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Société anonyme anti-crime, La polizia ringrazia, 1972
C’est encore un autre film à la bonne réputation qu’on dit être à l’origine du poliziottesco. C’est vrai si on regarde ce genre d’une façon étroite comme une dénonciation du laxisme de la loi face à une criminalité galopante et du malaise de la police dans l’exercice de ses fonctions. Avec toujours comme toile de fond une situation politique tendue, un pays au bord de l’insurrection. La tendance dominante de ce genre de film est de mettre l’accent sur la nécessité de restreindre la loi afin de la rendre moins favorable aux voyous. En règle générale il est démontré que la lutte sera longue et difficile, qu’il y faudra du courage et donc une prise de conscience des citoyens. Mais ici le problème va être déplacé vers une réflexion sur les rapports entre police et démocratie, car si les voyous sont abominables, s’il faut les combattre, les plus radicaux des policiers risquent d’être manipulés par des organisations de type fasciste qui prendront pour prétexte la légitime indignation des citoyens pour instaurer un ordre nouveau pour leur profit personnel. Il est donc totalement exclu de penser qu’un tel film pourrait être un véhicule pour les idées d’extrême droite. Le scénario est de Steno lui-même, ici sous son vrai nom Stefano Vanzina. Ce film apparaît un peu incongru dans la filmographie de Steno qui était plutôt habitué à la comédie grimaçante, il a mis en scène une dizaine de films avec Totò.
L’avocat Armani se félicite de la libération de Bettarini
L’avocat Armani est arrivé à faire libérer le gangster Bettarini, accusé de meurtre, pour une insuffisance de preuves. Ce qui provoque la colère des policiers et plus particulièrement du commissaire Bertone. Mais celui-ci doit enquête sur un cambriolage sanglant, deux personnes ont été tuées, commis par des petits voyous, Michele Settecamini et Mario Staderini. Malgré la chasse à l’homme, ils arrivent à fuir, notamment parce que les policiers n’osent pas leur tirer dessus. Mario s’en va de son côté, et Michele va prendre en otage Ana Maria qu’il entraîne près de la mer pour se cacher dans une petite cabane. Bertone, tandis que la chasse à l’homme se poursuit, explique aux journalistes les difficultés de la police à être efficace en respectant la loi. Il flirte avec Sandra, et puis il amènera l’ensemble de la presse en autobus pour faire le tour de la criminalité dans la nuit romaine. Mais une série de meurtres est déclenché par une sorte de société secrète qui vise les criminels relâchés. Bertone comprend rapidement a qui il a à faire, mais le procureur Ricciuti qui le soupçonne d’être trop violents ne veut rien savoir et met la pression sur les policiers qu’il trouve trop violents. Cependant les policiers vont retrouver la piste des tueurs grâce à la moto qu’ils ont utilisée. Tandis que les exécutions de cette société secrètes continuent, ils abattent Mario, l’étau de la police se resserre sur Michele. Cerné, celui-ci va se servir d’Ana Maria pour fuir en menaçant de la tuer. Dans la poursuite qui s’ensuit, et pour assurer sa fuite, il va toutefois tuer Ana Maria. Il va négocier ensuite sa reddition par l’intermédiaire de l’avocat Armani, exigeant que Bertone se rende seul à sa rencontre. Mais au moment où Bertone l’arrête, les tueurs de la société secrête interviennent. Ils sont sauvés cependant par des travailleurs qui ayant entendu des coups de feu sont arrivés. Ayant livré Michele à Riccuiti, Bertone va continuer son enquête et avec l’aide de Sandra, il va trouver des documents qui impliquent le policier à la retraite Stolfi dans les meurtres perpétrés par la société secrète. Il va arrêter Stolfi, mais il a été vendu par ses collègues et les hommes de Stolfi l’abattent. On retrouvera son corps dans le Tibre. Cette mort semble réveiller le procureur Ricciuti qui, ayant adopté la thèse du commissaire, se propose de continuer le travail de Bertone malgré les nouveaux avertissements du préfet.
