• Mise à sac, Alain Cavalier, 1967

     Mise à sac, Alain Cavalier, 1967

    C’est un film un peu maudit dans la carrière d’Alain Cavalier. Bien que ce film ait été assez récemment restauré et présenté dans des Festivals ou à la Cinémathèque, il n’existe aucune copie de ce film en DVD ou en Blu ray. Il y a pourtant beaucoup de raison de le voir ou de le revoir. La première raison est qu’il s’agit de la troisième adaptation d’une des aventures de Parker, le héros de papier de Donald E. Westlake qui signait pour l’occasion Richard Stark. La première adaptation ne compte pas vraiment pour les amateurs de films noirs, elle est en effet signée Jean-Luc Godard, Made in USA et c’est Anna Karina qui tient le rôle de Parker sous le nom de Paula Nelson, avec des allusion à l’affaire Ben Barka. Elle n’a que peu de rapport avec le roman. La seconde est celle de John Boorman, Point blank, de toutes les aventures de Parker portées à l’écran, adaptée de The hunter, c’est clairement la meilleure et sans doute une manière de chef d’œuvre du néo-noir[1]. Point blank avait été réalisé en 1967, Parker devenant Walker. Soit la même année que le film de Cavalier. Jusque vers cette époque, les amateurs de romans noirs trouvaient que Richard Stark c’était un peu léger, doté d’une écriture minimaliste et sans psychologie. C’est pourtant cet aspect qui sera par la suite valorisé. Les aventures de Parker sont au nombre de 36, mais réalisées en deux temps, la première époque qui compte 16 titres, de 1962 à 1974, et la seconde qui comte 10 titres, entre 1998 et 2008. Cette coupure, c’est au fond le temps qu’il a fallu pour que Parker devienne un personnage légendaire et convainque Westlake de l’importance de sa création. Mais entre temps les lecteurs de polars avaient changé aussi et s’ils étaient moins issus des classes populaires, ils étaient plus conscients de l’intérêt des formes d’écriture portées par cette série. Beaucoup ont avancé que ce film était à la marge de l’œuvre de Cavalier, ce n’est pas tout à fait vrai, que ce soit Le combat dans l’île, ou L’insoumis[2], ces deux films ont à voir avec le film noir. En vérité Cavalier a changé de registre en 1976 avec Le plein de super. C’était la conséquence de ses échecs commerciaux récurrents dans des formes plus traditionnelles, mais c’était aussi peut-être une des conséquences du décès accidentel de son épouse, l’actrice Irène Tunc. Il va aller de plus en plus vers un cinéma austère, avec parfois quelque succès inattendu comme Thérèse qui en 1987 obtiendra le César du meilleur réalisateur et du meilleur film. Je ferais remarquer que ce film nous permet de faire le parallèle avec Jean-Pierre Melville qui tourna Léon Morin prêtre, avec Irène Tunc d’ailleurs, et qui s’orienta ensuite vers le film noir. Mais il y a une autre raison de revoir Mise à sac, c’est qu’Alain Cavalier a travaillé sur le scénario et les dialogues avec Claude Sautet. Alain Cavalier dira qu’avec ce film ils ont voulu faire une sorte d’Asphalt Jungle. 

