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Une robe noire pour un tueur, José Giovanni, 1981
Ce film fait également partie des films mal aimés de José Giovanni. Il est très difficile à voir et à ma connaissance n’a jamais été édité en DVD et encore moins en Blu ray. C’est pourtant une œuvre avec un standing de haute qualité avec une Annie Girardot au sommet de sa popularité. En outre il s’empare d’un sujet qui mêle le récit noir à une vision des plus désenchantée de la politique. Le scénario est entièrement de José Giovanni et n’est pas une adaptation d’un roman. Très représentatif des années quatre-vingts, il s’inscrit dans la lignée du thriller politique à la française. Il y a une double ligne de conduite dans ce film, d’abord un débat sur la question de la peine de mort, José Giovanni qui savait de quoi il parlait était résolument contre, et évidemment en 1981 c’était un enjeu décisif pour le pouvoir socialiste qui avait gagné les élections - José Giovanni prolongera le débat avec Deux hommes dans la ville. La controverse était très tranchée, on l’oublie un peu aujourd’hui, c’était droite contre gauche, la droite étant résolument pour évidemment. Mais ce débat s’il situe l’ambiance du film n’est pas du tout le centre de cette histoire. Il s’agit de couvrir un scandale politique et la police va se servir d’un truand ordinaire pour arriver à ses fins. A cette époque aussi on mettait sur le devant de la scène les compromissions de la police avec de basses besognes politiques. C’était le temps de la sinistre affaire d’Auriol qui mettra en lumière le rôle trouble du SAC. La fin de règne de Valéry Giscard d’Estaing sera d’ailleurs une longue suite de dénonciations de complots politico-policières. C’est à cette époque d’ailleurs que le cinéaste Yves Boisset était à son sommet.
Florence Nat plaide avec passion contre la peine de mort
Florence Nat est une grande avocate pénaliste qui plaide avec plus ou moins de succès contre la peine de mort d'une manière passionnée. Tandis qu’elle plaide, on apprend que la grâce réclamée par Simon Risler, accusé d’avoir tué un policier, a été rejetée et il s’apprête à être guillotiné. Mais il parvient à se saisir d’un rasoir et prenant un juge en otage, il va s’évader. Il se réfugie chez un couple de ses amis. Cependant la femme qui craint les ennuis va le dénoncer à la police. Fuyant à nouveau, il est cette fois blessé gravement. Il se réfugie chez son avocate qui n’est autre que Florence Nat. Celle-ci va prévenir un ancien amant, Alain Rivière, qui est médecin mais qui s’occupe surtout de la réinsertion des drogués qu’il accueille dans une ferme. Ce dernier va extraire la balle que Simon a reçu dans la jambe, puis il va l’héberger dans sa ferme. Un policier particulièrement sournois, Lucien Lebesque, va prendre la piste de Florence Nat pensant qu’elle pourra le mener jusqu’à Simon. L’avocate en vérité a continué à enquêter sur l’affaire Simon Risler et a payé un détective, Pardes, qui vient de découvrir des éléments qui pourraient innocenter le fugitif et prouver la légitime défense. Mais Prades est abattu pratiquement sous les yeux de Florence, sur les ordres de Lebesque. Simon va par ailleurs faire évader son frère qui vient d’être extradé d’Espagne parce qu’il était avec lui lors de la fusillade qui a coûté la vie à un policier et donc il craint pour sa vie. Mais ils ont un accident de voiture et le frère de Simon décède. Tentant de chercher des preuves chez Prades, Simon constate qu’un cambrioleur l’a précédé. Il s’agit de Reynolds, un policier chargé des basses besognes. Mais ce dernier s’échappe. Simon va le rattraper chez lui et le prendre en otage avec sa femme. Il demande à ce que les journalistes viennent pour leur dire toute la vérité sur un scandale financier qui est à l'origine de tout. La police cerne la maison, Reynolds va parler et dévoiler qu’il devait couvrir les turpitudes de personnes haut placées, mais Simon et lui vont être abattus et Lebesque a mis la main sur les preuves que détenait Reynolds. Florence Nat menace de tout dévoiler, mais Lebesque semble s’en moquer et le lui dit.
