• Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

     

     

    L’amnésie est un sujet récurrent du film noir. On trouvait par exemple ce thème dans Somewhere in the Night de Joseph L. Mankiewicz en 1946[1], ou encore dans The Crooked Way de Robert Florey en 1948[2]. Dans ces deux films l’amnésie était le résultat de la guerre, mais dans le second, on apprenait que le héros était un ancien chef de gang. C’est de ce film que The long wait semble être le plus proche puisqu’ici le héros ne sait pas si par le passé il a été bon ou mauvais. Cette amnésie est cependant l’image de la confusion mentale par rapport à une réalité qui nous échappe. Elle n’est donc pas simplement la perte de la mémoire, mais le reflet d’une époque confuse, dénuée de sens, où personne ne semble plus savoir qui il est. Le scénario est tiré d’un ouvrage de Mickey Spillane dont le héros n’est pas Mike Hammer, mais un simple employé de banque qui va se transformer en bête sauvage. On a beaucoup dit que cette adaptation ne respectait pas vraiment le programme de sauvagerie annoncée par l’ouvrage, mais ce n’est pas tout à fait exact, surtout si on conserve à l’esprit que dans les années cinquante, il était plus facile de développer des histoires érotiques et violentes à l’écrit qu’à l’écran. C’est au contraire l’adaptation la plus proche de l’esprit des romans de Mickey Spillane. Produit par la firme de Victor Saville créée pour l’occasion, c’est aussi lui qui se colle à la réalisation. Le budget est beaucoup plus important que pour I, the jury, ce qui va permettre d’engager des acteurs qui, sans être de premier plan, sont confirmés et très connus, avec en tête Anthony Quinn. A cette époque, l’acteur est quasiment banni des studios et donc des films de premier rang, notamment à cause de ses démêlées avec Cecil B. De Mille dont il avait épousé la fille. Ce film intervient juste avant qu’il part de lui-même pour un long exil en Europe où il relancera sa carrière avec des films de qualité, exil entrecoupé de retours périodiques aux Etats-Unis.   