    Mise à sac, Alain Cavalier, 1967 

    Georges, un truand chevronné, se rend à une réunion de malfrats pour monter un coup. En chemin il bastonne un individu qui le suit, ce qui avive sa méfiance. Mais ses amis se portent garants. Edgar est un ancien contremaître d’une usine plantée dans la montagne. Il s’agit de prendre le contrôle d’une petite ville dans son entier, en la coupant de l’extérieur, puis de vider les coffres des deux banques qui s’y trouvent, et de l’usine. L’affaire doit leur rapporter des centaines de millions et les mettre à l’abri du besoin pour longtemps. Edgar désigne Georges comme le chef du gang, c’est lui qui coordonnera l’action du commando. Cependant il faut être une douzaine pour non seulement tenir la ville, mais aussi percer les coffres pour lesquels il faudra 6 personnes répartis en trois équipes. Grâce aux connaissances des uns et des autres, l’équipe se réunit. Finalement les gangsters, les visages dissimulés par des cagoules, investissent la ville, prennent le standard téléphonique et le commissariat. Le pillage va pouvoir commencer, les gangsters faisant preuve de discipline. Ils communiquent entre eux avec des talkies-walkies. Maurice qui est occupé à garder Marie-Ange la standardiste pour bloquer les appels, va cependant flirter avec elle. Tout se passe à peu près bien, grâce à un contrôle serré des différentes entrées de la ville, même si de temps en temps il faut intervenir, notamment pour capturer le jeune Michel qui, comme égaré dans la nuit, a découvert le cambriolage et qui appelle le commissariat. Marie-Ange, guère effrayé par son garde du corps, dit à Maurice qu’elle a reconnu la voix d’Edgar et qu’elle a pensé à lui parce qu’il fallait quelqu’un qui connaisse très bien la petite ville. Maurice prévient Georges qui pense qu’il va falloir embarquer Marie-Ange en prenant la fuite pour couvrir leurs arrières. Cependant, Edgar a un vieux compte personnel à régler avec le patron de l’usine qui lui a piqué sa femme. Comme il est censé surveillé sa maison, il va être pris d’un coup de folie, dégrader sa puissante automobile, et mettre le feu à la maison. Cette crise l’empêche de répondre au téléphone, et les truands s’inquiètent. Georges tente d’aller le chercher, mais Edgar l’assomme, en prenant la fuite, il va être abattu de deux coups de fusil dans le dos. Les truands le récupèrent cependant. Il faut partir au plus vite car la ville s’agite à cause de l’incendie et les gendarmes arrivent. Les truands vont jeter le cadavre d’Edgar lesté de pierres dans la rivière, et une partie de la bande va prendre la fuite à bord de la DS, tandis que l’autre s’enfuit avec la camionnette et le butin. Puisque Edgar est mort, ils ne craignent plus la standardiste, ils peuvent donc se dispenser de l’emmener avec eux. Maurice va attacher Marie-Ange dans les bois. Mais le camion est repéré par l’hélicoptère. Ils quittent la route. En passant par la forêt, le camion s’enlise, il faut l’abandonner et avec lui le butin. Georges et Stéphane vont s’en sortir en prenant un autocar dans un village voisin. Mais Maurice et Paulus qui veulent emporter deux lourds sacs de butin, vont se faire prendre par les gendarmes. 

    Mise à sac, Alain Cavalier, 1967

    Georges n’aime pas qu’on le suive dans la rue 

    Parker le héros de Richard Stark ne porte jamais ce nom dans les films qu’on a adaptés de ses aventures. Ici ce sera Georges. La trame est bien connue. Le casse est organisé méticuleusement, mais un grain de sable va le faire échouer plus ou moins dramatiquement. Ce peut-être parfois un partenaire trop gourmant. Mais ici c’est le désir de vengeance d’Edgar qui met tout en l’air. A la différence d’Asphalt jungle, le héros arrive à s’en tirer cependant. La bande y laisse des plumes, Edgar est mort et Maurice et Paulus ont été arrêtés. Ce qui domine, et d’ailleurs ce qui est conforme aux idées anarchisantes de Donald E. Westlake, c’est le travail collectif de gangsters qui ne sont pas particulièrement amoraux. Ce sont presque des gens ordinaires qui ne prennent au contraire de la monnaie qu’à des gens qui sont très riches et qui se sont enrichis indûment sur le compte des autres. Cette morale de reprise individuelle est soutenue par la présentation de l’équipe comme des travailleurs consciencieux, ouvriers ou artisans. Le partage se fera en douze parts égales pour bien signifier qu’on est dans une conjuration des égaux. Celui qui fait capoter l’affaire est un ancien contremaître, statut peu glorieux dans l’imaginaire prolétarien. Dès le début Georges se méfie d’Edgar, notamment parce qu’il l’a fait suivre dans la rue, mais aussi parce qu’il fréquente une pute à un moment justement où il ne faut pas le faire car on est dans la préparation d’un coup de grande ampleur. 

