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Pour le centenaire de Claude Sautet
Claude Sautet est franchement le dernier des grands réalisateurs français. Après lui, je ne vois pas quelqu’un de la stature de Julien Duvivier, René Clément, Marcel Carné, Jean-Pierre Melville. Il est de ces cinéastes qui ont produit une filmographie restreinte et plutôt homogène, treize films de long métrage en tout si on excepte Bonjour sourire, le premier film qu’il signe, mais qui est seulement un dépannage destiné à pallier la défaillance du réalisateur pressenti. Les souvenirs qu’on a de ses films c’est sur le plan thématique une certaine humanité, une tendresse, même pour les personnages les plus tordus, et sur le plan technique une belle précision, c’est-à-dire une vraie compréhension de l’adéquation du langage de l’image au propos, et son insertion dans l’espace. Sa formation de réalisateur a pris des virages inattendus, en effet pendant de longues années, aussi bien avant Classes tous risques qu’après, il a été dialoguiste, scénariste et assistant. C’est Lino Ventura qui l’avait connu sur Le fauve est lâché, qui l’a incité à prendre la réalisation de Classes tous risques. Ce film basé sur le roman de José Giovanni est devenu au fil des ans un classique du genre. Et Claude Sautet aimait à rappeler que la parenté entre Le trou de Jacques Becker, Classes tous risques et Le deuxième souffle c’était justement José Giovanni. Il collaborera encore avec José Giovanni sur l’avant-dernier film de celui-ci, Mon ami le traitre. Melville aimait beaucoup Classes tous risques, moi aussi bien sûr, et peut-être que Le deuxième souffle aurait été tout autre si Melville n’avait pas vu auparavant le film de Sautet. Ce dernier disait aussi que s’il avait su que le personnage avait été inspiré d’Abel Danos, un ancien de la Carlingue, il n’aurait sans doute jamais fait ce film[1]. Ce film et contrairement à ce qu’on a dit ensuite, y compris Claude Sautet, n’a pas été un échec commercial, il a fait tout de même 1,7 millions d’entrées en France. Mais la frustration vient sans doute du fait que ce premier film a été éclipsé par le succès d’A bout de souffle tourné et sorti juste après Classes tout risques et qui avait dépassé la barre des 2 millions d’entrées.
Classe tous risques, 1960
Avec le recul que retenir de Sautet ? Pour ma part je mettrais en avant Classes tous risques, Max et les ferrailleurs, Vincent, François, Paul et les autres et Mado. Sautet préférait Max et les ferrailleurs et Mado. Après Classes tous risques qui est au fond plus l’univers de José Giovanni que celui de Sautet, on peut découper son œuvre en deux : l’une qui va des Choses de la vie à Garçon ! et l’autre qui concerne la fin de sa carrière. La première partie est la recherche d’un Paris populaire en voie de disparition, à l’apogée de ce que furent les Trente Glorieuses, l’autre un embourgeoisement un peu confus, et bien moins intéressant. C’est très souvent le cas quand un grand metteur en scène arrive au sommet de ses capacités techniques, il perd de son inspiration et peut-être de son envie, je l’ai remarqué avec Martin Scorsese par exemple qui depuis longtemps n’a plus rien à dire, mais qui domine techniquement son sujet, mais aussi de Steven Spielberg et de Brian de Palma[2]. Cette usure est souvent liée au fait que le monde de ces réalisateurs disparait petit à petit, et qu’ils cherchent à évoluer. A partir de Quelques jours avec moi, il tentera de renouveler son approche du cinéma, changeant de sujet, mais aussi d’acteurs et il est vrai que de passer de Romy Schneider, Montand et Piccoli à Daniel Auteuil, Michel Serrault et André Dussollier, c’est une épreuve qui n’est pas facile. Pas que ce soient de mauvais acteurs, mais enfin ils n’ont jamais eu le charisme de leurs aînés. Sautet se définissait comme un cinéaste de la banlieue parisienne, il était né à Montrouge. Or cette banlieue qu’on a connue à l’écart de l’agitation parisienne, a cessé d’exister au début des années quatre-vingt. Et cela a sans doute enlevé de la motivation à Sautet.
Sur le tournage de César et Rosalie
Sautet avait cette capacité incroyable à saisir les petites choses de la vie pour en faire des histoires attachantes. Qu’est-ce que César et Rosalie ? L’intrigue tient sur le dos d’un timbre-poste. Une femme qui ne veut pas ou qui ne sait pas choisir entre deux hommes au caractère opposés. L’un hâbleur et viril, l’autre discret et romantique. Et la fin ouverte ne permettra pas d’y voir plus clair. C’est évidemment la qualité de la mise en scène et des dialogues qui fait que le spectateur arrive à s’attacher à ces personnages pourtant qui n’ont rien de grandiose. C’est la même chose avec Les choses de la vie. Un homme embarrassé par ses relations féminines et qui ne sait pas les conclure. L’accident de la route le révèle alors à lui-même. Évidemment le sujet passe à travers la manière dont l’accident est filmé, avec des ralentis, des flash-backs, etc. et le jeu des acteurs.