Bertone entame une liaison avec la journaliste Sandra
Ce qui semble remarquable dans ce scénario, c’est la volonté de ne pas simplifier abusivement dans un sens ou dans un autre le discours sur les difficultés de la police. Les criminels sont présentés comme des individus cyniques, bêtes et méchants, dont il n’y a rien à tirer, et on ne leur cherche aucune excuse. On verra le petit délinquant Michele tuer Ana Maria sans remords, mais s’apitoyer sur lui-même quand il commence à craindre pour sa vie. Mais les forces de l’ordre ne sont pas très claires dans leur détermination, le procureur Ricciuti apparaît comme extrêmement naïf, prompt à adopter le point de vue de l’avocat Armani, preuve que les idées gauchistes ont envahi la réflexion. Les faits lui donnant tort, il reviendra sur ses illusions. Il est donc honnête. Mais l’ancien policier Stolfi lui ne l’est pas, il se sert de la rancœur des policiers pour les manipuler et travailler à une remise en question de l’ordre républicain. Bertone est impulsif, et son premier réflexe serait de crever la peau à toute cette canaille qui viole, qui tue et qui génère une insécurité croissante, mais il arrive à surmonter sa haine parce qu’il réfléchit et comprend que la voie fasciste n’est pas bonne, même si une voie intermédiaire est difficile à trouver. Il en viendra même à sauver la peau de Michele au risque de sa propre vie, parce que rendre la justice soi-même n’est pas la solution. On voit donc qu’une certaine classe sociale, faite de banquiers, d’hommes politiques et d’industriels, ne se soucie pas vraiment de la sécurité, mais tente de se servir de la décomposition de la situation pour faire avancer ses affaires. Si on met ça en référence avec la situation politique du début des années soixante-dix, le Mai rampant, on comprend que le chaos est profitable. Dans le film on parle de la police qui défenestre. C’est une allusion très claire l’anarchiste Giuseppe Pinelli qui avait été arrêté dans le cadre de l’attentat de la Piazza Fontana. Il avait été défénestré et on voulait faire croire que cet attentat était l’œuvre des anarchistes, alors qu’il fut ensuite démontré que cet attentat s’inscrivait dans la logique de la stratégie de la tension que menait le groupe Gladio dans lequel on retrouvait les fascistes, la CIA et jusqu’à la mafia[1].
Bertone organise une visite nocturne de Rome pour les journalistes
On voit donc que Steno prend le contrepied de la thèse officielle qui exemptait la police de toute responsabilité dans le terrorisme d’Etat. Comme quoi en 1973, les Italiens savaient à quoi s’en tenir[2]. Dans le film de Steno, on verra d’ailleurs la police plus encline à servir les louches buts de Stolfi que d’obéir à Bertone. La police est gangrénée totalement, soit par intérêt pécunier, Stolfi fait aussi de l’argent avec ses complots moisis, soit parce qu’elle suit son instinct de se venger des criminels. Sans le rappel de cette situation explosive, les années de plomb, on ne comprendrait pas ce film, mais on ne comprendrait pas non plus le développement du poliziottesco. Dans ce genre de film, vraiment spécifiquement italien, l’approche est forcément matérialiste puisque l’action des uns et des autres est expliquée par sa place au cœur de la cité et par la réflexion que chacun est capable de mener sur la situation sociale et politique. Sandra fera d’ailleurs remarquer que la bestialité des gangsters Michele et Mario est le résultat d’une situation sociale explosive, si ce n’est pas une excuse, c’est du moins une explication.
Dans un garage les policiers découvrent la moto du braquage
Dans sa position, Bertone est un homme seul, trahit par les policiers eux-mêmes, c’est à peine s’il est capable d’ébaucher une relation avec la belle Sandra. Celle-ci avorte tout de suite puisque quand il doit monter chez elle, un coup de fil l’appelle ailleurs. Il n’a pas d’amis, pas de famille, pas de clan sur lequel s’appuyer. Tandis que la bande à Stolfi a des relais de partout et n’est que la pointe avancée du véritable pouvoir. Bertone s’abrite derrière la loi. Il voudrait bien que celle-ci le protège et lui permette d’avancer dans son enquête. C’est bien insuffisant que de croire que l’Etat de droit peut fonctionner dans de telles conditions. Mais abandonner l’Etat de droit comme le suggèrent certains policiers n’est pas une bonne solution car elle mène inévitablement à la dictature. Comme on le voit, le propos de Steno est très engagé, on peut lui reprocher même d’être trop « pédagogique » et bavard. Mais c’est difficile. Cependant son message, puisque message il y a, est assez désespéré. Il inaugure en effet une longue kyrielle de poliziotteschi qui se finissent très mal et qui donc ne rassurent pas du tout le spectateur. C’est une particularité précisément de ce genre : contrairement aux films noirs américains qui traitent de la corruption des institutions, le poliziottesco ne délivre aucun message d’espoir. Les héros positifs meurent très souvent à la fin. Comment interpréter cela ? La première idée qui vient serait de dire « à quoi bon se battre contre des forces du mal aussi puissantes ». Mais on pourrai tle voir autrement et se dire que si les institutions sont toutes pourries et vérolées, les citoyens doivent se mobiliser pour en changer. On ne peut pas dire que Steno tranche cette question. Cette ambiguïté laisse la porte ouverte à la réflexion des citoyens.