Simon Risler est conduit vers la guillotine
Le scénario présente, malgré sa linéarité, d’abord des failles importantes. Si on comprend que « le pouvoir » tente de protéger un secret et donc à empêcher par tout moyen que la vérité éclate, les causes de ce secret restent obscures. On comprend à peine qu’il s’agit d’une histoire financière. Giovanni a voulu jouer sur cette ellipse car ni Simon, ni Florence ne comprennent vraiment ce qui se passe. Mais la contrepartie de cela c’est que Florence, pourtant une avocate aguerrie à qui on ne l’a fait pas, ne comprendra qu’à la fin le rôle que joue le trouble Lebesque, alors que le spectateur, lui, a compris qu’il fallait le surveiller comme l’huile sur le feu. Il vient donc que l’histoire se disperse, passant de la fuite de Simon à la romance renouvelée entre Florence et Rivière. De même la seconde évasion, celle du frère de Simon tombe un peu comme un cheveu sur la soupe et n'aide pas à la progression du récit. Mais enfin ce qui domine c’est la question de la faute et du rachat. Simon doit se racheter en s’évadant – on a déjà vu ça dans Un aller simple[1] - et en découvrant la vérité. Ensuite Florence doit se racheter parce qu’elle a échoué une première fois à éviter la peine capitale à Simon. Mais elle doit aussi se racheter vis-à-vis de Rivière, et c’est bien là le sens de son élan vers lui en allant le chercher pour qu’il l’aide. De la même façon Rivière est dans la rédemption. D’abord c’est en s’occupant de remettre sur les rails des jeunes drogués qu’il semble vouloir se racheter de ses fautes passées qui l’ont éloigné de l’exercice de la médecine. Lebesque lui n’est pas dans ce registre, cynique jusqu’au bout des ongles, il assume toutes les saletés dont il use pour satisfaire sa soif de pouvoir. Il est présenté comme ayant une intelligence élevée, raffinée même, il dessine bien, mais cette intelligence est dévoyée.
Simon se réfugie chez son avocate
Dans ce contexte, ce sont des jeux de pouvoir auxquels on assiste, sans forcément que la sincérité des protagonistes de ce drame soit interrogée. Malgré leur agitation, ils ne semblent pas maîtres de leur destin. Le film va s’orienter vers l’ambiguïté des personnages. Au fond le seul qui n’est pas ambigu est Lebesque, il joue le jeu d’un pouvoir supérieur aux règles de la loi par ambition personnelle, mais il n’est pas dupe. Simon est un petit voyou non repenti que les déboires judiciaires vont amener à faire l’impasse sur ce qu’il est vraiment et l’empêcher d’accéder à la conscience. Jusqu’au bout il se croira victime d’un système et non de lui-même. Florence ne s’interroge guère sur les ressorts de son métier. Elle plaide d’une manière passionnée contre la peine de mort en choisissant intelligemment de ne pas minimiser les fautes de son client. Mais est-ce un jeu ? Le sait-elle ? José Giovanni qui avait beaucoup de respect pour les avocats – par la force des choses – ose poser cette question, mais il ne s’y attardera malheureusement pas. Rivière c’est la même chose, que cherche-t-il dans le rôle qu'il joue auprès d’une jeunesse perdue et torturée, en devenant une sorte de bon samaritain ? Reste évidemment la présentation d’un système politico-policier intégré au service d’un pouvoir financier qui organise le monde à sa guise. C’est une machine à broyer tous ceux qui s’en approche ou qui passent à sa portée. Si dans la présentation du fonctionnement de la justice Giovanni est plutôt convaincant, il y a beaucoup de naïveté dans celle de l’association qui propose la réinsertion de drogués dans la confrontation au dur labeur. Celle-ci renvoie d’ailleurs au scénario des Grandes gueules, mis en scène par Robert Enrico, où le personnage d’Hector Valentin, propriétaire d’une scierie dans les Vosges, embauchait des criminels en conditionnelle pour faire tourner sa boutique au moindre coût. Le travail étant sensé remettre les égarés dans le droit chemin, thème pétainiste, abandonné depuis maintenant des décennies comme faisant partie d’une morale surannée. Du reste dans le film on n’a pas l’impression que la méthode de Rivière ait beaucoup de succès.