Max et les ferrailleurs, 1971
Les collaborations les plus fécondes de Sautet seront celles avec Claude Néron dont il admirait la langue et Jean-Loup Dabadie pour sa rigueur scénaristique. C’est avec eux qu’il obtiendra ses plus grands succès, en faisant un réalisateur populaire, éloigné de la logique du cinéma d’art et d’essai. C’est clairement avec Jacques Fieschi et Jérôme Tonnerre que le cinéma de Sautet va glisser d’une approche comportementaliste vers une approche plus psychologisante. Jusqu’à Garçon ! L’œuvre de Sautet apparaissait homogène, comme une forme de sociologie cinématographique, décrivant une France des petits bistrots, d’une certaine forme de liberté, une France faisant face aux difficultés de l’existence matérielle. Les trois derniers films traitent plutôt des états d’âme de la bourgeoisie parisienne, d’un désenchantement. C’est sans doute le contrecoup du passage des socialistes au pouvoir à partir de 1981 qui auront beaucoup déçu et tué l’espérance plus ou moins diffuse des gens de gauche dont Claude Sautet faisait partie, lui qui avait été dans le temps membre du Parti communiste français. Après Garçon ! le public des films de Sautet va changer, il sera plus étroit, plus orienté vers le cinéphile de la classe moyenne. C’était devenu un réalisateur qu’on n’osait plus critiquer, il fallait trouver bon tout ce qu’il faisait.
Vincent, François, Paul et les autres, 1974
C’était aussi, semble-t-il, un homme de fidélité qui aimait beaucoup les acteurs, il avait souvent un jugement juste sur leurs capacités. Il avait une relation privilégiée avec Romy Schneider avec qui il fera cinq films en tout. Contrairement à ce qui a été écrit et même dit par Claude Sautet, Romy Schneider n’était pas dans le trou quand elle a tourné Les choses de la vie, elle avait fait grand retour avec La Piscine de Jacques Deray aux côtés d’Alain Delon. Mais il est clair que c’est Sautet qui lui a donné ses plus beaux rôles. Il fera aussi quatre films avec Michel Piccoli dont deux sont ses préférés ! Il fera aussi trois films avec Yves Montand. Là ça ne se passera pas si bien. Principalement dans Garçon ! où les exigences de la star plombèrent l’atmosphère du tournage. Néanmoins Garçon ! n’est pas seulement une prouesse technique sur le métier de serveur. C’est un film désenchanté sur la vieillesse et la solitude. A mon sens ce film devrait être réhabilité.
Mado, 1976
Trop souvent Claude Sautet est vu comme un cinéaste « naturaliste » qui copie et montre une réalité immédiate. C’est une erreur, en vérité il se sert d’un cadre précis et vrai pour styliser ses personnages. C’est ainsi par exemple que Michel Piccoli dans le rôle de Max, le policier à moitié dérangé, va représenter à travers son visage blême et son costume noir, l’ange de la mort. Ou encore que dans Mado, Sautet mêle une description minutieuse de la canaillerie spéculative dans l’immobilier, à une intrigue de roman noir. Je l’ai souligné ci-dessus, Garçon ! n’est pas un film sur le travail en brasserie. On peut faire la même remarque à propos de Classe tous risques, ce n'est pas une biographie d’Abel Danos, personnage qui a bien existé, mais le récit de la fin d’un homme enfermé dans sa solitude et dans sa logique de mort. C’est pour cette raison que la transposition du roman de José Giovanni en 1960 est tout à fait possible, comme Le deuxième souffle de Melville qui mettait en scène des personnages de truands inspirés de l’avant-guerre peut être tourné dans les décors naturels du Marseille du milieu des années soixante.
Sur le tournage des Choses de la vie
Homme discret qui redoutait les moments où il devait faire la réclame – la promotion si vous voulez – de ses films, il avait eu une formation artistique poussée, aussi bien sur le plan musical que sur celui des arts plastiques, sans doute est-ce de là que venait sa méticulosité dans la mise en scène, l’amour du détail, mais aussi le sens du rythme qu’il savait donner à ses films. Il travaillera presque tout le temps avec le musicien Philippe Sarde, leur collaboration a été importante, donnant une couleur particulière à le cinématographie de Sautet. C’est un cinéaste célèbre et qu’on pense bien connaître, mais je crois qu’on le redécouvrira dans les années qui viennent.
Tags : Claude Sautet, Michel Piccoli, Romy Schneider, Yves Montand, Jean-Loup Dabadie, Claude Néron, hommage
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