    Mise à sac, Alain Cavalier, 1967

    Edgar explique comment il voit le coup 

    Le scénario fourmille de détails qui renversent l’ordre ordinaire. D’abord c’est aux policiers que les voyous passent les menottes et on enferme le jeune homme qui balance dans une cage ! Ensuite la standardiste se range du côté des gangsters et tombe amoureuse d’un truand dont elle n’a pas vu la figure ! Il me semble que cet épisode va bien au-delà du fameux syndrome de Stockholm et lorgne vers l’idée de renversement de l’ordre établi. De même mettre le feu à la maison du patron, c’est tout de même un acte révolutionnaire. Dans cette configuration qu’elle peut être la signification de l’échec final ? Il me semble qu’on ne peut pas le regarder comme un retour à l’ordre nécessaire du type bien mal acquis ne profite jamais. Le fait que le héros central, Georges, s’en tire, indique l’inverse. Tout cela n’est qu’un jeu finalement et l’argent n’a aucune importance. L’action du commando est une action révolutionnaire, puisqu’en effet ce n’est pas seulement aux banques qu’on s’attaque, mais on consigne l’ensemble de la population comme si elle était solidaire du potentat local et devait être punie. 

    Mise à sac, Alain Cavalier, 1967

    Georges est venu voir Edgar et trouve une pute 

    La mise en scène suit le schéma traditionnel : la présentation du casse avec développement au tableau, l’exécution pour démontrer l’habileté manuelle de l’équipe, puis la chute. Il me semble que le film est un peu court, comme s’il avait été coupé d’une étape : la reconnaissance des lieux nécessaire à l’exécution, ni non plus la collecte des fonds pour financer une affaire de cette ampleur. Par la force des choses, c’est un film d’hommes, mais le contrepoint féminin est intéressant. D’abord parce que c’est bien la femme d’Edgar qui est à l’origine de la rancœur de l’ancien contremaître, ensuite parce qu’Edgar paye une pute, comme s’il anticipait qu’avec ses gains futurs, il pourrait s’en payer autant qu’il le voudrait pour prendre sa revanche sur la vie. Le personnage féminin le plus important est Marie-Ange la standardiste. Dès le début elle se met en situation de jouer avec les voyous, non seulement elle coopère activement en leur donnant tous les détails qu’ils désirent, mais elle adhère à leur logique, à leur gang. On le sait de longue date, les femmes aiment les voyous. C’est presqu’une nécessité biologique parce qu’il représente la virilité, c’est-à-dire l’enfantement d’un monde nouveau. 

    Mise à sac, Alain Cavalier, 1967 

    Les gangsters se sont emparés du commissariat 

    La mise en scène est rigoureuse, sobre, justement portée par une photo austère de Pierre Lhomme qui fera la photo de L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville, mais aussi des Quatre nuits d’un rêveur de Robert Bresson dont on pourrait dire que quelque part Alain Cavalier en est le disciple. Les décors sont choisis pour faire apparaître la petite ville comme une zone d’enfermement d’où on ne peut guère s’échapper, et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle est si facile à contrôler. Cavalier se sert de la profondeur de champ pour magnifier ce décor vide de totue silhouette humaine, les seules qu’on verra sont celles de jeunes adolescents qui rentreront rapidement chez eux quand ils croiront être pris en chasse par la police. C’est seulement avec l’incendie de la maison du potentat local que la petite ville sortira de son assoupissement. On peut diviser le film en trois morceaux. Le premier segment est la réunion de l’équipe et la préparation du coup. Le second l’exécution proprement dite, avec ses difficultés, et le troisième c’est la fuite. C’est selon moi ce qui est le mieux filmé, bien rythmé. Le cambriolage est sans doute un peu trop dispersé et se perd un peu dans les détails, sans donner toutefois toute l’ampleur qu’on aurait aimé voir, parce que tout de même, c’est du pillage d’une ville entière dont il s’agit. C’est un peu comme si Cavalier avait manqué de temps. 

    Mise à sac, Alain Cavalier, 1967

    Les perceurs de coffre ont du travail 

    Parmi les scènes remarquables et bien rythmées, il y a la fuite à travers les bois, alors que l’équipe est poursuivie par un hélicoptère puis par des gendarmes avec des chiens. Jusqu’au moment où Georges et Stéphane vont se retrouver comme des personnes ordinaires à attendre le bus. Depuis leur siège, où ils se sont confortablement installés, ils pourront voir les gendarmes encadrés leurs deux amis menottés. J’ai trouvé que la scène de folie d’Edgar qui met le feu avant d’assommer Georges manquait un peu d’ampleur. Peut-être est-ce l’angle utilisé pour saisir le plan général qui n’est pas très bon ? Peut-être aurait-il fallu une caméra plus mobile ? Plus intéressantes sont les scènes de longs tête-à-tête entre Marie-Ange et Maurice. Il semble qu’elles ne puissent exister que parce que les deux jeunes gens se trouvent dans un espace clos où la promiscuité ne peut pas être évitée. Elles coupent fort opportunément aussi la tension du cambriolage proprement dit, amenant une forme de légèreté. 

