennedy et ceux de la mort de ses parents – et moins il en connait sur lui-même. Sa personnalité se trouve absorbée complètement par ses propres recherches. C’est un homme âgé qui va prendre sa retraite, il rencontrera pour finir une jeune femme qui se prétend la descendante de John Kennedy, il va lui faire un enfant, mais on ne sait pas si tout cela est bien réel.

    C’est un très bon roman noir, bien construit et bien documenté. Il y a une grande facilité à mêler la fiction et la réalité – enfin la réalité qu’on croit connaitre. Malgré sa longueur, 400 pages, il ne lasse pas, même si la fin est un peu abrupte.



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/marc-dugain-la-malediction-d-edgar-gallimard-2005-a114845048

    [2] http://bistrobarblog.blogspot.com/2016/02/lassassinat-de-john-fitzgerald-kennedy.html

    [3] https://www.express.co.uk/news/world/617775/Shot-JFK-grassy-knoll-Mafia-hitman-assassination-interview

    [4]Alain Labrousse, Les obscurs destins de l’argent de la drogue, Le monde diplomatique, janvier 1992 et Alfred W. McCoy, The Politics of Heroin: CIA Complicity in the Global Drug Trade, Afghanistan, Southeast Asia, Central America, Columbia, A Cappella Books, 2003

     

     

    « Des gens sans importance, Henri Verneuil, 1956Sacco et Vanzetti, Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971 »
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