Le détective Prades annonce à Florence qu’il a découvert des preuves de la légitime défense de Simon
Le caractère un peu bancal du scénario entraîne des sautes d’humeur dans la réalisation elle-même. Tout le début est excellent, d’abord la plaidoirie de Florence, petite bonne femme se battant bec et ongles face à la puissance de la justice qu’on sent hostile. Ensuite le chemin de Simon vers la guillotine très stylisée qui est très émouvant et qui sera repris dans Deux hommes dans la ville[2]. La première évasion, celle de Simon est aussi très bien réussie. Il y a plus de flottements quand le film devient plus bavard et que Florence se trouve confrontée à Lebesque par exemple, ou quand elle retrouve des élans amoureux avec Rivière. Giovanni a toujours un peu de mal à filmer les positions statiques où le dialogue est déterminant. Il manque souvent de profondeur de champ et peine à sortir du simple champ-contrechamp. Cependant il utilise très bien les décors naturels, ceux de la ferme où l’association de Rivière se situe, ou encore la distillerie désaffectée où Simon a caché son butin. La photo de Jean-Paul Schwartz est très moyenne, façon documentaire comme si on voulait donner à l’histoire un surcroît de réalité, mais sans le côté austère qu’on aurait pu attendre, il retravaillera avec José Giovanni sur Le ruffian.
Simon surprend un cambrioleur chez Prades
La tête d’affiche c’est Annie Giradot qui fait preuve de beaucoup d’abattage dans le rôle de Florence Nat. Elle avait déjà travaillé avec José Giovanni sur Le gitan. Son côté battante et populaire plaisait forcément au réalisateur. Si elle est très bonne dans la scène de plaidoirie, elle est un peu plus effacée dans les scènes où elle doit montrer un peu plus de féminité par exemple. Claude Brasseur incarne Simon Risler, sans forcer, mais sans donner non plus beaucoup de relief à ce petit truand piégé par une histoire qui le dépasse. Il reste comme indifférent à ce qui lui arrive, ne montrant jamais beaucoup d’affolement dans son comportement, on a l’impression que même la mort de son frère ne le touche pas. Bruno Cremer est meilleur finalement dans le rôle de Rivière, oscillant entre force et faiblesse. Cet excellent acteur montre ici beaucoup d’humanité. Jacques Perrin dans le rôle du sournois Lebesque est aussi excellent, avec son air d’être toujours ailleurs, tout en poursuivant un but scabreux. Catherine Allégret fait seulement une petite apparition, et Renaud Verlay n’est pas assez présent à l’écran pour qu’on puisse porter un jugement sur sa prestation. Il y avait aussi de jeunes acteurs, Richard Anconina et Arielle Donbasle. Bien que le rôle soit très bref, Anconina se fait remarquer de façon tout à fait positive en incarnant un jeune drogué.
La gendarmerie investit la ferme de Rivière
Comme on le voit, le film n’est pas vraiment réussi, et il ne marquera pas le box-office ni la mémoire du spectateur. Cependant on peut le regarder sans ennui parce qu’il est très typique des années quatre-vingts. Il serait bon qu’on puisse le revoir dans des conditions meilleures par exemple en le rééditant dans une bonne copie, car comme on s’en rend compte avec les captures d’écran que j’ai réalisé, il n’y a pas à l’heure actuelle sur le marché quelque chose de décent à se mettre sous la dent.
La maison de Reynolds est cernée, Lebesque a mis un tireur d’élite en position
Simon va mourir
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