    Mise à sac, Alain Cavalier, 1967

    Il faut ouvrir les coffres individuels un par un 

    A cette époque Michel Constantin était en train de devenir une vedette de premier plan. Bien qu’il ait commencé à tourner en 1959 avec Le trou de Jacques Becker, c’est avec La loi du survivant de José Giovanni, sorti la même année que Mise à sac, qu’on s’est rendu compte du potentiel de cet acteur. Il incarne ici Georges, calme et déterminé, dominant le reste de l’équipe de sa haute taille. Il est toujours un peu pareil, égal à lui-même. Ce n’est pas un acteur de composition. Mais le rôle lui va plutôt bien. On peut le préférer chez Melville ou chez José Giovanni, mais il est très bon. Il y a ensuite Daniel Ivernel dans le rôle d’Edgar. Il est excellent, c’était un grand acteur, passant de la bonhommie à la colère, on le sent à la fin, ivre de son pouvoir parce qu’il a réussi à monter un braquage cossu, devenir mégalomane, il finira un peu à la manière de James Cagney dans White Heat de Raoul Walsh. Le couple Franco Interlenghi – Irène Tunc qui incarnent respectivement Maurice et Marie-Ange est excellent. On voit qu’Irène Tunc était une très bonne actrice. Elle était l’épouse d’Alain Cavalier, elle décédera hélas très jeune[3]. Elle est ici étonnante avec beaucoup d’humour. Tanya Lopert dans le tout petit rôle de la pute est très bien également.

    Mise à sac, Alain Cavalier, 1967 

    Un flirt s’est ébauché entre Maurice et Marie-Ange 

    C’est donc dans l’ensemble un très bon film. Les Américains qui le connaissent sous le titre de Midnight raid, le désignent comme une des meilleures adaptations de la saga de Parker. Donald E. Westlake en disait du bien, il l’avait vu à la télévision lors d’un séjour en France. Alain Cavalier avait fait le choix d’utiliser l’atmosphère typiquement française d’une ville de province, c’est peut-être ça qui peut désorienter les amateurs de cette suite. La critique avait été plutôt bonne à la sortie, mais cela n’avait pas été un succès commercial. Alors qu’on le présente dans des Festivals, il est bien dommage que ce film ne soit pas disponible dans une version numérisée, alors qu’il existe certainement une copie propre puisque celles qu’on voit dans les Festivals sont très convenables. Vers la même époque, Pierre Schoendoerffer tournait Objectif 500 millions, un autre film de casse plutôt rare. L’ambition était la même donner ses lettres de noblesse à un genre, le film noir, qui était devenu populaire et porteur de sens. On remarque que dans les deux cas la mise en scène donnait volontiers dans l’austérité. 

    Mise à sac, Alain Cavalier, 1967 

    Edgar est abattu 

    Mise à sac, Alain Cavalier, 1967

    Maurice doit abandonner Marie-Ange dans les bois 

    Mise à sac, Alain Cavalier, 1967

    Georges et Stéphane ont réussi à prendre le bus



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-point-de-non-retour-point-blank-john-boorman-1967-a150996198 Un remake sans intérêt et avec Mel Gibson sera tourné en 1999.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/l-insoumis-alain-cavalier-1964-a114844788

    [3] Notez qu’Alain Cavalier lui consacrera un film en 2009 intitulé Irène.

    « Une robe noire pour un tueur, José Giovanni, 1981Société anonyme anti-crime, La polizia ringrazia, 1972 »
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  • Commentaires

    1
    Mercredi 31 Mars 2021 à 01:49

    Le film est visible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=FD9QIqQQUCs

    2
    Lundi 5 Avril 2021 à 17:33
    Willow

    Je viens de regarder le film sur youtube, j'ai adoré. Heureux aussi d'avoir revu Paul Le Person.

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