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954  

    Un homme fait du stop sur la route, un camion le prend, mais quelques kilomètres plus loin, le camion verse dans le fossé et prend feu. L’autostoppeur cherchant a ouvrir la portière pour délivrer le chauffeur, va se bruler les mains. A l’hôpital on apprend qu’il a perdu la mémoire, et le médecin lui dit qu’il mettra probablement très longtemps avant de la retrouver. En attendant il a trouvé un travail dans une compagnie pétrolière est ‘est mis en ménage avec une blonde. Mais il est bagarreur, et cela va lui coûter sa place. Au bar où il retrouve sa poule du moment, un client de passage qui la drague, lui montre la photo d’un certain Johnny McBride qui lui ressemble comme deux goûtes d’eau et qui vivait en apparence à Lyncastle. Notre amnésique va s’y rendre, espérant qu’il retrouvera la mémoire. Dans cette petite ville provinciale où il ne reconnaît rien, mais où tout le monde semble le connaître, il apprend qu’il est recherché pour le vol de 250 000 $ et le meurtre du procureur. Le réceptionniste de l’hôtel où il descend le connaît lui aussi et lui indique qu’il sait qu’il n’est pas coupable et que Vera West avec qui il vivait est vivante. La police lui tombe dessus, mais faute de preuve, puisque ses mains sont brûlées, elle est obligée de le relâcher. Pop Henderson, le réceptionniste de l’hôtel qui devait lui donner des renseignements sur Vera, se fait descendre, mais avant de mourir il a le temps de dire que Vera est en réalité en ville, mais sous une nouvelle identité et avec un nouveau visage ! Si cela trouble Johnny, ça l’encourage en même temps à continuer son enquête. Il va se diriger vers Servo, un homme d’affaires louche qui semble tenir la ville. Johnny va le voir et en profite pour séduire sa secrétaire. Mais Servo le menace et lui ordonne de quitter la ville sous peine de mort. Quelques temps après, alors que Johnny commence à se faire des relations parmi la gent féminine, les hommes de Servo l’enlèvent, le ligotent et l’embarque dans le coffre de leur voiture pour le faire disparaître. Mais Johnny s’en sort et élimine trois gangsters d’un seul coup ! Johnny va au casino et gagne de l’argent. Là il fait la connaissance d’une nouvelle femme, Wendy Miller qui semble vouloir lui donner des conseils. Il va ensuite rencontrer le propriétaire de la banque de la ville, Gardiner, qui était son employeur. Celui-ci lui apprend que le procureur assassiné enquêtait sur la corruption de la ville par Servo. Le récit va s’orienter vers la recherche de Vera. Servo soupçonne quatre femmes d’être potentiellement Vera, parmi celles-ci il pense que Venus est sans doute Vera. Mais pour vérifier, il va les convoquer toutes les quatre. Venus manifestant de la compassion pour Johnny, il va la confronter à Johnny et le torturer pour voir comment elle réagit. Mais Venus, bien que blessée, se débrouille pour délivrer Johnny et celui-ci explose les gangsters. En vérité il a découvert le fonds de l’affaire. Il se rend chez Gardiner et le confond. Celui-ci a en effet monter le coup pour qu’on fasse croire que Johnny a volé. De ce fait il pouvait distraire 250 000 $ et financer les activités louches de Servo avec qui il s’est associé. S’il y avait bien les empreintes de Johnny sur l’arme c’était parce que Gardiner l’avait prise et mis au point une combien à ressort pour faire croire que c’est lui qui avait tiré ! Une fois Gardiner confondu, Johnny va retrouver Vera qui en fait se cachait sous le nom et le physique de Wendy Miller. Johnny lui propose de l’épouser, mais Vera lui indique qu’en réalité c’était déjà fait avant qu’il ne perde la mémoire !  

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    A l’hôpital, il se révèle amnésique 

    Ne cherchons pas les invraisemblances, il n’y a finalement que ça. Mais au-delà de celles-ci, il y a d’abord des incohérences, c’est-à-dire des comportements qui ne cadrent pas avec le portrait des personnages. C’est principalement le cas de la vraie Vera qui est censée se cacher tout près de Servo pour le démasquer, mais qui en fait ne fera rien du tout et restera curieusement passive. Le scénario va donc évoluer du portrait d’un homme sans passé qui est peut-être un assassin, à celui d’une ville corrompue et criminelle, livrée à la débauche. On se retrouve chez Hammett, mais aussi du côté des films qui vont exploiter la lutte difficile contre le crime organisé, avec un homme qui seul contre tous se lève pour faire le ménage. On retrouvera ça par exemple dans The Miami story de Fred F. Sears en 1954, ou The Phoenix city story de Phil Karlson en 1955[3].  Mais ce n’est pas là l’originalité du film, elle réside plutôt dans le portrait psychologique d’un homme qui ne sait pas choisir parmi toutes les femmes qui s’offrent à lui et qui veulent l’aider. On remarque que le scénario contourne cette mauvaise habitude de définir telle ou telle femme comme une fourbe, prompte à trahir pour des raisons obscures, la cupidité ou le pouvoir. On peut même voir dans ce souci féminin de choisir un mâle qui leur plait, sans attendre que celui-ci en fasse la démarche, est au contraire le signe d’une émancipation en route. 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    Il a trouvé une place dans l’industrie pétrolière 