Le mécano va parler
On voit donc tout l’intérêt de ce scénario dans la volonté de travailler l’ambiguïté des personnages. La réalisation, si elle n’est pas mauvaise, est cependant plus problématique. Steno n’est pas Lenzi ou Castellari, on le voit dans les scènes de poursuite par exemple. Certes il a le mérite de conduire l’histoire à travers l’action, mais l’équilibre difficile entre l’action et les bavardages sur la violence sociale et politique, n’est pas toujours au rendez-vous. L’action se passe à Rome et donc on va utiliser les décors de la ville et du littoral qui se trouve à proximité de l’antique cité. Cet aspect est très intéressant bien sûr, mais parfois la caméra n’est pas à la hauteur, ça manque souvent de profondeur de champ. La scène de la rencontre à la gare entre Bertone et les autorités politiques manque d’ampleur. Les passages près du Tibre sont plus consistants cependant. Steno n’utilise pas au mieux les décors réels, bien que sa manière de filmer ne soit pas déshonorante. L’encerclement de la maison sur la plage où s’est réfugié Michele avec son otage, est bien mieux. Il semble que ce soit le montage qui soit légèrement défaillant, ne trouvant que rarement le bon rythme. On notera que certaines scènes semblent avoir été inspirées par Melville, le Melville du Deuxième souffle notamment avec ces hommes en noir dans de grandes limousines mystérieuses qui semblent ramper à la recherche de leur proie. La scène du restaurant entre Sandra et Bertone manque un peu de chaleur, filmée champ-contrechamp, elle manque d’ampleur. Les scènes d’exécution sont sans doute les meilleures du film, notamment parce qu’elles utilisent des paysages désolés, un peu à l’écart de la civilisation.
Les justiciers exécutent Mario
L’interprétation repose d’abord sur Enrico Maria Salerno dans le rôle de Bertone qui est présent presque tout le film. Je l’ai trouvé un peu raide, il va mieux du reste dans la colère que dans la sérénité ! Son complément capillaire est aussi un peu gênant. Ce rôle l’amènera cependant à interpréter d’autres films du genre, toujours comme commissaire en chapeau. Derrière il y a la jeune Mariangela Melato dans le rôle de Sandra la jeune journaliste qui l’aide dans sa quête. Elle est très bien, Steno l’emploiera à nouveau dans un autre film La poliziotta, une comédie à succès qui lui permettra d’obtenir un prix d’interprétation. Ce dernier film rassemblera un public important et aura plusieurs suites. Sans doute un premier pas pour la reconnaissance de la féminité dans les forces de l’ordre. Mais ici Mariangela Melato n’a qu’un petit rôle. Cyril Cusak qui interprète le louche Sfolti semble plutôt absent, mais c’était la logique de ce genre de film d’engager des acteurs anglo-saxons pour donner un air cossu à la distribution. Mario Adorf qui a été si longtemps cantonné dans des rôles de brutes épaisses est ici le procureur Ricciuti. Il est très bon bien que le rôle soit étroit. Le jeune allemand qui interprète Michele n’a strictement rien de remarquable, on lui préférera Laura Betti dans le rôle de l’otage. J’aime bien aussi Franco Fabrizi dans le rôle de Bettarini l’arrogant gangster et puis le toujours très excellent Corrado Gaipa dans celui de l’avocat Armani.
A la gare Bertone va rencontrer le préfet
Contrairement à l’avis de beaucoup je ne trouve pas que ce soit là un chef d’œuvre, la réalisation laissant trop à désirer. Mais c’est un très bon film noir, intéressant par son niveau de réflexion qui refuse de trancher sur les solutions qu’il serait bon de mettre en œuvre. Il est également important pour qui veut comprendre l’historique du poliziottesco et l’influence que ce film aura par la suite. Je l’ai dit le film connu un grand succès public en Italie. En France il passa totalement inaperçu, on ne le découvrira que plus tard quand enfin on aura compris que le poliziottesco possède aussi sa grandeur.
Sur la plage Michele est cerné
Bertone tente de sauver Michele
Bertone a démasqué les intentions de Stolfi
« Mise à sac, Alain Cavalier, 1967Le témoin à abattre, La polizia incrimina, la legge assolve, Enzo Castellari, 1973 »
Tags : Stefano Vanzina, Enrico Maria Salerno, Mariangela Metalo, Mario Adorf, Franco Fabrizi, Poliziottesco
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