    Johnny McIntire est un homme plutôt agité qu’un homme d’action. C’est un handicapé, cet handicap est d’ailleurs signifié par ses mains bandées et sa position forcément passive dans un fauteuil à roulettes. Mais il va retrouver peu à peu sa virilité. D’abord en allant travailler sur des puits de pétrole, puis ensuite en bousculant Servo et sa bande dont il en élimine physiquement un certain nombre. C’est un nettoyeur, mais en même temps qu’il nettoie la ville, il nettoie sa mémoire, comme s’il la voulait neuve. C’est donc une histoire de rédemption, même s’il n’est pas coupable. Mais en même temps cela ressemble un peu au douze travaux d’Hercule, avec l’affrontement de quelques monstres égarés sur son chemin. Mickey Spillane a souvent la réputation d’un dur qui vient en aide aux pauvres filles maltraitées, mais qui détruit les salopes. Ici rien de tout cela, le cahier des charges n’est pas tout à fait respecter, aucune salope ne traine dans le coin, et ce sont plutôt les femmes qui viennent à son secours. Le plus machiste c’est bien l’ignoble Servo qui va obliger Venus à ramper aux pieds de Johnny, mais elle le fera sachant que c’est la seule manière de sauver le malheureux attaché à sa chaise. Remarquez que Johnny est un homme de basse extraction, il passe du statut de caissier d’une banque, à celui d’ouvrier dans l’industrie pétrolière. Ce qui fait qu’incidemment, la lutte entre lui et Gardiner allié à Servo, prend forcément des allures de luttes des classes. 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    La police cherche à prouver qu’il a tué le procureur 

    Deux figures habituelles du film noir sont recyclées, d’abord celle du journaliste plutôt médiocre qui provoque Johnny et se subordonne ensuite à lui pour tenter d’obtenir un scoop. La rencontre à lieu à la bibliothèque municipale où notre amnésique cherche des informations. Est-ce une invitation à la lecture ? Ensuite il y a la scène d’ouverture, comme dans Kiss me deadly, elle montre une personne qui fait de l’autostop et nous voyons que cette pratique de lever le pouce est ambiguë. Pour le chauffeur c’est le début des emmerdements, mais pour l’autostoppeur ce peut-être tout aussi un danger. Mais l’autostop c’est aussi une ouverture. Johnny s’absente de lui-même pendant deux ans, il part sur les routes à l’aventure, ce qui est typiquement américain, mais d’une manière fortuite, il va découvrir la nécessité de retourner  dans sa ville d’origine. Si sa disparition a bouleversé les certitudes autour de lui, son retour les bouleverse tout autant, ajoutant la confusion à la confusion. Dans ces conditions, la seule solution est l’action violente qui permettra de remettre tous les compteurs à zéro.   

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    A la bibliothèque municipale il cherche des informations 

    Si la réalisation n’est pas des plus excellentes, il y a cependant quelques scènes étonnantes. D’abord cet exil dans l’industrie pétrolière, avec en arrière plan des images de derricks en train de pomper du pétrole, avec sur le devant Johnny qui engage la bagarre avec deux prolos qui se moquent de son amnésie.  C’est ce qui lui permet de trouver un nouveau point de départ puisqu’il se fait virer et donc de l’engager à l’action. Ensuite il y la scène où Servo tente, comme dans un roman d’Agatha Christie de découvrir la coupable parmi les quatre femmes qu’il a réunies. Mais il n’est pas Hercule Poirot et se trompe par manque de subtilité. Et puis il y a cette scène où on voit Venus, quel nom, ramper aux pieds de Johnny. Cette scène est filmée en plongée, très stylisée, on ne voit rien d’autres que les personnages saisis dans un jet de lumière, avec du noir tout autour. C’est une manière de stylisation de la stylisation récurrente des films noirs. La photo de Franz Plazer est manifestement inspirée de John Alton. Le film est volontairement très sombre et la nuit est dominante. Plusieurs scènes se passent dans les escaliers du casino, ça permet de bonnes scènes d’action, avec des dégringolades filmées en plongées ou en contre-plongée. D’un point de vue filmique, c’est bien meilleur que I, the jury. Le rythme est bon, et le découpage multiplie judicieusement les points de vue, obligeant le spectateur à en choisir un. 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954 

    Les hommes de main de Servo vont kidnapper Johnny 

    C’est un film à petit budget, évidemment, et les décors extérieurs sont très peu nombreux, la ville maudite n’est présente réellement que pour montrer le retour de Johnny McIntire à travers cette foule qui le reconnaît et qui le craint. Il y a un soin évident à filmer la banque avec des travellings profonds qui lui donnent une puissance qu’autrement elle n’aurait pas. On retrouve le même procédé pour film la bibliothèque municipale, on joue à la fois sur les lumières et sur la hauteur des plafonds qui lui donne un air solennel. Johnny pour les besoins de l’enquête va déchirer une page de journal sous le regard désapprobateur d’un lecteur. Ce geste veut dire beaucoup puisqu’il est bruyant, comme s’il voulait réveiller la communauté assoupie, l’invitant à passer à l’action, à aller au-delà de la lecture et de la réflexion. 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    Johnny porte l’argent qu’il a gagné au casino à la banque 

    Certains ont trouvé que d’engager Anthony Quinn dans le rôle d’un séducteur, il allume toutes les femmes qui passent à sa portée, était une mauvaise idée en contradiction de l’image qu’on pouvait se faire à cette époque des héros de Mickey Spillane. Mais non, il est très bien dans le rôle de Johnny parce qu’on comprend au contraire que c’est sa brutalité qui plait aux filles qui, en devinant sa fragilité, vont se porter à son secours. Il est à l’écran du début jusqu’à la fin, et rien que pour lui le film vaut le détour. Derrière lui, c’est nettement moins bien. On a engagé le déjà vieux Charles Coburn pour incarner le fourbe Gardiner. Certes il joue le rôle d’un vieillard un peu malade, mais il a l’air de s’en foutre complètement. Il joue mou. Ensuite on a le grimaçant Gene Evans qui joue le sadique et mauvais Servo. Il grimace beaucoup trop pour qu’on le prenne au sérieux. Peggie Castle est Venus. Son rôle est un peu étroit, mais ça passe assez, sans plus. Elle était déjà de la distribution de I, the jury où elle tenait le rôle de Charlotte Manning, la psychiatre dévoyée. Plus intéressante est Mary Ellen Kayes dans le rôle de Wendy Miller, alias Vera West, mais elle aussi a un tout petit rôle. Ensuite on trouve de solides seconds rôles habitués des films noirs, Barry Kelley qui joue le flic véreux, ou encore Jay Adler dans le rôle du groom sournois et cupide. Les deux autres femmes qui sont séduites par la prestance de Johnny ne sortent pas beaucoup de l’ordinaire. 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954 

    Servo et Tucker veulent savoir qui est Vera  

    Des quatre films produits par Victor Saville à partir des œuvres de Mickey Spillane, c’est sans doute le meilleur, après bien entendu Kiss me deadly. Il est très nettement supérieur au précédent, I, the jury.  Malheureusement ce film ne se trouve pas dans le commerce, il aurait pourtant mérité une copie Blu ray. Il a suffisamment de qualités formelles. Si ce n’est pas un très grand film, c’est un bon film noir avec suffisamment de caractère pour qu’on le regarde avec plaisir. Le public a suivi, et si la critique ne s’y est pas intéressée, le film a rapporté pas mal d’argent. 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954 

    Le banquier Gardiner explique que le procureur décédé travaillait à éradiquer la corruption 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    Servo veut savoir laquelle des quatre femmes est Vera  

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954 

    Venus va ramper jusqu’à Johnny 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    Johnny a démasqué Gardiner qui est aussi le banquier de Servo



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/quelque-part-dans-la-nuit-somewhere-in-the-nigh-joseph-l-markiewicz-19-a191321586

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/le-passe-se-venge-the-crooked-way-robert-florey-1948-a118348930

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/the-phenix-city-story-1955-phil-karlson-a114844904

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